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PAP1AS D’HIÉRAPOLIS


pias a été l’auditeur. La question est difficile à résoudre. Eusèbe nous a en effet conservé le prologue du grand ouvrage de Papias, et nous y lisons ce qui suit : « Je n’hésiterai pas à te communiquer, en les rangeant au nombre de mes interprétations, toutes les choses que j’ai bien apprises des anciens et que j’ai bien conservées dans ma mémoire, me portant garant de leur vérité. Car je ne goûtais pas, comme la plupart, ceux qui parlent beaucoup, mais ceux qui enseignent le vrai, ni ceux qui remémorent les préceptes étrangers, mais ceux qui remémorent les préceptes donnés par le Seigneur à la foi et provenant de la vérité elle-même. Et, s’il survenait à l’occasion un de ceux qui avaient fréquenté les anciens, je faisais mon enquête sur les discours des anciens : qu’avaient dit André, Pierre, Philippe ; qu’avaient dit Thomas ou Jacques ; qu’avaient dit Jean ou Matthias ou quelque autre des disciples du Seigneur" ? et ce qu’Aristide et Jean l’Ancien, les disciples du Seigneur, disent. Car je ne croyais pas que ce que contiennent les livres put me rendre autant de services que ce qui vient de la voix vivante et subsistante. » Eusèbe, H. E., III, xxxix, 3, 4.

Ce texte est loin d’être clair. Nous y voyons d’abord que Papias a consulté des anciens, Tcpsaourépouç, et qu’il a pris plaisir à les entendre. Mais nous ignorons quels sont ces anciens. Nous y apprenons ensuite que Papias a interrogé ceux qui avaient fréquenté les anciens ; et ceux-ci lui ont fourni des renseignements de deux sortes : ils lui ont répété d’une part ce qu’avaient dit, zlr.zv. André, Pierre, Philippe, Thomas, Jacques, Jean, Matthieu ; ils lui ont répété d’autre part ce que disent, Xéyouaiv, Aristion et Jean l’Ancien, disciples du Seigneur. Les personnages du premier groupe sont sept des apôtres ; ils semblent bien avoir déjà disparu du monde au moment où Papias faisait ses enquêtes, car celui-ci demande à ses informateurs ce qu’ils avaient dit (au parfait). Les membres du second groupe, au nombre de deux, parlent encore (au présent ) au temps de Papias qui aurait pu ou pourrait les entendre : l’un d’eux est Aristion, l’autre est Jean l’Ancien.

Nous ne savons rien de précis sur Aristion : dans un manuscrit d’Etschmiadzin, la finale de saint Marc est attribuée à un certain Aristion, et les Constitutions apostoliques donnent ce nom au premier et au troisième évêque de Smyrne. Quant à Jean l’Ancien, il semble bien différent du premier Jean, qui figure au nombre des apôtres. Eusèbe a cru pouvoir conclure du texte de Papias, que le vieil auteur s’y donnait comme un auditeur d’Aristion et de Jean le Presbytre. En réalité, Papias ne dit pas cela, puisqu’il se contente de rappeler qu’il demandait à ses interlocuteurs anonymes ce que disent (donc au moment où il les interrogeait ) ces deux témoins.

On ne saurait d’ailleurs pas conclure de ce fragment que Papias n’a pas été, dans sa jeunesse, l’auditeur de l’apôtre Jean. C’est à son âge mûr que se rapportent les enquêtes signalées ici, elles se placent après la mort des apôtres, en un temps où ne vivent plus que des hommes qui ont été leurs auditeurs. Mais Papias lui-même a pu, étant enfant ou jeune homme, recevoir renseignement de l’apôtre ; et c’est bien ce que semble dire Irénée ; car Polycarpe a entendu l’apôtre et, si Papias a été son compagnon, il a dû, comme lui, se mettre à l’école de l’apôtre. Le problème de l’existence d’un presbytre du nom de Jean est donc, à tout prendre, indépendant de celui du premier maître de Papias.

Devenu évêque d’Hiérapolis en Phrygie, Papias composa un ouvrage en cinq livres qui avait pour titre Aoyloiv xupiaxwv è^yriazac, (316X[a e’. Ce titre, lui aussi, a suscité de vives controverses parmi les historiens, qui se sont demandé ce qu’il fallait au juste enten dre par les X6yta xupiocxà interprétés par Papias. Le mot Xôytov signifie proprement oracle, mais on ne doit pas conclure de là que Papias n’expliquait dans son ouvrage que les prophéties du Seigneur. Il rapportait aussi les actes de sa vie et même des faits complètement étrangers aux récits évangéliques : « Il ajoute, écrit Eusèbe, d’autres éléments qui, selon lui, lui sont parvenus par une tradition orale, telles que certaines paraboles étranges et certains enseignements du Sauveur, ainsi que d’autres récits tout à lail fabuleux. H. E., III, xxxix, 11. Saint Irénée, qui cite un fragment du quatrième des cinq livres de Papias, Cont. hxres., V, xxxiii, 4, est le plus ancien témoin de l’ou vrage ; mais ni de ses expressions, ni de celles d’Eusèbe, on ne peut tirer une conclusion claire sur la nature exacte et le contenu des Exégèses.

Des fragments que nous possédons, les plus célèbres sont relatifs à l’origine des évangiles de saint Matthieu et de saint Marc. A propos de saint Marc, Papias rapportait le témoignage de l’ancien : « Et voici ce que disait le presbytre : Marc, devenu l’interprète de Pierre, écrivit exactement autant qu’il s’en souvenait, mais non selon l’ordre, les paroles ou les actes du Seigneur. Car il n’avait ni entendu ni accompagné le Seigneur, mais plus tard, comme je l’ai dit, l’ierre Celuici faisait ses instructions selon les besoins, non comme s’il eût fait une composition des discours du Seigneur, en sorte que Marc n’a commis aucune faute s’il en a écrit une partie ainsi qu’il s’en souvenait. Il n’eut en effet qu’un souci, c’est de ne rien omettre de ce qu’il avait entendu et de ne pas se tromper sur quelque point en le rapportant. » Eusèbe, II. E., fil, xxxix, 15. Sur saint Matthieu, Papias écrit : « Matthieu, quant à lui, réunit les sentences en langue hébraïque, et chacun les traduisit comme il put. » lbid.

Nous n’avons pas à interpréter ici ces deux passages, qui ont naturellement retenu l’attention de tous les exégèles, et dont chaque mot a donné lieu à d’interminables discussions. Leur importance est incontestable, puisque Papias est le plus ancien témoin qui nous ait rapporté des souvenirs touchant l’origine humaine des évangiles.

Eusèbe ajoute, ibid., que Papias, dans son ouvrage, citait des témoignages empruntés à la première épître de Jean et à la première épître de Pierre ; qu’il rapportait l’histoire de la femme accusée, en présence du Seigneur, de nombreux crimes, histoire que renferme l’Évangile selon les Hébreux ; enfin qu’il racontai I, d’après les filles de l’apôtre Philippe, deux miracles, dont l’un avait eu pour bénéficiaire ce Justus, surnommé Barsabas, qui, après l’ascension, fut présenté aux apôtres comme un candidat à la succession de Judas.

Nous savons encore que Papias professait le millenarisme. Saint Irénée nous a conservé un passage qui renferme une description enchanteresse des jours où les vignes auront chacune dix mille ceps, chaque cep dix mille bras, chaque bras dix mille rameaux, chaque rameau dix mille grappes, chaque grappe dix mille grains, dont chacun donnera vingt-cinq mesures de vin ! Irénée, Cont. hærcs., V, xxxiii, 2-3.

Un fragment, transmis par Apollinaire, est relatif i la mort de Judas et se fait l’écho de fables assez pué riles. Un autre, rapporté par Philippe de Sidè, semble dire que Jean l’Apôtre fut mis à mort par les Juifs en même temps que son frère Jacques ; mais ce dernier texte, qui n’est pas cité ad verbum, est sujet à caution. Récemment, F. Loofs a tenté d’accroître l’héritage littéraire de Papias, en faisant valoir que c’était sans doute son témoignage qu’invoquait saint Irénée toutes les fois qu’il faisait appel à la tradition des presbytres qui ont connu saint Jean. Il attribue ainsi au vieil évêque d’Hiérapolis les souvenirs ou les traditions