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PASCAL. LES PENSÉES, INSPIRATION GÉNÉRALE


avaient développé en son esprit le germe de rancunes fécondes ». Ibid., p. 142. « S’il avait eu le temps de terminer son livre, Pascal, dans la partie dogmatique, aurait tenté de montrer dans les jansénistes les seuls vrais disciples de Jésus ; dans une partie agressive, il se serait acharné à convaincre le grand public, que les adversaires de Port-Royal n’étaient pas de véritables chrétiens. » Loc. cit., c. i, L’Apologie, § 2, Le jansénisme des Pensées, p. 142. Pourquoi ? C’est que « les Provinciales n’avaient pas produit, sur les jésuites, l’effet qu’il en attendait ». Ibid., c. ii, La polémique, S 1, Les jésuites, p. 184. « Il s’est même fait un jansénisme à l’image de son esprit absolu », dépassant le jansénisme de Port-Royal. Ibid., p. 175. Cf. J. de Maistre, De l’Église gallicane, I. I, c. ix : le Pascal « scandalisant même les jansénistes par ses exagérations », serait le Pascal des Pensées.

G. Allais a réfuté M. Souriau : Sur une nouvelle interprétation des Pensées de Pascal, dans Revue internationale de l’enseignement, 15 mars 1897, et il conclut, p. 7 : « Je demande s’il est bien équitable de réduire Pascal à ce rôle étroit et si peu sympathique de sectaire, d’ennemi systématique des jésuites, de fanatique haineux et militant ? »

4. Les Pensées, apologie du catholicisme selon Port-Royal. — Reste donc cette solution à laquelle s’arrêtent la plupart des critiques : les Pensées sont une apologie du catholicisme, et ceux à qui s’adresse Pascal, ce sont d’abord les libertins, ou, comme dit Etienne Périer, Préface de Port-Royal, loc. cit., p. 14, « ceux qui refusent de soumettre les fausses lumières de leur raison à la foi », puis les catholiques, qui ne vivent pas selon la pureté des maximes de l’Évangile. Mais la vraie foi n’est-elle pas celle de Port-Royal ? et parmi les mauvais catholiques auxquels s’adresse l’Apologie ne faut-il pas compter les adversaires de Port-Royal, les molinistes et les jésuites en particulier ? Sur cette question, les critiques se divisent. « )Les uns, MM.BIanchef, Blondel, Bremond, Chevalier, Giraud, Jovy, Maire, Slrowski, soutiennent que l’Apologie pascalicnne, dans son inspiration fondamentale, est affranchie de l’influence port-royaliste. Janséniste, dit M. Blondel, Revue de métaphysique et de morale, loc. cit., Le jansénisme et l’anti jansénisme de Pascal, Pascal l’a été plus qu’aucun autre », car « nul n’a plus senti que lui les raisons morales et les prétextes historiques du jansénisme. Mais antijanséniste, Pascal l’a été plus qu’aucun autre, si l’on considère le fond secret de la doctrine, les méthodes de pensée, le style même, les dispositions et les orientations ultimes de l’âme. » Son jansénisme « est superficiel, emprunté, occasionnel » ; … son antijansénisme, « inconscient d’abord et longtemps, est profond, personnel ». Si des formules ont parfois « la résonance janséniste », ces mêmes formules expriment « les vues les plus antijansénistes qui soient ». C’est déjà ce qu’a dit Vinet, pour faire des Pensées une apologie du protestantisme.

lui donnera-t-on comme preuves la très orthodoxe édition de Port-Royal ? Non. Sans dire, comme M. Souriau, loc. cit., p. 142 : « Il y a une telle falsification du livre de Pascal, que l’édition tendancieuse des jansénistes pourrait fort bien s’appeler Pensées de Pascal revues, corrigées et notablement afjaiblies, ou encore édition expurgée », il faut convenir que Port-Royal a voulu, à tout prix, des Pensées doctrinalement irréprochables. Ce passage, par exemple, d’après lequel un des approbateurs, l’évêque d’Aulonne, vante l’orthodoxie de l’Apologie : « Le corps n’est non plus vivant, sans le chef, que le chef sans le corps ; …toutes les bonnes œuvres sont inutiles hors de l’Église et de la communion du chef de l’Église », t.xii, p. clvi, est bien de Pascal, mais extrait d’une Lettre au duc de Roannez, t. vi, p. 216. Pourquoi l’a-t-on

inséré dans les Pensées, sinon pour en accentuer l’orthodoxie. « Le procédé est plus adroit que franc. » Souriau, loc. cit., p. 136.

Mais Pascal n’a pu vouloir que l’apologie du catholicisme qui était alors le sien. Or, au moment où il écrit ses Pensées, Pascal, insensiblement, par l’invisible travail de sa pensée, est arrivé au catholicisme pur et simple. C’est « une troisième conversion, suite et achèvement des autres ». De janséniste il est devenu lui-même et ainsi, dans les Pensées, pascalisme s’oppose à jansénisme.

La mort très catholique de Pascal prouvera cette conversion. « L’idée même d’une Apologie, la recherche d’une science et d’un art de la conversion n’est pas issue du jansénisme. Elle v échappe. Elle y remédie. » Blondel, loc. cit., p. 150-151. « Dans le détail de sa dialectique », Pascal, partant de thèses qui, prises littéralement, sont jansénistes, » s’élève à chaque moment et par chaque degré à une doctrine littéralement opposée ». Ainsi, thèses que celles-ci : « avant comme après la chute, la nature humaine est gouvernée par une concupiscence ou bonne, ou mauvaise », ibid., p. 151 ; « l’homme déchu est frappé de cécité sur sa propre fin et sur les vérités les plus essentielles », p. 152 ; « le vouloir humain est enchaîné à la concupiscence », p. 153… C’est que « la tendance du jansénisme, c’est de transposer en notionnel tout ce qu’il y a de plus réel, même dans la vie intérieure, dans la tradition historique et religieuse, dans l’expérience ascétique et mystique. La tendance de Pascal, tout au contraire, c’est de briser les cadres artificiels de toute idéologie, c’est d’atteindre au vif, au simple, à l’un », p. 150. Voir p. 159-161. Cf. Chevalier, Des rapports de la vie et de la pensée chez Pascal, dans Revue hebdomadaire, juillet 1923, p. 205-219.

b) D’autres critiques.au contraire, estiment que pascalisme et port-royalisme sont synonymes et que l’Apologie s’inspire de la même doctrine que les Provinciales auxquelles tout Port-Royal avait collaboré. Sainte-Beuve montre Pascal animé jusqu’au bout du même esprit que Saint-Cyran et Jansénius, « trois en tout et pour tout », constituant la vraie valeur de Port-Royal. Cf. loc. cit., p. 94 sq. C’est l’idée de Gazier, Brunschvicg, Laporte.

Pourquoi, demande J. Laporte, Pascal et la doctrine de Port-Royal, loc. cit., p. 265-266, un port-royaliste n’aurait-il pas écrit une apologie de la religion ? On ne peut dire que Pascal, écrivant son Apologie, aurait oublié son port-royalisme ; mais ses doctrines, en bonne logique, ne pouvaient le détourner de son œuvre, pas plus que ces mêmes doctrines n’empêchaient des prêtres de confesser et de prêcher. Comme la confession et la prédication, une Apologie pouvait être un moyen de la grâce efficace. « La preuve est souvent l’instrument de la foi. Fides ex uuditu », dira Pascal lui-même, fr. 218. On peut ajouter : son expérience personnelle instruisait Pascal de cette puissance mystérieuse du livre. Cf. La première conversion. Yïn travail de cette sorte est même un devoir pour le croyant. « Quelque méchants et mauvais que soient les hommes, nul ne peut dire qu’ils sont du nombre des réprouvés ou des élus : c’est le secret impénétrable de Dieu. Ce qui oblige de faire pour eux ce qui peut contribuer à leur salut. » Premier écrit sur la grâce, t. xi, p. 137138.

Dans son ensemble d’ailleurs, « l’argumentation de l’Apologie paraît bien être appuyée sur des principes qui, non seulement, ne répugnent pas au jansénisme, mais qui en sont tirés. Il serait aisé de multiplier les rapprochements entre telle ou telle vue de Pascal et certains textes de Nicole, d’Arnauld et de Saint-Cyran ». Laporte, ibid., p. 267-290. « Mais, outre cela, au-dessus