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PASCAL. PHILOSOPHIE, METHODES DE CONNAISSANCE

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recevoir. A plus forte raison, « celles qui ont cette liaison tout ensemble et avec les vérités avouées et avec les désirs du cœur » sont-elles « si sûres de leur effet qu’il n’y a rien qui le soit davantage dans la nature ». Ibid. Mais il y en a d’autres. Il y en a « qui sont bien établies sur des vérités connues, mais qui sont en même temps contraires aux plaisirs qui nous touchent le plus ». En face de ces propositions, si éclairé que soit l’esprit, « il se fait un balancement douteux entre la vérité et la volupté », un combat entre la raison et le sentiment, un combat dont on ne peut prévoir l’issue dans un homme donné. Ibid., p. 275. Si donc l’on veut faire accepter d’une personne telle vérité,-il faut, autant que convaincre, agréer : c’est là l’art de persuader ». Ibid.

Pour convaincre en ces matières, une fois que l’on est d’accord sur les principes, il n’y a qu’à observer les règles de la démonstration mathématique qui est la démonstration parfaite. Ces règles très précises sont au nombre de huit ; on peut les ramener à cinq et à ces deux principes : « Définir tous les noms qu’on impose ; prouver tout en substituant mentalement les définitions à la place des définis. » Ibid., p. 278-282.

Quant à la manière d’agréer, « elle est bien sans comparaison plus difficile, plus subtile, plus utile et plus admirable ». Il y a sans doute « des règles aussi sûres pour plaire que pour démontrer » et certaines personnes, tel Méré, « les appliquent habilement ». Mais que ces règles sont difficiles à fixer, tant « les principes du plaisir sont divers à tous les hommes et variables dans chaque particulier ! » Ibid., p. 276.

Mais qui veut agréer, « échauffer », toucher le cœur et créer le sentiment voulu pour convaincre, doit se garder de l’ordre « unilinéaire ». Boutroux, op. cit., p. 162, qui est celui de l’esprit. « Le cœur a son ordre », fr. 283, qui est tout autre « On ne prouve pas que l’on est aimé en exposant d’ordre les causes de l’amour. Cela serait ridicule. » Ibid. A proprement parler, l’ordre du cœur exclut l’enchaînement d’une méthode : « Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qu’on rapporte à la fin pour la montrer toujours. » Ibid.

3. Esprit de géométrie et esprit de finesse (fr. 1). — Distinction célèbre, que P. Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, p. 182, juge « si grossière et si mal définie » et familière à Pascal : on la relève déjà dans le Discours sur les passions de l’amour, cf. fr. 1, n. 1, Pascal l’a sans doute prise de Méré ; cf. Méré, Discours des agréments, t. i, p. 194, et Lettre à Pascal, Œuvres de Pascal, t. ix, p. 215 sq. ; cf. Boudhors, Pascal et Méré, Paris, 1913, et Revue d’histoire littéraire, 1913 p. 24 sq., 379 sq.

L’esprit est appelé à connaître les sciences, autrement dit la géométrie. Les principes d’où partent ces sciences sont ignorés de beaucoup qui ne s’en occupent pas ; ils n’en sont pas moins « palpables », faciles à connaître « à plein » et tels qu’il faudrait « avoir l’esprit faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu’il est presque impossible qu’ils échappent ». Fr. 1. L’esprit géométrique perçoit ces principes et en déduit les conséquences. Toutefois, sur ce terrain, il y a encore lieu de distinguer : en géométrie, par exemple il peut y avoir « beaucoup de principes » ; l’esprit géométrique seul les voit ; et, pour conduire à bien les démonstrations, il faut un sens droit, ou l’esprit de justesse qui n’accompagne pas toujours l’esprit géométrique. Ibid.

Mais, à côté de cette matière abstraite et toujours relativement simple, il y a « les choses de finesse », les choses de l’âme, soit que l’on étudie son âme propre, soit que l’on étudie l’âme d’autrui dans la vie sociale, choses concrètes, mais complexes, changeantes, variables, tout un monde. Pour connaître ce monde et

le juger, il y a des principes « qui sont dans l’usage commun et sous les yeux de tout le monde », mais « qui sont si déliés et en si grand nombre qu’il est presque impossible qu’il n’en échappe. On les voit à peine ; on les sent plutôt qu’on ne les voit ; ce sont choses tellement délicates et si nombreuses qu’il faut un sentiment bien délicat et bien net pour les sentir et juger droit et juste selon ce sentiment. » Ibid. Ce sont donc là choses de sentiment ; il y faut un genre d’esprit particulier qui relève du cœur. C’est l’esprit de finesse. Il saisit « d’une seule vue » ces choses complexes et mobiles qui ne peuvent être saisies qu’ainsi, intuitivement ; le raisonnement intervient dans les jugements que porte l’esprit de finesse, mais c’est spontanément, sans se formuler : « L’expression en passe tous les hommes », inconsciemment : « Le sentiment n’en appartient qu’à peu d’hommes » et secondairement ; il dépend de la vue première qui est intuitive. Ibid.

En pareille matière, l’esprit de géométrie ne sert de rien. < Tous les géomètres seraient fins s’ils avaient la vue bonne », puisqu’ils « ne raisonnent pas faux sur les principes qu’ils connaissent ». Mais voilà : habitués « aux principes nets et grossiers de la géométrie et à ne raisonner qu’après avoir bien vu et manié leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse », et ceux « qui ne sont que géomètres » sont ici « faux et insupportables ». Ibid. ; cf. Joubert, Pensées : « Les mathématiques rendent l’esprit juste en mathématiques et faux dans tout le reste. » D’autre part, les esprits fins qui ne sont que fins, « accoutumés à juger d’une seule vue, sont étonnés quand on leur présente des propositions où ils ne comprennent rien et où, pour entrer, il faut passer par des définitions et des principes stériles ; ils s’en rebutent et s’en dégoûtent ». Et ainsi il y a peu d’esprits qui soient géomètres et fins à la fois ; mais il est des esprits faux a qui ne sont jamais ni fins, ni géomètres », car ils n’ont ni « la vue bonne », ni « le sens droit ». Ibid., et fr. 2.

4. La méthode des contraires.

La philosophie de Pascal « est une philosophie des contraires », Vinet, loc. cit., p. 105, « une doctrine des antinomies », Janssens, loc. cit., p. 259, « un système des contradictions. La doctrine des contraires explique tout dans Pascal. » Droz, loc. cit., p. 177. Pour Pascal, en effet, « tout est un milieu entre rien et tout », Rauh, loc. cit., p. 322. « Qu’est-ce que l’homme dans la nature ? un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. » Fr. 72. Et il « a poussé si loin cette philosophie dualiste qu’on en retrouve la trace jusque dans son style », où « les antithèses se redoublent et s’entrecroisent ». Vinet, loc. cit., p. 285. Mais ce n’est point pour « faire des figures justes » que Pascal les multiplie, c’est pour « parler juste », fr. 27 ; la vérité, telle que l’homme peut la saisir dans les choses, ne saurait être « qu’une sorte d’équilibre entre deux extrêmes », Chevalier, loc. cit., p. 72, n. 2, une conciliation entre deux contraires. C’est là pour Pascal une loi fondamentale de sa logique. « C’est une maladie naturelle à l’homme de croire qu’il possède la vérité directement ; et de là vient qu’il est toujours disposé à nier ce qui lui est incompréhensible. » De l’esprit géométrique. Premier fragment, t. ix, p. 259. L’évidence, au sens cartésien, n’est pas toujours preuve de vérité ; nos concepts ne font pas les choses. « Ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être. » Fr. 430. En conséquence, dans le domaine des principes et des mathématiques, par exemple dans « la question de l’espace divisible à l’infini », « toutes les fois qu’une proposition est inconcevable, il faut en suspendre le jugement et ne pas la nier à cette marque, mais en examiner le contraire, et si on le trouve manifestement faux — à ses conséquences — on peut har-