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PASCAL. PHILOSOPHIE, PRINCIPES DE CONNAISSANCE


proclamé la vanité de la science, fr. (il, de la métaphysique, fr. 79, de tout ce qui n’est pas la science de l’homme, fr. 66, et de l’homme ordonné à Dieu. Fr. 144, 150, 524.

On a constaté que ce pragmatisme avait « des étroitesses », Baudin, ibid., p. 69, mais il ne faut pas oublier que Pascal poursuit un but précis et que, si ce pragmatisme était dans la mentalité de Port-Royal, il s’imposait aussi à Pascal par la mentalité des libertins à qui il s’adressait.

Les trois ordres ou l’échelle des valeurs.

Considérant

les choses de plus haut et plus largement et inspiré sans doute par le dualisme cartésien, Pascal distingue dans l’homme et relativement à l’homme, trois ordres dont « chacun pose une transcendance par rapport à l’ordre inférieur, de sorte que le passage ascendant est impossible ». Blondel, cité par Chevalier, loc. cit., p. 322, n. 1 : l’ordre du corps livré « aux grands de chair » ; « à une distance infinie », l’ordre des esprits ou de la science, où « les grands génies ont leur empire », et enfin, « à une distance infiniment plus infinie », l’ordre de la charité, l’ordre de Dieu, « où les saints ont leur empire » et où Jésus-Christ est roi.

Si Pascal a « trop profondément accentué les oppositions qui distinguent les êtres », Janssens, loc. cit., p. 383, néanmoins « le fait d’avoir mis en relief l’idée de valeur et d’y avoir montré la révélation d’une puissance spéciale de la réalité constitue ce que l’histoire de la philosophie pourrait appeler à bon droit la révolution pascalienne, historiquement aussi importante que la révolution cartésienne. Car elle a été le point de départ de toutes les philosophies des valeurs qui se sont constituées depuis. » Baudin, loc. cit., p. 68.

Les moyens de connaître.

1. Les sens ou l’expérience

que nous livrent les faits. — Le réel existe et le fait commande. Où il se constate, l’autorité n’a qu’à s’incliner, celle des anciens dont le respect est si contraire au progrès, cf. Fragment d’un traité du vide, t. ii, p. 138-141, même celle de l’Église, cꝟ. 17e Provinciale, et dans la 75e, à propos du décret qui condamna Galilée : « Ce ne sera pas cela qui prouvera que la terre demeure en repos », t. vii, p. 54. De même « le consentement universel : « Si l’on avait des observations constantes qui prouvassent que c’est elle qui tourne, tous les hommes ensemble ne l’empêcheraient pas de tourner », ibid. ; de même encore la raison. Les sens nous livrent les faits, c’est-à-dire certains aspects passagers du réel ; « leurs appréhensions sont toujours vraies », fr. 9 ; mais dans l’interprétation de ces appréhensions notre raison peut se laisser troubler par les causes d’erreur qui pèsent sur tous nos jugements.

2. La raison et le cœur, « dont la gamme constituant la pensée », Chevalier, La méthode de connaître selon Pascal, dans Revue de métaphysique et de morale, 1923, p. 189, partant des données des sens achève de nous faire connaître le réel et lui confère une véritable grandeur. Sur cette question, cf..1. Laporte, Le cœur et la raison selon Pascal, dans Revue philosophique, 1927, t. i, p. 93 sq.

a) La raison. — Ce mot signifie, dans la langue de Pascal, la faculté d’analyser, d’abstraire et de généraliser, de comprendre et de déduire.

Cette faculté a ses limites : limites naturelles d’abord : à priori, l’on peut affirmer que notre entendement ne saurait saisir tout le réel en étendue ou en profondeur, puisque lui-même est le fini, et le réel l’infiniment grand et l’infiniment petit. Fr. 72. Puis, là même où la raison atteint le réel, elle n’explique pas à elle seule la connaissance que nous en avons. Enfin et surtout, depuis la chute originelle, sans avoir été en elle-même altérée ou diminuée, et tout en restant, comme auparavant, capable de connaître, elle n’a plus son libre jeu. Dépendant de la volonté, qui est « un des princi paux organes de la créance », fr. 99, en ce sens que les tendances et la « coutume » dont elle est la source dictent nos jugements, mais qui, depuis la chute, étant l’inclination dominante, comme l’a bien dit saint Augustin, se trouve être, par conséquent, dans l’âme que n’a pas transformée la charité, l’amour-propre ou les trois concupiscences, la raison est le jouet des puissances trompeuses et entraînée aux pires erreurs. « Rien n’est si opposé à la vérité que l’amour-propre. » Fr. 571. « Si donc il est des matières, comme la géométrie, c’est-à-dire les mathématiques, la physique ou l’astronomie, où l’amour-propre n’intervient pas directement, la raison retrouve son libre jeu et est capable d’immenses progrès continus. De là vient que, non seulement chacun des hommes s’avance de jour en jour dans les sciences, mais que tous les hommes ensemble y font un continuel progrès, parce que la même chose arrive dans la succession des hommes que dans les âges différents d’un particulier. » Traité du vide, loc. cil. Dans l’ordre moral, social et surtout religieux, il en va tout autrement.

C’est donc à la géométrie qu’il faut demander la méthode rationnelle idéale ; « la méthode de ne point errer est recherchée par tout le monde », dit Pascal, Art de persuader, t. ix, p. 287. Les logiciens font profession d’y conduire ; les géomètres seuls y arrivent. C’est donc la démonstration. Mais, « hors de la géométrie et de ce qui l’imite, il n’y a point de véritables démonstrations >. Pascal répudie donc la méthode logique ou scolastique, dans saint Thomas, comme « ne gardant pas l’ordre », fr. 61, dans Charron, à cause « des divisions qui attristent et qui ennuient ». Fr. 62. « La logique a emprunté les règles de la géométrie sans en comprendre la force. » Art de persuader, loc. cit., p. 287. A quoi Barthélémy Saint-Hilaire répond : Les mathématiques ont presque la forme pure, la forme idéale de la logique. Les mathématiques en tirent vanité et c’est avec raison. Seulement il ne faut pas qu’elles essaient de dérober la logique en se substituant à elle. C’est Leibnitz qui a pleine raison quand il dit contrairement à Pascal : « La logique des géomètres est une extension ou promotion particulière de la logique générale. Les mathématiciens empruntent donc la puissance de leur forme à la logique loin de la lui donner. » Cité par Havet, Pensées, t. 11, p. 314.

En conséquence de tout ce qui précède :

a. Si en géométrie la raison peut atteindre la vérité dans un progrès continu, elle ne saurait à elle seule justifier la certitude que nous y trouvons. Elle la justifierait, s’il lui était possible « de définir tous les termes et de prouver foutes les propositions ». Mais, à cela, « les hommes ne sauraient jamais arriver ». A force d’analyser, on arrive « nécessairement à des mots primitifs que l’on ne peut plus définir et à des principes si clairs que l’on n’en trouve plus qui le soient davantage ». Ainsi, la géométrie ne saurait définir « aucune des choses qu’elle a pour principaux objets, ni le mouvement, ni les nombres, ni l’espace », ni le temps, car le mouvement et le temps sont relatifs l’un à l’autre. Évidemment, « ce manque de preuve n’est pas un défaut, mais une perfection ». Il prouve « l’extrême évidence de ces notions ». « II n’en est pas moins vrai que la raison les accepte et ne les démontre pas. » De l’esprit géométrique, t. ix, p. 255 ; cf. fr. 233.

b. Pour la nature qui va de l’infiniment grand à l’infiniment petit, Descartes, après d’autres comme Démocrite, cf. fr. 79, a tenté d’en donner une explication rationnelle adéquate. « Cela se fait, a-t-il dit, par figure et par mouvement. » Sans doute « en gros… cela est vrai ». Mais Descartes, après les mêmes autres. a essayé « de composer la machine » et l’on a eu des ouvrages avec lifres fastueux. Des principes des choses.