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PASCAL. LES PENSEES. SOURCES


de tout cela, il y aurait lieu de considérer quelque chose de beaucoup plus important encore, qui est l’esprit même de Pascal. » Ibid., p. 290. De certaines idées communes à lui et à Saint-Cyran ou à Arnauld, Pascal fait sans doute « une application beaucoup plus étendue et plus profonde ». N’importe, « entre Port-Royal et Pascal, on peut discerner plus qu’une communauté d’opinion : une certaine parenté quant à la manière de penser ». P. 291.

Enfin, ce que l’on appelle la troisième conversion de Pascal repose sur une fausse interprétation des textes et des faits.

Et J. Laporte conclut, p. 304 : « Pascal ne se laisse pas séparer de Port-Royal. »

Et il semble bien qu’il ait raison. Voir plus loin, La théologie et La philosophie de Pascal.

5° Les sources des Pensées. — Pascal tire moins des livres que de son expérience, de sa connaissance des âmes et de la vie. « On n’ôtera jamais à Pascal cette maîtrise en la science de l’homme, qui est un privilège dans la famille des grands esprits, ce sens admirable des conditions concrètes de notre nature et des options qu’elles exigent. » Maritain, Pascal apologiste, dans Revue hebdomadaire, juillet 1923, p. 187.

Toutefois, les Pensées supposent un fond de connaissances acquises. On a vu quelles avaient été la première éducation de Pascal et la première orientation de ses travaux. Mais depuis, et en la compagnie de Méré, et dans le milieu de Port-Royal, et en face des tâches qu’il acceptait ou s’imposait : Provinciales, Écrits sur la grâce, il s’était appliqué à acquérir ; en face de l’Apologie, il s’y applique plus encore et avec ce but précis. Les Pensées révèlent en lui une connaissance approfondie de l’Ancien et du Nouveau, Testament, cf. J. Lhermet, loc. cit. Mais connaît-il les Pères ? Évidemment il connaît à fond l’Augustinus et, dans son enfance et sa jeunesse, Etienne Pascal lui a fait connaître les Pères, comme on peut les connaître à cet âge. Mais a-t-il lu saint Augustin dans ses œuvres et a-t-il approfondi cette première connaissance des Pères ? M. de Saci, dans l’Entretien, l’admire de ce que, n’ayant point lu les Pères, il a trouvé les mêmes vérités qu’ils avaient trouvées et de ce qu’il se rencontre avec saint Augustin. Mais l’Entretien est de 1055 et l’on a vu l’importance exclusive que le jansénisme donne à la Tradition. Jusqu’à quel point donc a-t-il comblé cette lacune ?

Il est d’autant plus difficile de le savoir qu’il a pu s’aider « de répertoires comme celui de M. de Luynes, cet ami de Port-Royal, Sentences tirées de l’Écriture et des Pères, par M. de Laval, cf. É. Baudin, Revue des sciences religieuses, janvier 1924, Chronique d’histoire de la philosophie moderne, p. 106. « Rien ne donne à penser qu’il ait lii, ni saint Thomas, ni Duns Scot, ni Suarez, ni même aucun des anciens docteurs augustiniens vers lesquels aurait dû l’orienter son propre augustinisme. » Jd., ibid., p. 105. Il n’aime pas en effet la scomstique, comme savant ; cf. Caillât, loc. cit., vi, Pascal adversaire des péripatéliciens, et il partage l’animosité de Port-Royal contre son intellectualisme, sa confiance en la raison, sa méthode rationnelle et ses synthèses théologiques ; comme Port-Royal, à la théologie rationnelle, il préfère la théologie positive qui fait connaître la Tradition. « J’ai déjà bien reconnu deux ou trois fois que vous n’êtes pas bon scolastique », lui dit le Père casuiste, -5e Provinciale, p. 315. Est-il au courant de tout ce travail religieux de son temps qu’ont exposé H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux, t. m et iv, et P. Pourrat, La spiritualité chrétienne, t. iv, Les temps modernes, car il y a alors en France d’autres écoles que Port-Royal et l’école adverse ? Il connaît, cela est certain, le Traité de l’amour de Dieu de saint François de Sales et les ouvra ges où Bertille et quelques-uns de ses disciples, fidèles à Paugustinisme, combattent le molinisme et l’humanisme dévot. Des apologies de son temps, il a lu le Pugio fidei christianorum ad impiorum perfidiam jugulandam et maxime judirorum, de Raymond Martin, dont Joseph de Voisin vient de donner une édition, Paris, 1651, le De verilate religionis christiamr liber, de Grotius, 1636, dont Mézeraꝟ. 1619, et Beauvois, 1659, ont donné des traductions ; sans doute des apologies secondaires qui s’inspirent de ces critiques. Cf. fr. 715. Mais il est diflicile d’admettre, quoi qu’on en ait dit, qu’il ait connu les apologies de peu de valeur que publiaient, en 1666, Jean Belin et Beurrier, curé de Saint-Étieniie-du-Mont. Cf. Vulliaud, Du nouveau sur Pascal, dans Mercure de France, 15 novembre 1923, p. 106-129, et Maire, t. iv, p. 9-10.

Des philosophes anciens, en dehors d’Épictète, il ne parait avoir qu’une connaissance superficielle ou vague. « Il fait d’Épictète et de Montaigne les représentants et les porte-parole de toute la spéculation antique, réduite elle-même, non moins sommairement, aux débats du dogmatisme et du pyrrhonisme. » Baudin, loc. cit., p. 104. Il possède en revanche Montaigne, le maître de ces libertins qu’il combat et, par lui, l’Apologie de Raymond Sebond, si opposée à celle qu’il rêve. Il connaît Pierre Charron, Hobbes et son De cive ; enfin rien ne lui échappe de la pensée cartésienne.

Peut-être enfin connaît-il plus d’auteurs profanes que l’on ne dit ordinairement. Cf. R. Harmand, Les Pensées de Pascal et le De conlemptu mundi de Pétrarque, dans Revue d’histoire littéraire, 1904, p. 104-108.

Analyse.

Remarque préliminaire.  — Toute

apologie dépend de ceux auxquels et le s’adresse. Celle-ci dépend donc des libertins.

Dans la première moitié du xviie siècle, en eflet, malgré le triomphe officiel de la réforme catholique, se constate un courant de libre pensée, né de l’humanisme d’abord littéraire, puis philosophique des xv «  et xvie siècles, et favorisé par les guerres de religion. « Pendant tout le xvie siècle, dit M. Bréhier, Y a-t-il une philosophie chrétienne ? dans Revue de métaphysique et de morale, avril-juin 1931, p. 151, on voit la pensée osciller entre deux partis opposés : un rationalisme antichrétien et une foi chrétienne antirationaliste. D’un côté, les Padouans ; de l’autre, Montaigne ; …l’un et l’autre parti s’accordant à séparer complètement la pensée philosophique de la religion ; l’un qui aboutit à une construction rationnelle incompatible avec la religion ; l’autre qui ne peut voir dans une raison débile un adversaire sérieux. » Pascal qui a vécu dans l’intimité de Méré, les connaît bien, les libertins de son temps, ces hommes du monde qui sont, en philosophie ou en religion, les disciples des Padouans, Pomponazzi, Cremonini, Cardan, Vanini, Giordano Bruno, Campanella, et qui ont appris d’eux à mettre en doute les preuves traditionnelles de l’existence de Dieu, de l’immortalité de l’âme, le miracle et donc la divinité de Jésus-Christ et à faire de leur raison la mesure des choses, ou des Français comme Rabelais, Bodin, Charron, dont la Sagesse, 1601, détruit l’apologie des Trois vérités, 1597, et surtout Montaigne. Cf. Strowski, Pascal et son temps, 3 vol. Paris. 1910-1913, t., De Montaigne à Pascal ; Charbonnel, La pensée italienne au XVIe siècle et le courant libertin. Paris, 1919 ; Busson, Les sources et le développement du rationalisme dans la littérature française de la Renais sance, Paris, 1922, et L’influence du De incantationibus de Pomponazzi sur la pensée française, dans Revue de littérature comparée, 1 929, p. 308-347. A ces in fluences, se sont ajoutées celle de Descartes, qui a fait tout ce qu’il pouvait pour donner à sa philosophie un caractère chrétien, mais qui a exalte la puissance et l’indépendance de la raison, rendu quasi inutile le Créateur cl