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PASSIONS. NATURE


soit, ces réactions internes profondes échappent au contrôle volontaire. Nous sommes émus par la joie ou par la crainte : nous ne pouvons empêcher notre cœur de battre fort, notre respiration d’être haletante ; nous n’avons pas pouvoir volontaire sur les centres nerveux, ni sur les sécrétions endocrines. — 2. Il y a la mimique externe (gesticulationdes membres, pâleur, rougeur, dispositif des traits du visage, frisson, tremblement, cris, gémissements, sursauts, réactions diverses de la musculature). Cette extériorisation motrice n’est pas en directe et entière dépendance des perturbations du cœur. La volonté n’a qu’en partie prise sur certaines de ces réactions. — 3. Il y a enfin ce qu’on appelle la mimique volontaire de la passion. La vie sociale des hommes entre eux a fixé, dans certaines attitudes et expressions convenues, un certain langage par quoi les passions se traduisent. La volonté a pouvoir sur ces gestes et ces attitudes.

Quelque intéressantes que soient les recherches sur la physiologie de la passion, il importe de remarquer que telle ou telle explication est accidentelle à la théorie générale de la passion d’après saint Thomas. Sa théorie générale exige seulement que la réaction corporelle soit un élément intégrant de la passion et que ces variations organiques se composent de réflexes de motricité et de sensibilité, les uns indépendants de la volonté et les autres plus ou moins facilement maîtrisables. Mais, que ces mouvements internes ou périphériques aient pour cause originelle le cœur ou que le trouble de celui-ci soit en dépendance d’un ou de plusieurs centres cérébro-spinaux, ou encore que le cycle physiologique de la passion comprenne une mimique et des réflexes qui ne proviennent pas du trouble circulatoire, mais de centres spéciaux ou même de sécrétions endocrines, peu importe après tout. Du moins, il reste vrai que se produit, en toute passion, un mouvement anormal du cœur en parallèle avec la mimique réflexe de la périphérie. Ces phénomènes cardiaques sont éprouvés et sentis en même temps que les autres modifications musculaires. C’est pourquoi le sens commun et l’expérience interne immédiate sont portés à voir, dans les troubles du cœur, l’événement corporel prépondérant et caractéristique de la passion. Ainsi se justifie le langage courant qui voit dans le cœur le symbole des diverses passions.

5° Unification en un seul phénomène de l’aspect psychique et de l’aspect physiologique de la passion. — Nous venons d’étudier séparément l’aspect psychique de la passion et son aspect physiologique. Mais cette dissociation, introduite pour la clarté de l’exposé, ne doit pas faire illusion sur l’unité foncière et vivante du fait passionnel. Les deux éléments qui le composent se rejoignent en une cohésion tellement absolue et nécessaire que la passion n’existerait pas, si, par impossible, l’aspect psychique pouvait être sans l’aspect physiologique. On ne conçoit pas une émotion de peur sans perturbation organique, sinon apparente, du moins interne. Pas de joie, de tristesse ou de colère sans parallélisme de commotion corporelle. Ou alors, si cet élément physiologique n’existait pas, nous aurions affaire à un pur sentiment d’ordre totalement spirituel et volontaire, mais pas à une passion.

La passion est donc un acte unique de l’appétit sensitif, qui comprend essentiellement une tendance affective et une réaction physiologique. Pour saint Thomas, la tendance est forme de la passion, la réaction physiologique en est la matière. De malo, q.xii, a. 1. Il suit que c’est la tendance qui qualifie la passion, ou, si l’on veut, qui distingue telle passion de telle autre. L’amour, par exemple, est une tendance très caractérisée qui se distingue nettement de la haine. Or, les phénomènes physiologiques, tout au moins à les considérer du dehors, sont loin de caractériser la passion ;

ils varient d’un individu à l’autre en profondeur de commotion, en intensité.

Néanmoins, il y a parallélisme entre la tendance et la réaction, subordination de celle-ci à celle-là. La réaction physiologique se présente comme s’adaptant à servir la tendance en réalisant l’action, le mouve ment ou l’opération conformes à ses fins. Par exemple dans la colère, l’appétit de vengeance domine l’âme : d’où la tendance à se porter en avant pour atteindre l’ennemi, le dompter, l’écraser, en déployant, à cet effet, le maximum de force, et cela parfois jusqu’à la plus violente brutalité. C’est pourquoi cette tendance d’agression et de lutte s’accompagne d’un dispositif organique adapté :  ! e cœur bondit dans la poitrine, le sang afflue à la périphérie, injecte les yeux et la face ; les muscles sont contractés et raidis, prêts à l’élan frappeur, au geste contondant et écraseur. Les choses se passent comme s’il y avait, de la part de l’organisme, une adaptation élective et immédiate à servir le mouvement ou l’activité conforme à la tendance appétitive. De veritate, q. xxvi, a. 3.

La passion est donc un phénomène spécifiquement distinct de la pensée intellectuelle, de la sensation, du vouloir. Certes, nous verrons que la sensation est requise à la passion et que l’intelligence et la volonté ont à mouvoir et à gouverner la passion. Mais précisément, parce que celle-ci est distincte, on comprend qu’elle puisse avoir une quasi-autonomie, s’opposer au gouvernement de la raison et au commandement de la volonté. La vie morale est faite de cette lutte incessante. Car l’idéal, pour la passion, c’est d’être sous la maîtrise de la volonté, à condition toutefois que celleci soit rectifiée vis-à-vis du véritable bien de l’homme, c’est-à-dire du bien moral. Pour autant que la passion échappera à cette emprise ou l’entravera, elle échappera d’autant à la moralité ou en atténuera la valeur ; elle restera ce qu’elle est chez l’animal, sans prendre rang parmi les actions dignes de l’homme. Celui-ci. d’ailleurs, a l’obligation de dominer, d’ordonner et de régler ses passions, de les faire servir à la conquête des biens spirituels, de réfréner les poussées désordonnées qui l’entraîneraient à des actions défendues par la loi morale. La moralité des passions n’est pas autre chose que leur assujettissement coutumier à la volonté vertueuse. Leur assujettissement, dis-je, et non pas leur suppression. On ne supprime pas la sensibilité : elle fait partie de la nature humaine. On n’a d’ailleurs aucune raison de prétendre à cette extinction radicale. La passion, nous le dirons, si elle n’est pas facile à gouverner, peut tout de même être gouvernée. La vertu n’est pas autre chose en nous que la passion non seulement assujettie, mais positivement utilisée et exercée pour le bien.

Ce que nous avons dit de la nature de la passion nous permet d’indiquer à quoi tient la difficulté de l’éducation vertueuse de la passion : 1. La passion implique avec elle une violence, une impulsion qui vient d’ordinaire bouleverser notre conscience. Sous le choc, celle-ci a parfois bien du mal de se redresser. Nous verrons que, par sa brusquerie et son caractère captivant, la passion tire aisément en son sens l’intelligence et la volonté. — 2. Ce choc de la passion tient à l’élément physiologique qui la compose et dont nous avons parlé. Notre corps est agité, énervé, secoué, bouleversé par la passion, et ce tumulte organique donne encore à celle-ci plus de force sur la conscience pour l’attirer à ses fins. La passion véhémente peut, par cette commotion organique, engendrer une quasifolie passagère. — 3. Cette participation corporelle dans la passion explique aussi la difficulté particulière que certains tempéraments rencontrent à plier leurs passions aux lois de la vie morale, précisément parce que certains tempéraments sont disposés à réagir plus