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PASCAL II. LUTTE AVEC HENRI V


Détournée un instant de la question par les affaires de Pologne, de Bohème et de Hongrie, l’attention du roi des Romains se reportait, à l’été de 1110, sur l’Italie, où il s’agissait d’aller chercher, avec la couronne impériale, la liquidation de la querelle des investitures. Dès 1109, ses envoyés, les archevêques de Cologne et de Trêves, avec une suite brillante, s’étaient présentés à Rome. On leur avait donné de bonnes paroles : le pape recevrait Henri en toute douceur, s’il se présentait en roi catholique, en fils et en défenseur de l’Église, en ami de la justice. Annales Patherbrunnenses, an. 1109. Mais quelle serait l’attitude de Pascal lors de la rencontre décisive ?

3° Pascal II et Henri Y. Le grand conflit de 1111.

— A l’automne de 1110, Henri passa les Alpes. Les débuts de l’hiver le virent en Lombardie ; c’est seulement en janvier que l’armée allemande se rapprocha décidément de Rome. Une ambassade s’en détacha, pour aller traiter d’avance avec le pape des conditions mêmes du couronnement. Sur la série des événements qui se sont déroulés entre le 4 février et le 13 avril 1111 on est très abondamment renseigné, et il est aisé d’en reconstituer la suite. Ce qui est plus difficile, c’est d’imaginer les ressorts qui poussèrent alors les acteurs du drame que nous avons à raconter. Un véritable coup de théâtre allait en elïet se produire, que rien, semble-t-il. ne faisait prévoir.

Coup de théâtre, le mot n’est pas trop fort pour qualifier l’issue de la négociation qui se déroula, le 4 février 1111, dans le vestibule de Saint-Pierre (chapelle de Sancta Maria in Turri) entre les plénipotentiaires pontificaux dont le principal était un laïque influent, Pierleoni, et les envoyés de Henri V. Ceux-ci en crurent-ils leurs oreilles, quand ils entendirent Pierleoni proposer, au nom de Pascal, la renonciation de l’Église d’Allemagne à tous ces droits temporels (regalia), dont la possession était, de l’aveu même des impérialistes, la seule raison d’être de l’investiture laïque ? A ces dignitaires ecclésiastiques, qui étaient en même temps de grands seigneurs temporels, le pape demanderait, il imposerait, de renoncer à tout ce qui faisait, depuis l’époque de Charlemagne, leur force et leur dignité. L’Église d’Allemagne cesserait d’être une puissance temporelle ; elle ne vivrait plus que de ses biens patrimoniaux et des oblations de ses fidèles. La sécularisation des domaines ecclésiastiques qui ne se réalisera définitivement que denos jours était tout uniment proposée par le pape du xiie siècle : Pascal ne voyait que ce moyen d’obtenir la liberté de l’Église. Car, en échange de cet abandon, il exigeait du futur empereur qu’il renonçât de son côté à cette mainmise du pouvoir civil sur les nominations ecclésiastiques, qui avait dans la remise par le souverain de la crosse et de l’anneau, son symbole le plus apparent. Qu’il y ait eu, comme le prétendra ultérieurement Henri, dans les propositions du pape, un piège tendu à la bonne foi du souverain, c’est ce que, avec Hauck, il faut assurément rejeter. En formulant ces propositions, Pascal était sincère. Peut-être néanmoins n’en réalisait-il pas d’un seul coup toutes les conséquences. L’empereur les acceptait, sans doute ; mais l’Église d’Allemagne, qui, dans l’aventure, avait bien son mot à dire, les accepterait-elle de la même manière ? Il s’agissait pour elle d’une radicale transformation dans les conditions mêmes de son existence et de son activité. C’est d’elle, en définitive, que l’empereur et le pape disposaient, sans l’entendre, et la présence parmi les plénipotentiaires allemands de l’archichancelier, Albert, archevêque de Mayence, contrebalançait difficilement, dans leur groupe, l’autorité des autres représentants laïques du roi des Romains. — Invraisemblables ou non, les conditions furent acceptées de part et d’autre. Au nom de Henri V fut faite la promesse suivante :

Rex scripto reflltabit omneni investituram omnium Ecclesiarum in manu domni papa ?, in conspectu cleri et populi, in die coronationis sua-. Et postquam domnus papa fecerit sicut in alia carta scriptum est, sacramento firmabit quod nunquam se de investituris ulterius inlromittet. Et dimittet Ecclesias libéras cum oblationibus et possessionibus quæ ad regnum manifeste non pertinebant.

En échange de quoi le pape promettait ce qui suit :

Domnus papa præcipiet episcopis præsentibus in die coronationis ejus (se. Henriei), ut dimittant regalia regi et regno qua ?. ad regnum perlinebant tempore Caroli, Ludovici, Henriei et aliorum pra ?deeessorum ejus. Et scripto firmabit sub anathemate auctoritate sua et justifia ne quis eorum vel præsentium vel absent ium vel successores eorum intromittant se vel invadant eadem regalia id est civilates, ducatiis, marchias, comitalus, monetas, teloneum, mercatum, advocatiasregni, jura centurionum et curt es quæ manifeste regni erant cum pertinentiis suis, militiam et castra regni. Nec ipse regem et regnum super his ulterius inquietabit et privilegium sub anathemate confirmabit, ne posteri sui inquietare présumant.

(Les deux textes dans Constit. imperat., 1. 1, p. 137139 ; cf. Jaffé, Regesta, n. 6289.)

C’était sous ces conditions que le pape s’engageait à couronner incessamment le roi des Romains.

Rapportés au quartier général qui venait de s’établir à Sutri, ces préliminaires y furent acceptés (8 février). Le roi et ses grands jurèrent de ne rien faire d’hostile au pape. Le jour du couronnement, qui fut fixé au dimanche suivant, 12 février, s’échangeraient au cours même de la cérémonie les ratifications définitives. Henri semble bien s’être rendu compte dès ce moment de ce qu’avaient d’inexécutable les propositions de Pascal ; mais il a dû réserver l’effet de surprise pour le moment même de la cérémonie ; il ne semble pas que les évêques de la suite (en dehors de l’archichancelier ) aient été mis au courant de ce dont il avait été convenu à Rome, le 4 février. C’est quand le cortège fut entré à Saint-Pierre, le dimanche de la quinquagésime, après que déjà Henri avait été salué par le pape du titre d’empereur et avant qu’il ne s’approchât de la confession, c’est à ce moment que fut soudain révélée à l’épiscopat allemand toute l’importance du traité conclu entre Henri et Pascal. La chancellerie pontificale avait préparé le texte que le pape devait lire ; il s’est conservé sous le titre de Paschalis II. privilegium primée convenlionis. Texte dans Constit. imperat., t. i, p. 141.

D’assez longs considérants en formaient la première partie : Les lois divines et les canons ecclésiastiques, y lisait-on, défendent aux prêtres de se mêler des affaires temporelles. Or, en Allemagne, ces questions séculières sont devenues leur principale occupation. Les ministres de l’autel sont devenus les serviteurs de la cour, parce qu’ils ont reçu des rois, cités, duchés, marquisats, droit de monnaie ; et dès lors s’est établie l’intolérable coutume que les évêques élus ne pussent recevoir la consécration avant d’avoir été investis par la main du roi. De là sont dérivées et la simonie et l’ambition. A ces maux qu’avaient causés les investitures, les papes Grégoire VII et Urbain II avaient cru porter remède en interdisant, sous des peines très graves, l’investiture laïque. Ces dispositions, Pascal les avait confirmées. Il apportait maintenant un remède plus efficace en ordonnant aux ecclésiastiques d’abandonner définitivement à l’autorité royale tous ces droits régaliens. L’Église se contenterait désormais des oblations des fidèles et de ses biens patrimoniaux, et les évêques n’auraient plus de raisons de séjourner à la cour. Oportet enim episcopos curis ssecularibus expeditos curam morum agere populorum nec ecclesiis suis abesse diulius.

A comparer la narration pontificale et le récit impérial de cette mémorable journée (voir Constit. imperat., p. 148et 151), on a l’impression que le pape commença