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PAPE. ORIGINE DES NONCIATURES


ne reçoive une consécration oflicielle et ne se généralise. En effet, ouvertement, les ambassadeurs travaillent à favoriser les bons rapports de pays à pays ; mais, du fait qu’ils séjournent longtemps dans un même milieu étranger et arrivent à le connaître, ils sont amenés, par la force des choses, à jouer un autre rôle : celui de renseigner leur propre gouvernement sur les actes, les intentions et les ressources de la puissance près de laquelle ils sont accrédités ; ils peuvent devenir des centres d’espionnage et, le cas échéant, d’intrigues. Sans doute, l’espoir de jouir d’avantages corrélatifs pouvait atténuer les répugnances que ce danger, bien connu, provoquait : il n’arrivait pas à les anéantir. L’institution des ambassades permanentes ne devint chose oflicielle que lorsque s’accrédita cette idée, ingénieuse et un peu paradoxale, que l’envoi d’agents nommés à titre fixe constituait fin hommage au chef d’État qui les recevait. Dès lors, le point d’honneur l’emportant sur la crainte, les ambassadeurs étrangers permanents furent plutôt souhaités qu’appréhendés. Mais cette idée ne prévalut qu’assez tard, pas avant le xvie siècle. De ce chef, il reste malaisé de fixer une date à l’apparition de la représentation diplomatique. Celle-ci s’introduisit de fait, dans chaque État, suivant les besoins du moment. L’initiative partit de Venise, qui, déjà en 1445, entretenait des agents permanents à Rome, à Milan, à Naples, à Florence. Milan suivit, et Florence. En 1463, un représentant milanais des Sforza résidait en France. Cf. A. von Reumont, Délia diplomazia italiana del secolo XIII al xvi, Florence, 1857. (Cette édition italienne est beaucoup plus riche en documents que l’édition alleniande de 1853, t. i des Beitnïge zar italienischen Geschichte.)

II. FORMATION DES NONCIATURES PERMANENTES.

— Moins que personne, le pape ne pouvait se tenir à l’écart du mouvement qui portait les souverains à entretenir entre eux des rapports continus. A la vue des Turcs prenant pied en Bosnie et en Herzégovine, le chef de la chrétienté apercevait clairement la nécessité d’unir les princes catholiques pour tourner leurs forces contre l’infidèle. En outre, le concile de Bàle, à la suite du Grand Schisme, avait porté au prestige du Siège apostolique des coups assez rudes pour que les pontifes du milieu du xve siècle sentissent le besoin, pour le restaurer, de patientes et laborieuses négociations.

Mais la situation du Saint-Siège différait considérablement de celle des gouvernements séculiers. Qu’on le veuille ou non, un représentant du pape sur un territoire quelconque sera toujours autre chose qu’un simple ambassadeur. Ce dernier représente un souverain qui ne jouit d’aucun pouvoir hors de ses propres États ; en outre, il ne s’occupe que de questions purement politiques. Le pape, lui, était sans doute un monarque italien, mais sa juridiction spirituelle s’étend sur les catholiques de tout l’univers ; d’autre part, il possédait, un peu partout, d’abond intes sources de revenus temporels. Outre le domaine politique, qui ne pouvait pas lui être étranger, un mandataire pontifical nommé à titre fixe et pourvu de facultés générales aurait dû également déployer son activité sur le terrain ecclésiastique et sur celui des finances. Et de ce chef sa création se heurtait à de particulières susceptibilités. L’évolution de la diplomatie papale se produisit donc dans dès conditions beaucoup plus délicates que celle de la diplomatie séculière, et les nonciatures permanentes ne purent s’établir qu’avec lenteur et circonspection. Sous le pontificat d’Alexandre VI (1492-1503), la plupart des puissances européennes, l’Empire, la France, l’Espagne, l’Angleterre, les États italiens, entretiennent en curie des agents qui se succèdent d’une façon régulière, par conséquent une véritable représentation diplomatique permanente, et en revanche on ne voit encore nulle part un service de nonces se remplaçant

l’un l’autre avec continuité. P. Richard, Origines des nonciatures permanentes, loc. cit., p. 56.

Aussi bien, la papauté connaissait depuis longtemps toute une gamme d’institutions qui lui permettaient de se passer d’ambassadeurs résidants avec moins de préjudice que les gouvernements séculiers, réduits aux seuls envoyés extraordinaires. Répétons-le : plusieurs d’entre elles ont contribué à la formation des nonciatures permanentes, et c’est ce qui rend les origines de celles-ci particulièrement embrouillées.

Dans la seconde moitié du xv siècle, le Saint-Siège continue d’utiliser, lui aussi, les envoyés extraordinaires, légats a latere, émissaires de toute sorte qu’il charge, sous le nom de nuntius, à’orator, des besognes temporaires les plus variées. Leurs instructions les di sent nommés pro certis ou pro nonnullis negoiiis. Quelques-uns ont un rôle particulièrement difficile et long, les commissaires pour la croisade, envoyés pour travailler à rétablir la paix entre princes chrétiens et a recueillir les décimes destinées à financer la sainte expédition, oratores et nuncii commissarii decimarum cru ciatæ : ce sont eux que l’on trouve à l’origine de la nonciature de France. P. Richard, Origines de la nonciature de France, loc. cit., p. 105.

Mais, à côté de ces envoyés temporaires, voici deux catégories de dignitaires ou d’agents permanents, les uns investis d’un rôle ecclésiastique, les autres chargés d’une besogne financière. Les anciens primats ou vicaires apostoliques, dont Grégoire VII avait affaibli l’autorité avec tant de persévérance, avaient cédé le pas devant les légats a latere ; mais, la désignation personnelle de ceux-ci s’imposant avec moins de rigueur, après le triomphe de la réforme grégorienne, la papauté ne tarda pas à attacher le titre et la fonction de légat aux possesseurs de certains sièges épiscopaux. On eut ainsi des légats nés, qui ne différaient guère que de nom avec les anciens primats.

Quand la politique prit dans les préoccupations du Saint-Siège une place plus considérable et que les papes voulurent faire sentir leur action sur un autre terrain que celui de la discipline ecclésiastique, les dangers d’utiliser cette institution apparurent bien vite. Quel fond le gouvernement de l’Église pouvait-il bien faire sur des agents pour la plupart issus du pays où ils représentaient le pape, dépendant de leur propre souverain, appuyés par de puissants chapitres et de nombreuses relations ? Mais, aussi, comment se passer d’eux ? S’en tenir aux envoyés extraordinaires ? Les légats nés les supportaient souvent impatiemment. Cf. P. Richard, Origines de la nonciature de Fiance, loc. cit.. p. 108, 134 ; H. Biaudet, op. cit., p. 11, note 2. Du reste, ils connaissaient mal la situation d’un pays qu’ils ne faisaient guère qu’apercevoir.

Or, le Saint-Siège avait sous la main, sur place, d’autres agents permanents, les collecteurs de la Chambre apostolique. Il semblerait, à première vue, que ces obscurs fonctionnaires du fisc pontifical n’eussent dû jouer aucun rôle dans le développement de la diplomatie romaine. En réalité, il en fut tout autrement el la plupart des nonciatures permanentes du xvr siècle ne furent que la transformation d’une « collectorie

Dans certains pays cohabitaient plusieurs col Ici teurs, dont la juridiction s’étendait sur un groupe de provinces et chevauchait parfois les frontières politiques. En France, par exemple, le collecteur de Tours avait dans son ressort le duché de Bretagne, et celui de Lyon le territoire de la Savoie. Le Saint-Siège pouvait difficilement confier à de tels agents des missions diplomatiques. Mais ailleurs la circonscription fiscale se calquait sur l’État lui-même et le collecteur résidait a proximité du souverain. Rien n’empêchait le pape < ! i le munir de facultés pour qu’il traitât d’autres affaires que celles de la Chambre apostolique. Sans doute, ce