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    1. PASCAL##


PASCAL. PHILOSOPHIE, PRINCIPES DE CONNAISSANCE

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leverser les États, est d’ébranler les coutumes établies, en scindant jusque dans leur source, pour marquer leur défaut de justice. » Fr. 294. Les parlementaires disaient : « Il faut recourir aux lois fondamentales et primitives de l’État qu’une coutume injuste a abolies. » C’est le moyen « de tout perdre, rien ne sera juste à cette balance ; qui ramène l’autorité à son principe l’anéantit ». lbid. Or, comme « la guerre civile est le plus grand des maux », fr. 320, c’est sagesse de maintenir le peuple dans le respect de l’autorité qui assure l’ordre. Cette autorité, « il faut la faire regarder comme authentique, éternelle, et en cacher le commencement, si on ne veut pas qu’elle prenne bientôt fin ». Fr. 294. « A ces grandeurs d’établissement qui dépendent de la volonté des hommes, telles que les rangs, les dignités, la noblesse…, nous devons des respects d’établissement accompagnés d’une reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre. » Trois discours sur la condition des grands, ii, t. ix, p. 369. Le peuple, « qui a des opinions très saines », parce qu’il sent son instinct, fr. 324, et « les chrétiens parfaits » que guide « une lumière supérieure » éprouvent ces sentiments et ils ont raison. Fr. 337. Les habiles les témoignent sans les avoir, par « une pensée de derrière » ; les « demihabiles » qui se piquent de science et qui, en réalité, sont « sortis de l’ignorance naturelle », sans arriver au vrai savoir, fr. 327, et « les dévots qui ont plus de zèle que de science », se refusent à les témoigner, fr. 337, et « ils troublent le monde ». Fr. 327.

Sur tous ces points, cf. Droulers, La cité de Pascal, Paris, 1928, et Giraud, Les Pensées, collection Les chefsd’œuvres de la littérature expliqués, Paris, s. d. (1930), c. xi, La politique de Pascal.

b) Le cœur. — La théorie du cœur « tient dans l’œuvre de Pascal, dit J. Laporte, loc. cit., p. 98, une place comparable à celle qu’occupe chez Kant la théorie de la connaissance et, chez Descartes, la théorie de la méthode. Elle forme le centre et presque le tout de ce que l’on est convenu d’appeler la « philosophie » de Pascal. » Pascal emploie le mot dans deux sens :

D’abord dans le sens courant : le cœur est l’ensemble de nos inclinations morales : « Que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure ! » Fr. 143. Par rapport à la connaissance, le cœur ainsi entendu est synonyme de volonté qui, elle-même, pour Pascal comme pour Port-Royal et toute l’école augustinienne, est tendance naturelle, inclination, concupiscence, — depuis la faute originelle, — et, par conséquent, l’on peut dire du cœur ainsi entendu ce que Pascal dit de la volonté : « La volonté est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance », mais parce qu’elle oblige l’esprit en face des choses « à regarder la face qu’elle aime et ainsi il en juge par ce qu’il y voit ». Fr. 99. Pascal dit lui-même d’ailleurs au début du Second fragment de L’esprit géométrique, t. ix, p. 271 : « Personne n’ignore qu’il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme, qui sont deux principales puissances, l’entendement et la volonté. Je ne parle que des vérités de notre portée ; et c’est d’elle que je dis que l’esprit et le cœur sont comme les portes par où elles sont reçues dans l’âme, mais que bien peu entrent par l’esprit, au lieu qu’elles y sont introduites en foule par les caprices téméraires de la volonté. » Ainsi compris le cœur n’est pas instrument de connaissance, mais dirige la connaissance.

Dans un sens, à lui personnel, le cœur est vraiment un instrument de connaissance, tout comme la raison : « Nous connaissons la vérité non seulement par la raison, mais encore par le cœur. » Fr. 282. « Le cœur a ses raisons que ! a laison ne connaît point. C’est le cœur qui sent Dieu. Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison. » Fr. 277 et 278.

Cette connaissance est hétérogène a la connaissance par la raison : elle est de l’ordre du sentiment. Connaître par le cœur, c’est sentir. Cette connaissance est donc immédiate, irraisonnée, intuitive et synthétique ; elle apporte néanmoins une certitude absolue qui ne résulte pas d’une démonstration, mais qui, elle aussi, est de l’ordre du sentiment ; elle est l’impulsion de notre tendance innée à croire. Cette impulsion, Pascal l’appelle parfois nature, pour expliquer par son origine sa puissance à forcer notre assentiment : « Il y a des mots incapables d’être définis… ; mais on en use avec la même assurance et la même certitude que s’ils étaient expliqués d’une manière parfaitement exemple d’équivoques ; parce que la nature nous en a elle-même donné, sans paroles, une intelligence plus nette que celle que l’art nous acquiert par ses explications. «  De l’esprit géométrique. Premier fragment, t. ix, p. 249. « La nature soutient la raison impuissante. » Fr. 434. « La nature confond les pyrrhoniens. » lbid. Il l’appelle parfois instinct, pour expliquer la sûreté de cette connaissance ; notre cœur aspire au vrai, au bien, à la justice, au bonheur absolus, en un mot, à Dieu et il a la capacité de ces objets supérieurs ; niais la faute originelle a détourné cette tendance naturelle de son véritable objet sans la détruire. « Instinct, idée de la vérité. » Fr. 395. « Instinct, raison, marque de deux natures. » Fr. 344. C’est sous l’action de cette puissance, équivalente à un instinct, que l’esprit adhère sans aucun doute à la connaissance par le cœur. « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison ; voilà ce que c’est que, la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison. » Fr. 278. Le cœur est l’instrument de la connaissance surnaturelle ; c’est lui qui reçoit l’inspiration d’où naît la foi. Fr. 245 et 732. Ainsi s’explique que ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien légitimement persuadés, fr. 282, et que la véritable connaissance de Dieu est amour. « Qu’il y a loin de la connaissance — notionnelle — de Dieu à l’aimer », c’est-à-dire à le connaître par le cœur ! Fr. 280. Ainsi encore s’expliquent ces fragments : « Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ. » Fr. 547. « Hors de Jésus-Christ, nous ne savons ce que c’est que notre vie, ni que, notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes. » Fr. 548.

Le cœur ainsi entendu ne se réduit ni à la raison, ni à la volonté ; il n’est pas cependant une faculté spéciale ; il est, selon la définition de Sully-Prudhomme. loc. cit., p. 30, « la racine commune de sentir et « le connaître, à cette profondeur intime où ces deux fonctions psychologiques ne sont pas encore différenciées ». et, comme le dit J. Laporte, Rev. philos., t. i, 1927, p. 299, il est « ce tréfonds de l’âme, où nous atteignons à la fois ce qu’il y a de plus essentiel à la nature et ce par quoi la nature se rejoint et s’ouvre au surnaturel ».

En dehors du domaine de la foi, le cœur fournit à la raison raisonnante les principes d’évidence immédiate d’où part « la géométrie » ; la raison ne pouvant les démontrer, « c’est sur les connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut qu’e//e s’appuie et qu’elle fonde tout sen discours ». Fr. 282 ; cf. De l’esprit géométrique, loc. cit. Il fournit à la conscience morale l’instinct de la justice ou le sentiment d’une loi morale : « Il y a dans l’homme une nature capable de bien », fr. 423, cf. fr. 294, et qui se retrouve au fond de toutes les décisions concrètes que nous dicte la concupiscence ou la grâce ; cf. fr. 583. « La vraie morale se moque de lu morale », c’est-à-dire que la morale du jugement spontané, c’est-à-dire du sentiment, se moque de la morale de l’esprit qui est sans règle, fr. 4, puisqu’ « elle ne peut mettre le prix aux choses ». Fr. 82. C’est du cœur aussi que nous vient cet instinct « d’aimer ce qui nous paraît beau sans qu’on nous ait jamais dit ce que c’est ». Discours sur les passions de l’amour, t. iii,