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PASCAL. PHILOSOPHIE, PRINCIPES DE CONNAISSANCE


souverain bien de l’homme, ni expliquer pourquoi l’homme se sent détourné de lui ; et alors que, « s’il y a un Dieu, il ne faut aimer que lui », fr. 479, eux « qui ont connu Dieu », ils ont désiré « d’être aimés et admirés des hommes ». Fr. 463. Non seulement leur façon de concevoir Dieu est inutile et stérile, mais elle est dangereuse. Ils connaissent Dieu sans connaître leur misère et cela fait « leur superbe » et, par conséquent, leur malheur. Fr. 556, cf. fr. 547.

On le voit, si Pascal n’admet en aucune manière que l’on puisse atteindre par la raison seule cette certitude de l’existence de Dieu et cette science de Dieu, en fonction de l’homme, qu’assure la foi, du moins il ne nie pas que certaines âmes puissent arriver aux doctrines théoriques de la religion naturelle. Pourquoi ces âmes et non pas telles autres ? C’est que nous ne saisissons l’évidence de certaines démonstrations Hu’à la condition de certaines dispositions morales, d’un certain état d’âme, et cela est vrai surtout des démonstrations qui concernent Dieu, étant donnée i’aversio mentis a Dea qu’a laissée en nous le péché originel.

Étant donnée donc notre condition présente, « nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ ». Tous les faits dont il vient d’être question le prouvent. « Ceux qui ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans Jésus-Christ n’avaient que des preuves impuissantes. » Fr. 547, cf. fr. 556. C’est que, par la charité, Jésus-Christ met notre âme dans les dispositions morales voulues. A ceux « qui ont la foi vive dédans le cœur, prouvez la divinité par les ouvrages de la nature ; ils voient incontinent que tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage du Dieu qu’ils adorent ». Fr. 242. Et ainsi, « hors de Jésus-Christ, hors de l’Écriture, sans le péché originel, sans médiateur promis et arrivé », c’est-à-dire sans tenir compte de ces faits qu’affirment l’histoire et la révélation, « on ne peut absolument prouver Dieu », autrement dit prouver avec une certitude que rien ne puisse ébranler le Dieu par qui tout s’explique.

Tout ceci n’empêcha pas le jésuite Hardouin, d’ailleurs « un peu piqué », Sainte-Beuve, loc. cit., p. 395, de mettre Pascal au nombre des athées dévoilés, parce qu’il aurait soutenu le Dieu abstrait et mort des cartésiens, et non le Dieu vivant !

d. L’homme et l’immortalité de l’âme. — Pour Pascal, il n’y a pas d’autre homme que l’homme déchu. Cet homme déchu, la raison est incapable de l’expliquer par elle-même, mais elle ne peut que confirmer la doctrine révélée.

Il faut remarquer ces deux points : « Lui, qui se moquait de la matière subtile, et qui ne pouvait souffrir sa manière (de "Descartes) d’expliquer la formation de toutes choses, il était de son sentiment sur l’automate », si l’on en croit Marguerite Périer, t.xii, p. 98, n. 1.

Quant à l’immortalité de l’âme, Pascal a souligné l’importance de cette question, « sur laquelle notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir », fr. 194 ; en comparaison de laquelle le problème soulevé par Copernic n’est rien, fr. 218, et « qui creuse un abîme entre la morale ancienne et la morale moderne », Brochard, La morale ancienne et la morale moderne, dans Revue philosophique, janvier 1901, cité dans Œuvres à propos du fr. 219, n. 1. TJn homme raisonnable se doit donc d’ « examiner à fond, si cette opinion — l’âme est immortelle — est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d’elles-mêmes, ont néanmoins un fondement très solide et inébranlable ». Fr. 194. Pour lui, il l’annonce, fr. 556, cette immortalité, pas plus que l’existence de Dieu et pour les mêmes motifs, il n’entreprendra de In démontrer. A l’athée qui

cherche, la lumière viendra sur ce point comme sur les autres à l’heure de « l’inspiration ». Avec l’athée endurci, c’est-à-dire qui ne cherche pas, une telle démonstration serait vaine ; autant vaudrait lui faire accepter, par des raisons naturelles, la Trinité. Ibid. L’immortalité de l’âme est de ces vérités que voient seules les âmes de bonne volonté. Mais Pascal a non moins affirmé que Descartes l’hétérogénéité absolue de la pensée, en quoi consiste la grandeur de l’homme, et des phénomènes matériels, de l’esprit et du corps. Fr. 793. « Les philosophes ont dompté leurs passions, quelle matière l’a pu ? » fr. 349 ; « si un animal faisait par esprit, ce qu’il l’ait par instinct », fr. 342, et « instinct, raison, marques de deux natures ». Fr. 344. Incompréhensible que l’âme soit avec le corps », fr. 230, mais « tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être ». Fr. 430. « C’est une maladie naturelle à l’homme de croire qu’il possède la vérité directement et… il est toujours disposé à nier tout ce qui lui est incompréhensible » ; en réalité, « il ne connaît que le mensonge et il ne doit prendre pour véritables que les choses dont le contraire lui paraît faux. C’est pourquoi, toutes les fois qu’une proposition est inconcevable, il faut… ne pas la nier à cette marque, mais en examiner le contraire et, si on le trouve manifestement faux, on peut affirmer la première, tout incompréhensible qu’elle soit. » De l’esprit géométrique. t. ix. p. 259. Or. les athées qui nient l’immortalité de l’âme ou l’âme tout simplement, devraient dire làdessus « des choses parfaitement claires », mais « il n’est point parfaitement clair que l’âme soit matérielle ». Fr. 221. Le contraire reste donc vrai.

Pascal n’admet donc pas la religion naturelle. Sans doute « elle serait plus proportionnée aux habiles, mais elle ne servirait pas aux peuples ». Fr. 556. Et même « aux habiles », elle serait de maigre secours, étant, comme Descartes, un de ses protagonistes, quoi qu’il en veuille, « inutile et incertaine ». Au fond « le déisme est presque aussi éloigné » de la religion qui mérite vraiment le nom de religion, « la chrétienne, que l’athéisme qui y est tout-à-fait contraire ». Newman aimera de même à répéter « qu’entre le catholicisme et l’athéisme, il n’y a pas de lieu de repos et que le théisme n’est pas une position intermédiaire tenable ».

e. Pour déterminer les lois de la morale privée et de la justice sociale, la raison montre la même impuissance à « travailler à bien penser », c’est-à-dire à juger des choses selon leur vraie valeur ; « voilà le principe de la morale », fr. 347 ; or, la raison n’y saurait suffire à elle seule. Certes il y a des lois naturelles, mais, outre qu’il n’était point de sa fonction native de découvrir les principes, depuis le péché originel, « corrompue, elle a tout corrompu ». Fr. 294. Les philosophes, les législateurs ont inventé des systèmes cohérents de morale ou de gouvernement et de police, mais les principes d’où ils sont partis, on l’a vii, leur sont fournis par toute autre chose que la justice. Une preuve de fait, c’est que ces systèmes se contredisent, et il n’y a pas à s’en étonner : les philosophes ont été incapables de déterminer de façon fixe et certaine le but suprême auquel tous nos actes doivent se rapporter, le souverain bien. Et, dans l’application des meilleures doctrines, nul doute que notre raison ne subisse l’influence corruptrice de la concupiscence ; cf. fr. 99.

Pas plus donc qu’une religion naturelle, une morale naturelle n’est pratiquement possible, et aucune législation, aucune institution sociale ne peut se donner comme rationnelle. Aucun gouvernement, aucune législation d’inspiration uniquement humaine ne peut se dire l’expression de la justice. Se souvenant de la Fronde toute proche, cf. fr. 878, et des prétentions parlementaires, Pascal écrit : « L’art de fronder, bou-