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PASCAL. APOLOGÉTIQUE, SON UTILISATION


nisme est favorable à l’optimisme. » Le pessimisme pascalien, toutefois, est plus accentué, parce que Pascal accentue avec Port-Royal, après saint Augustin, les effets du péché originel et parce qu’aussi il est un passionné. » I1 a sondé plus avant, la profondeur de cet abîme qu’il nous dépeint. » Il a plus senti qu’aucun de ses contemporains la disproportion entre nos aspirations et la réalité ; il l’a même ressentie si profondément i que la sensibilité maladive de nos contemporains a cru retrouver en lui l’écho de ses propres défaillances », cf. Hatzfeld, Pascal, 1901, p. 278, et a fait de lui, dit Sainte-Beuve, « un Pascal d’après Werther et René ».

Mais, même ainsi accentué, le pessimisme de Pascal diffère du véritable à ce point que l’on a pu refuser d’employer le terme en parlant de lui. Cf. Giraud, Pascal. L’homme, p. 199. D’abord, ce pessimisme n’est pas essentiel aux choses : Pascal a placé l’optimisme à l’origine ; il n’est point imposé par une aveugle fatalité, mais par la justice qui châtie la faute de l’homme. « Le monde lui-même est la sentence du monde », dira Schiller, cité par Schopenhauer, loc. cit. Pascal ne conteste pas, au fond, qu’à côté « d’un malheur profond, radical, universel », c’est vrai, « dont la partie impalpable et immatérielle est à ses yeux le vrai malheur », l’homme ne puisse jouir en ce monde « d’un bonheur superficiel, relatif », parce que matériel. Cf. Vinet, loc. cit., p. 228. Surtout la destinée humaine n’est pas sans espoir ; le mal présent a son remède en Jésus-Christ : « Je tends les bras à mon libérateur, et par sa grâce, j’attends la mort en paix, dans l’espérance. .. ; et je vis cependant avec joie soit dans le bien qu’il lui plaît de m’accorder, soit dans les maux qu’il m’envoie pour mon bien. » Fr. 737.

4. Le modernisme peut-il s’autoriser de Pascal ? Pascal et l’immanentisme. — Deux traits essentiels constituant la doctrine moderniste : l’agnosticisme et l’immanence vitale, et l’apologétique moderniste se réduisant à « amener l’incrédule à faire l’expérience du catholicisme, expérience qui est le seul vrai fondement de la foi », cf. Modernisme, t. x, col. 2032-2033, Pascal n’est-il pas le précurseur du modernisme ?

Plusieurs l’ont pensé. P. Stapfer, distinguant « la foi, principe d’action, disposition morale et religieuse, et les croyances, idées intellectuelles et indifférentes au salut, compagnes ordinaires de la foi mais sans avoir avec elles un lien nécessaire de dépendance » et rappelant le mot de Pascal : « La foi est différente de la preuve », enfin posant en postulat que la science et la critique ont ruiné les croyances, conclut, loc. cit., p. 334 : « Pascal, fidèle à sa méthode, patiemment soumis aux réalités que la science construit et s’élevant par l’amour vers la vérité que le cœur devine, travaillerait aujourd’hui avec une instruction renouvelée à sauver des ruines faites par la critique moderne le sentiment religieux et son immortelle espérance. » Tous les protestants libéraux lui prêtent la distinction entre la foi, principe d’action, sentiment du divin et les croyances. É. Boutroux, loc. cit., p. 201, 203, écrit : « Longtemps satisfaite des systèmes d’apologie qui s’appuient principalement sur la raison pure et sur l’autorité, l’Église voit se produire dans son sein de remarquables efforts pour chercher les premières raisons de croire, non plus dans les objets de la foi, mais dans l’homme et dans sa nature. Que l’homme donc cherche en lui-même, et non dans quelque révélation, les principes de sa religion, et que, par une lutte opiniâtre avec ses instincts égoïstes, il crée et développe en lui, jusqu’à s’en faire une seconde nature, la puissance de se donner à ce qui est grand. Or, c’est en partie sous l’influence de Pascal que se développent ces côtés de l’apologétique chrétienne. » Enfin J. Bourdeau revient souvent sur cette idée : Pascal précurseur des modernistes ; cf. son article du 12 avril

1908 au Journal des Débats ; également, dans son article du 28 juillet 1908, il écrit : « Au Dieu transcendant, Pascal substitue le Dieu immanent. » Voir Clément Besse, Pascal mène-t-il au modernisme ? dans Revue d’apologétique, 1 er mai 1909, p. 102, n. 1.

Il est vrai que Pascal n’admet pas l’état de pure nature : dans ses deux premiers Écrits sur la grâce, les dons surnaturels apparaissent comme nécessaires à l’exercice normal de nos facultés et à l’équilibre entre nos forces et nos aspirations naturelles. Vrai aussi qu’il est parti de la nature de l’homme pour amener l’Incrédule à la foi et qu’il appelle l’incrédule à faire l’expérience de cette foi. Vrai enfin qu’on peut relever dans les Pensées des formules faciles à interpréter dans un sens immanentiste, ainsi, « l’homme passe infiniment l’homme », fr. 434, que Boutroux traduit ainsi : « L’homme est capable de s’élever toujours davantage au-dessus de lui-même et le Dieu qui doit le porter en haut est près de lui, est en lui, comme le fond même de son être. » Loc. cit., p. 203. Enfin il a affirmé nettement l’impuissance de la raison à nous donner des certitudes religieuses.

Mais : a) S’il a posé en principe que la vraie religion doit rendre raison des contrariétés de l’homme, il n’a pas dit que ce fût une preuve suffisante. Il a même insisté sur les preuves extérieures et historiques. 6) S’il a dit que la nature avait besoin des dons surnaturels, il n’a jamais soutenu qu’ils lui fussent dus. Sur ce point il a condamné Luther, y) Sa théorie des ordres rend impossible l’ascension naturelle des âmes au-dessus d’elles-mêmes. S) On a vu que, s’il affirme l’impuissance de la raison à nous donner des certitudes religieuses — nous avons dit dans quelles conditions — cela ne l’empêche pas d’user de la raison pour démontrer la légitimité de sa foi. « Bien qu’il se déclare pyrrhonien, dit Sully-Prudhomme, loc. cit., p. 342, pour désarçonner la raison chez ceux qui voudraient la tourner contre le dogme ou se passer de la révélation chrétienne, il ne laisse pas de raisonner en faveur de la religion. » e) Pour lui enfin, le sens de la vérité révélée ne dépend en rien de l’expérience humaine, il a été fixé pour tous et pour toujours par la Tradition, ce qui ne l’empêche pas de s’adapter à chaque âme qui s’adapte à elle.

De l’utilisation de l’apologétique pascalienne.

« Nous ne comprenons pas comment, après le concile

du Vatican, on peut construire une apologie du christianisme sur Pascal », a dit M. Decurtins, cité art. Dieu, t. iv, col. 805. Pascal serait hérétique pour avoir écrit : » Nous sommes incapables de connaître, ni ce que Dieu est, ni s’il est. » Fr. 233, cf. ibid. Il serait par là en contradiction avec le concile du Vatican, qui a défini que l’homme a le pouvoir de connaître Dieu par la lumière naturelle de la raison, ibid., col. 835, il se trouverait ainsi frappé, comme « Luther, Calvin, Jansénius, Quesnel, Bautain et les traditionalistes de Louvain ». Ibid., col. 805. Ne fausse-t-il pas l’Écriture quand il affirme que « jamais auteur canonique ne s’est servi de la nature pour prouver Dieu », que l’Écriture fait de Dieu un « Dieu caché », à ce point qu’il ne peut être connu que par Jésus-Christ ? Fr. 242 et 243.

Pascal n’a pu être hérétique par rapport à une définition portée deux siècles après lui ; mais sa doctrine ne l’est-elle pas aujourd’hui ? N’a-t-il pas nié que notre raison puisse atteindre Dieu et le démontrer sans un secours surnaturel ? Or, on l’a vii, Pascal conteste à la raison le pouvoir non pas d’édifier des preuves spéculatives de l’existence de Dieu, mais d’en trouver des preuves pratiquement efficaces sur « les personnes destituées de foi et de grâce ». Les fidèles, au contraire, voient incontinent que tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage du Dieu qu’ils adorent. Fr. 242. Mais à quoi sert exactement ce secours