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PASCAL. LES PROVINCIALES, ANALYSE


dans Jansénius au sens condamné, où est l’hérésie ? On dira : le pape a déclaré que l’erreur des Cinq propositions est dans Jansénius. Oui, mais, du consentement de tous, jésuites compris, le pape n’est pas infaillible dans les questions de fait, où seule décide l’expérience. Ici, toutefois, il faudra dire, non pas : le pape s’est trompé sur ce fait, mais : les jésuites ont trompé le pape sur ce fait ; « ce qui n’apporte plus de scandale, tant on les connaît maintenant », p. 358.

y) La 18e Provinciale. — Coup sur coup, le P. Annat riposte par une Réponse à la plainte que les jansénistes /ont qu’on les appelle hérétiques et une Réponse à la a VIIe lettre des secrétaires de Port-Royal. Puis, chose plus grave, la bulle Ad sanctam, où Alexandre VII affirme que les Cinq propositions sont condamnées au sens de Jansénius dans l’Auguslinus, datée du 16 octobre 1656, affichée à Rome le 7 novembre, était reçue par le roi le Il mars 1657, 1e 17 par l’Assemblée du clergé qui élaborait un nouveau Formulaire à signer par les membres du clergé et les personnes en religion. Port-Royal tâchait de faire front. Arnauld terminait le 20 mars son Cas proposé par un docteur à M. l'évêque d’Alet touchant la signature du Formulaire arrêté le 17 mars 1657, 14 p. in-4° ; Œuvres, t. xxi, p. 18-46 ; le 24, Pascal sa 18e Provinciale (n. en, t. vu : introd., p. 3-22 ; texte, p. 23-38) ; le 26, Nicole sa Pauli Irenœi tertia disquisitio, 42 p. in-4o. Toutefois, ces trois brochures ne parurent qu’en mai : des négociateurs s'étaient interposés, les jansénistes offrant de garder sur le fait un silence respectueux. La négociation échoua, entre autres causes parce qu'à Mazarin le jansénisme servait d’arme contre Rome. « Il ne suffit pas, pour justifier Jansénius, avait écrit le P. Annat, de dire qu’il ne tient que la grâce efficace, parce qu’on la peut tenir en deux manières, l’une hérétique selon Calvin, qui consiste à dire que la volonté mue par la grâce n’a pas le pouvoir d’y résister ; l’autre orthodoxe selon les thomistes et les sorbonnistes, qui est que la grâce efficace par elle-même gouverne la volonté de telle sorte qu’on a le pouvoir d’y résister. » Pascal s’empare de cette distinction. Si, dit-il, l’erreur que les papes ont voulu condamner « sous ces termes du sens de Jansénius n’est autre que le sens de Calvin…, sans bulles ni brefs, tout le monde eût condamné cette erreur avec vous. » Jansénius et ses disciples ont, sur la grâce efficace, la doctrine de saint Augustin et de saint Thomas et, par conséquent, des nouveaux thomistes, parce qu’ils soutiennent contre Calvin le pouvoir que la volonté a de résister même à la grâce efficace et, contre Molina, le pouvoir de cette grâce sur la volonté. Au fond de tout cela, il y a une question de fait. Or, « les voies naturelles pour faire croire un point de fait sont de convaincre les sens et de montrer dans un livre les mots que l’on dit y être ». Que l’on montre donc dans Jansénius les propositions condamnées et au sens condamné ! Le pape s’est prononcé. Oui, mais, encore une fois, en matière de fait les papes ne sont pas infaillibles : l’histoire le prouve. Comme son prédécesseur, Alexandre VII ne s’est pas rendu compte par lui-même : sa bonne foi a été surprise. Comment s’en étonnerait qui connaît les jésuites et leurs maximes touchant la calomnie ? Enfin Pascal « substitue au formulaire, ditM. Gazierqui l’approuve, op. cit., p. 117, une admirable profession de foi qui vise Jansénius et Molina, Luther et Calvin, saint Augustin et saint Thomas. » Et Pascal affirme : « Catholiques sur le droit, raisonnables sur le fait, et innocents en l’un et l’autre », tels sont les jansénistes… Qui oserait s’imaginer qu’on fît dans toute l'Église tant de bruit pour rien, pro nihilo…, pour « un fait de nulle importance qu’on veut faire croire sans le monIrer ». Tout ce mal vient des jésuites qui font croire que « tout est menacé », p. 55.

8) Dans la 18e Provinciale, Pascal commence-t-il à se séparer de Port-Royal ? — Entré par surprise dans le jansénisme, Pascal s’en serait évadé, sous l’impulsion naturelle de son génie : la 17e et surtout la 18e Provinciale indiqueraient ce progrès ; cf. Giraud, Janssens, Cherulier, Maire, Bremond qui écrit : Histoire littéraire du sentiment religieux, t. iv, p. 321 : « Il a beaucoup changé d’une Provinciale à l’autre ; il s’est peu à peu rapproché de la pure doctrine catholique », et E. Jovy qui dit : Pascal inédit, t. ii, Les derniers sentiments de Biaise Pascal, in-8o, Vitry-le-François, 1910, p. 2-4 : vers la 17e Provinciale, « il semble s'être produit on ne sait quel revirement dans l’esprit de Pascal ». C’est « un tout autre ton, une tout autre théologie ; il se rapproche du thomisme, il proteste de son attachement pour l'Église et pourle pape. » — -Mais c’est dès la 11e Provinciale qu’il a pris un autre ton et c’est en collaboration avec Nicole et Arnauld qu’il a composé la 17° Provinciale que les jésuites ont attribuée à Arnauld, la 18e « dont la doctrine et souvent les expressions se retrouvent dans le Cas proposé à l'évêque d’Alet, dans la Seconde lettre a un duc et pair, et enfin dans la troisième Disquisition de Paul Irénée. En particulier, le jugement de Montalte sur la grâce suffisante des thomistes, demeuré sans le moindre changement de la 2e Provinciale à la 18e est celui que portait Arnauld dans l’Apologie pour les saints Pères. Pascal s’en est toujours tenu, dans la 18e Provinciale et dans ses autres écrits, à la théorie des deux délectations (concupiscence et grâce), interprétée dans le sens le plus strictement janséniste. » Laporte, Le jansénisme de Pascal, dans Revue de métaphysique et de morale, 1923, p. 264-265.

5. Pascal interrompt les Provinciales.

« Laissez l'Église en paix, disait Pascal au P. Annat à la fin de la 18e Provinciale, et je vous y laisserai de bon cœur ; mais pendant que vous ne travaillerez qu'à y entretenir le trouble, ne doutez pas qu’il ne se trouve des enfants de la paix qui se croiront obligés d’employer tous leurs efforts pour y conserver la tranquillité. » P. 58. Une 19e Provinciale était alors sur le métier, une 20e en vue ; d’un autre côté, le succès des Petites Lettres ne faisait que grandir. Or, brusquement, elles s’arrêtèrent.

D’après B. Jovy, loc. cit., p. 10 sq., Pascal aurait été las des coups reçus dans la polémique et éclairé par elle, d’autant que « les deux autorités suprêmes à ses yeux, le pape et le roi, s'étaient définitivement prononcées contre le jansénisme ». Mais, d’après ce qui vient d'être dit, ce travail intérieur est invraisemblable. — D’après A. Gazier, loc. cit., p. 106-107, et Les derniers jours de Biaise Pascal, in-12, Paris, 1911, p. 9-10, Pascal aurait cédé à des raisons de conscience : au moment de la communion pascale, Pâques tombant en 1657 le 1 er avril, il aurait senti la vérité de cette observation de M. Singlin et de la Mère Angélique, « que cette façon de défendre Port-Royal n'était pas conforme au précepte divin de l’amour des ennemis » ; il aurait obéi aussi à la prudence : on négociait une paix de l'Église et il ne fallait pas exaspérer les passions ; obéi à la suggestion du prieur de Sainte-Foy qui, dans sa Réponse générale, l’avait supplié de combattre, plutôt que les jésuites, « les restes de l’hérésie, les langues impies et libertines ». — Mais, vu ce qui s'était passéet cequi va suivre, étant donné que Pascal lutte toujours jusqu'à épuisement de l’adversaire, l’idée de cet autre travail intérieur est également inacceptable. Vraisemblablement la bulle Ad sanctam et la menace d’un nouveau formulaire obligeaient PortRoyal à trouver autre chose : refuser la bulle, PortRoyal y songea un moment ; la 19 « Provinciale eût justifié cette attitude. On s’arrêta à cette solution moins risquée et non moins efficace : annihiler la