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PASCAL. LES PENSEES, ANALYSE


totalement sa Providence, celles aussi de la critique historique qui s’établit, de la critique biblique qui s’inaugure et aussi des découvertes géographiques qui font voir autrement les religions et l’humanité.

Ces libertins, honnêtes hommes, sont bien différents des incrédules vulgaires et vicieux dont Fr. Lachèvre a étudié les œuvres et la vie et qui publiaient les Quatrains du déiste, 1622. Mais ils sont loin encore des philosophes du xviiie siècle ; non seulement ils n’ont pas de ceux-ci l’esprit agressif contre le catholicisme, mais on ne saurait, à proprement parler, leur attribuer un système philosophique nettement déterminé. Ils sont sortis des croyances traditionnelles et la plupart éprouvent la plus tranquille indifférence à l’égard de ces croyances qui n’ont plus pour eux ni valeur ni intérêt. Comment accepteraient-ils encore la déchéance originelle et l’impuissance morale de l’homme, quand ils savent la hauteur morale de l’âme antique, telle que l’a faite la sagesse stoïcienne, ou la nécessité d’une révélation, quand ils voient de leurs yeux la puissance créatrice de l’homme et son savoir ? Vraiment l’homme n’a que faire du surnaturel : il se suffit à lui-même. Sa raison lui fournit l’explication du monde sans création et lui fixe un idéal moral qui n’a pas besoin d’un au-delà mystique pour être très haut ; dans sa volonté, il trouve, sans la grâce, la force de cet idéal. S’ils ont une religion, ce n’est que le déisme.

Or, Pascal veut non seulement convaincre ces libertins de leur erreur, mais les ramener à la foi, les jeter aux pieds de ce Jésus-Christ dont ils croient n’avoir pas besoin ; ou plutôt, il en est certain, il ne peut vraiment les convaincre que par le retour à la foi, et ce retour dépend de Dieu : « Les vérités divines sont infiniment au-dessus de la nature, Dieu seul peut les mettre dans l’âme. » Art de persuader, t. ix, p. 271. Mais la grâce a ses instruments : une apologie peut être un de ces instruments. Mais la grâce a sa voie : « Dieu a voulu que les vérités divines entrent du cœur dans l’esprit et non de l’esprit dans le cœur », ibid., p. 272 : l’apologiste s’efforcera donc d’abord de provoquer dans les âmes une bonne volonté que seule la grâce y établira d’une manière efficace, puis passera à la démonstration. Pourquoi s’en étonner ? Dans les sciences humaines qui intéressent l’ordre moral, il faut certaines dispositions morales pour que ces dispositions apportent la certitude. Cf. Filleau, Qu’il y a des démonstrations d’une autre espèce et aussi certaines que celles de la géométrie.

De là, cette pression passionnée que Pascal va faire non seulement sur l’intelligence du libertin, mais sur son âme tout entière qu’il connaît à fond. De là aussi, et parce que sa charité l’éclairé, il prendra pour point de départ, non pas Dieu : Dieu n’intéresse pas cet incrédule, mais l’homme lui-même : de l’homme il s’élèvera à Dieu.

    1. PREMIÈRE PARTIE##


PREMIÈRE PARTIE. — PRÉPARATION 1>E L’AME A RECEVOIR LA DÉMONSTRATION DE I.A VÉRITÉ CHRÉ-TIENNE.

Introduction.

Il faut être insensé pour n’examiner

pas la question de la religion.

fl n’y a que trois sortes de personnes : les unes, qui suivent Dieu, l’ayant trouvé ; les autres qui s’emploient à le chercher, ne l’ayant pas trouvé ; les autres qui vivent sans le chercher, ni l’avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux (cf. Mémorial, « Joie, joie… » ) ; les derniers sont fous et malheureux ; ceux du milieu sont malheureux et raisonnables. » Fr. 257. Pascal écrit moins pour ceux-ci : la lumière n’est pas loin d’eux (cf., fr. 553, Le mystère de Jésus. « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais pas trouvé » ), que pour « ces fous et malheureux », les libertins qui ne cherchent même pas Dieu. Ils sont irritants à la fin. « Sur toutes les autres choses », ils s’inquiètent ; sur cette seule question, « où il s’agit d’eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout » : y a-t-il un Dieu et avons-nous une âme immortelle ? ils demeurent indifférents. Et ils se vantent de l’être : c’est « monstrueux ». — Nous avons interrogé notre raison ; elle ne nous a pas éclairés. — Étudiez la religion, elle vous donnera des réponses précises.

De ces indifférents, les uns affectent leur indifférence, mais ils ne l’éprouvent pas ; on leur a dit « qu’elle était dans les belles manières du monde et ils l’ont cru ». Qu’ils y réfléchissent : leur attitude est « opposée à la simple honnêteté » et en réalité « éloignée de ce bon ton qu’ils cherchent ». Qu’ils renoncent donc à cette attitude et cherchent Dieu de tout leur cœur, à travers ces pages qui sont écrites pour eux. Les autres sont de véritables impies. Qu’ils lisent du moins ce qui suit : « quelque aversion qu’ils y apportent, peut-être rencontreront-ils quelque chose. » Fr. 194 et 195.

2° Il y a un problème de l’homme que seule résout la religion de Jésus-Christ. — 1. Le problème de l’homme. L’homme se résume en contradictions. — a) L’homme est loin de se suffire à lui-même. Sa misère sans Dieu. — L’homme se suffit à lui-même et la vie à elle-même. L’homme trouve dans sa raison la lumière nécessaire, dans sa volonté, la force morale utile ; ses instincts lui sont une loi sûre de vie individuelle et sociale et son savoir, toujours en progrès, lui permettra d’améliorer toutes choses indéfiniment. Voilà ce que disent les libertins. - — Tout cela n’est qu’illusion, répond Pascal.

a. L’homme dans la nature. Effrayante disproportion. - Que l’homme se considère d’abord au milieu des

choses, dans l’univers. Comme Pascal l’a déjà dit dans VEsprit géométrique, t. ix, p. 270, l’homme se verra entre l’infininient grand où « son imagination se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir », et par lequel il se sentira écrasé, et l’infiniment petit, au terme duquel un esprit travaillant « sans fin, sans repos », ne peut arriver ; dans ce « raccourci d’atome », il trouvera toujours « une immensité », tandis qu’en face il se verra « un colosse, un monde », et il sera dérouté. Gardera-t-il alors sa belle assurance et ne sera-t-il pas « effrayé de lui-même » ? Fr. 72.

b. Combien sa puissance de connaître est insuffisante.’— Il ne connaît le tout de rien. Qui comprend, domine. Pour supprimer l’effroi, il n’y a qu’à comprendre. Oui, mais vous n’y pouvez prétendre. Comment arriveriez-vous à comprendre les principes des choses, autrement dit, « leur double infinité », et dès lors « à connaître le tout » ? « Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature. » Nous sommes « incapables de savoir certainement et d’ignorer absolument ». C’est tout. Ibid.

Et, parce qu’il ne peut connaître le tout, l’homme ne peut même connaître « les parties avec lesquelles il a proportion ». Tout se tient, en effet, « toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes » ; la loi de continuité empêche « de connaître la partie sans connaître le tout ». Si l’homme d’aujourd’hui connaît plus que ses ancêtres, qu’il ne s’enorgueillisse pas : « il est toujours infiniment éloigné de tout », comme sa vie, durât-elle « dix ans davantage », n’en est pas moins « infiniment éloignée de l’éternité ». Ibid.

D’ailleurs, l’homme trouve en lui-même un obstacle à connaître vraiment. Les choses « sont simples en elles-mêmes et lui composé de deux natures. Au lieu de recevoir les idées de ces choses pures, nous les teignons de nos qualités ». C’est ainsi que les philosophes « confondent les idées des choses et parlent des choses