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PASCAL. LES PENSÉES, IIe PARTIE
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Fr. 556. Cf. Stapfer, Une histoire du sentiment religieux, dans Revue des Deux Mondes, 1908, t. vi, p. 312 : l’auteur dit de saint François de Sales : « C’est une chose remarquable que cet aimable évêque, qui offre avec Fénelon tant de ressemblances, ne se soit pas amusé aux preuves physiques de l’existence de Dieu, quoiqu’il aimât la nature. »

Descartes arguant a conlingentia mundi, fr. 469, ou partant de la nécessité du premier moteur, car il a bien été obligé de faire donner par Dieu « une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement », fr. 77, a pu se démontrer l’existence de Dieu. On peut dire aussi qu’il y a une vérité substantielle, « voyant tant de choses vraies qui ne sont pas la vérité même », fr. 233 ; u que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles et dépendant d’une première vérité en qui elles subsistent et qu’on appelle Dieu. » Fr. 556. Cf. Bossuet, De la connaissance de Dieu, c. iv, § 5. Ces preuves métaphysiques peuvent être préférables aux preuves physiques, mais « elles sont si éloignées du raisonnement des hommes, qu’elles frappent peu, et, quand cela servirait à quelques-uns, ce ne serait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais, une heure après, ils craindraient de s’être trompés ». Fr. 543. Cf. fr. 547 ; et fr. 78 : « Descartes incertain. »

A quelle connaissance de Dieu aboutit d’ailleurs cet effort ? « Selon les lumières naturelles, s’il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible, puisque n’ayant ni parties, ni bornes, il n’a nul rapport avec nous ; nous sommes donc incapables de connaître ce qu’il est. » Fr. 233. Si, en effet, comprendre c’est ramener une chose à des idées claires et distinctes, donc délimiter, Descartes a raison d’écrire : « Il est de la nature de l’infini de ne pouvoir être compris par le fini », Principes, i, 39. Et à quoi servirait une connaissance purement rationnelle de Dieu et par conséquent purement notionnelle ? « Quand un homme serait persuadé », d’après les preuves métaphysiques, « qu’il y a un Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup plus avancé pour son salut. » Fr. 556. Il ne connaîtrait que « le Dieu des philosophes et des savants », Mémorial, un Dieu abstrait et non le Dieu réel, concret, « qui fait sentir à l’âme qu’il est son unique bien ». Fr. 544. Cf. fr. 549. « Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer ! » Fr. 280. Cf. fr. 491 : « La vraie religion doit avoir pour marque d’obliger à aimer Dieu » ; et Bossuet, loc. cit., c. iv, § 1 : « Malheur à la connaissance stérile qui ne se tourne pas à aimer. » Ainsi, conclut Pascal, « toute la philosophie ne vaut pas une heure de peine », fr. 79, et il abandonne la religion naturelle ou le déisme à toutes les critiques des incrédules. Fr. 556.

4. Mais qui se trouve placé dans l’ordre du cœur ou de la charité, c’est-à-dire du cœur inspiré par la grâce, a de Dieu une connaissance certaine et la seule utile. — C’est sur ce plan supérieur que se concilient toutes les contradictions où s’épuise la raison.

Dès lors, « c’est le cœur qui sent Dieu et non la raison ». Fr. 278. Mais ce n’est pas le cœur corrompu par le péché, où est substitué à l’amour de Dieu l’amour de soi ; c’est le cœur purifié, retourné par la grâce qui y a rétabli l’ordre et substitué à l’amour de soi l’amour de Dieu : « Dieu fait sentir à cette âme qu’il est son unique bien, que tout son repos est en lui, qu’elle n’aura de joie qu’à l’aimer », fr. 544 ; c’est le cœur à qui il se fait ainsi connaître : « Voilà ce que c’est que la foi : Dieu sensible au cœur, non à la raison. » Fr. 278. Où il n’y a pas « sentiment du cœur », la foi « n’est qu’humaine et inutile pour le salut ». Fr. 282.

Et cette connaissance de Dieu est aussi certaine que toute autre connaissance par le cœur. « Ceux à qui Dieu a donné la religion par sentiment du cœur sont bien heureux et bien légitimement persuadés. » Jbid. Le

Dieu ainsi connu est autre que le « Dieu des philoso phes et des savants », Mémorial, ou que le Dieu « auteur des vérités géométriques et de Tordre des éléments : c’est la part des païens et des épicuriens », ou qui exerce sa providence, pour donner une longue suite d’années à ceux qui l’adorent : « c’est la portion des Juifs. » fr. 556 ; c’est « le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu de Jésus-Christ ». Mémorial, « un Dieu d’amour et de consolation qui remplit l’âme et le cœur qu’il possède, un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère et sa miséricorde infinie, qui s’unit au fond de leur âme, qui la remplit d’humilité, de joie, de confiance, d’amour, qui la rend incapable d’autre fin que de lui-même. » Fr. 556 ; cf. fr. 286. Ce Dieu, Pascal le connaissait bien par sa propre expérience. Cf. le Mémorial.

5. Comment l’homme s’élève-t-il à l’ordre de la charité ?

— Ce n’est certes pas par lui-même ; la chose est impossible, puisqu’il ne peut aimer que lui-même. Aussi « la foi est un don de Dieu » et non « un don de raisonnement ». Fr. 279. Cela est, on l’a vii, « d’un autre ordre, infiniment plus élevé, surnaturel ». Fr. 793. D’ailleurs, « impossible que Dieu soit la fin, s’il n’est le principe ». Fr. 488. Et ainsi l’on passe d’un seul coup de la nature à la grâce et non par une lente ascension. Cf. fr. 248.

Mais, puisque l’homme ne peut aimer que lui-même depuis le péché originel qui ne peut être supprimé, et que la concupiscence lui est comme une seconde nature, lui est-il possible d’aimer Dieu ? — - Cela se peut si l’homme devient « membre de Dieu ». Incorporé à Dieu, il trouve son bien propre à aimer Dieu. « Être membre c’est n’avoir de vie, d’être et de mouvement que par l’esprit du corps et pour le corps… Le membre séparé, ne voyant plus le corps auquel il appartient, croit être un tout, et veut se faire centre et corps lui-même. Mais il ne fait que s’égarer et s’étonne dans l’incertitude de son être… Enfin, quand il vient à se connaître, il ne s’aime plus que pour le corps. » Par sa nature « il ne pourrait aimer que soi-même. « Mais en aimant le corps, il s’aime soi-même, parce qu’il n’a d’être qu’en lui, par lui, pour lui : qui adhteret Deo unus spirilus est. » Fr. 483. Cf. Fragments sur les membres, 474-483.

Tout cela se fait par Jésus-Christ médiateur. Le problème de Dieu devient le problème de Jésus-Christ. — Mais cst-il possible que l’homme « déchu, devenu semblable aux bêtes », devienne membre de Dieu « et comme participant de sa divinité ». Fr. 434. Oui, par la médiation de celui en qui toutes les contradictions sont accordées, fr. 684, de Jésus-Christ, homme-Dieu. Partageant son humanité, l’homme en lui s’unit h Dieu et en lui est introduit dans « 1 "ordre de sainteté et de charité ». Fr. 793. « Nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ. Sans ce médiateur, est ôtée toute communication avec Dieu. » Fr. 547 ; cꝟ. 242 : Nemo novit Patrem, nisi Filius, et cui volueril Filius revelarr. C’est, du reste, la seule façon utile de connaître Dieu : « Quod curiositale cognoverunt, superbia amiserunt. C’est ce que produit la connaissance de Dieu qui se tire sans Jésus-Christ. » Fr. 543 ; cꝟ. 556. « Sans l’Écriture, sans le péché originel, sans médiateur nécessaire promis et annoncé, on ne peut prouver absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine, ni bonne morale. Mais, par Jésus-Christ et en Jésus-Christ, on prouve Dieu, et on enseigne la inorale et la doctrine. Jésus-Christ est donc le véritable Dieu des hommes. » Fr. 547. L’homme doit donc s’unir parla foi à ce « Rédempteur qui, unissant en lui les deux natures, humaine e1 divine, a retiré les hommes de la corruption du péché, pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine >. Fr. 556.

Le problème de Dieu devient ainsi le problème du Christ.