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    1. PANTHÉISME##


PANTHÉISME. DANS L’ALLEMAGNE CONTEMPORAINE

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Le système spinoziste n’est pas seulement mathématique par son exposé ; il l’est par le fond même. En raa I hématiques, il n’y a ni causes ni fins : Spinoza éliminera efficience et finalité de l’explication du monde. Le rapport entre Dieu et le monde est un rapport d’inhérence logique, analogue à celui qui existe entre un triangle et ses propriétés. Il y a une seule suhstance. infinie, constituée d’une infinité d’attributs, chacun infini dans sa ligne. Entre la substance et les attributs, il n’y a pas distinction réelle, mais distinction de raison cum juncknnenlo in re. Nous connaissons par l’expérience deux de ces attributs, étendue et pensée. Les choses sont des modes de la substance divine, conditionnés et limités les uns par les autres. Les mêmes modes se réalisent dans tous les attributs : à chaque mode de l’étendue correspond un mode de la pensée : le problème des relations entre corps et âmes ne se pose donc plus. Rien ne pourrait être autre : il n’y a ni hasard, ni liberté proprement dite. Chaque mode tend à se conserver dans son être : la vertu est l’aptitude à s’y conserver ; droit et force coïncident. La connaissance de l’universelle nécessité est la béatitude suprême.

3° Le XVIIIe siècle. Les contemporains et successeurs immédiats de Spinoza affectent effroi et horreur à l’égard de son système qu’ils qualifient, à tort, de matérialisme et d’athéisme. Leibniz insiste beaucoup sur ce qui le sépare du penseur juif ; mais lui-même a été accusé de tendances panthéistes, et il ne faut pas trop s’en étonner, lorsqu’on songe à son intellectualisme absolu, au caractère exclusivement logique de son monde, au déterminisme du meilleur chez Dieu et chez l’homme. Son idée de création est particulièrement suspecte : ’ « Les substances créées dépendent de Dieu qui les conserve et même qui les produit continuellement par une manière d’émanation comme nous produisons nos pensées. » Disc, de métaph.. § 14, éd. Lestienne, Paris, 1921°, p. 46.

Pour le comte de Shaftesbury, Dieu est immanent au monde comme l’âme au corps. Toland développe, dans son Pantheisticum, l’idéal d’une franc-maçonnerie formée par des groupes de penseurs répartis en Europe ; ces initiés tiennent que Dieu est la force créatrice et ordonnatrice de l’univers et qu’il ne se distingue pas réellement du monde. Hôffding, Hist. de la phil. mod., trad. Bordier, 1924, p. 427 sq. En France, Diderot a subi l’attrait du panthéisme. En Allemagne, Lessing professe ouvertement le spinozisme : le monde est le < Fils consubstantiel » de Dieu ; les choses n’ont pas de réalité en dehors des idées divines ; tout est déterminé. Le spinozisme est au fond de la poésie classique allemande : Herder l’a propagé, et de nombreux vers de Gôthe le reflètent. On peut dire qu’avec le déisme et l’athéisme le panthéisme forme un élément important dans la pensée antichrétienne du xviiie siècle.

VIII. La spéculation allemande et la pensée contemporaine. — 1° La spéculation allemande. —

II y eut en Allemagne, au début du xix r siècle, une école spéculative d’une grande richesse de pensées qui recommence à intéresser nos philosophes contemporains. Son éclosion, après le criticisme de Kant, pose un problème. Mais, en réalité, Kant était bien moins antimétaphysicien qu’on ne le dit ; sa morale présupposait une métaphysique voisine de celle de Leibniz ; sa critique pouvait donner lieu à des interprétations panthéistes : il n’est pas nécessaire d’attribuer à l’esprit individuel la synthèse qui s’opère avant notre jugement. Par ailleurs, Spinoza exerce maintenant sa pleine influence ; il est vénéré à l’égal d’un saint. Les classiques allemands avaient prêché le culte de la science et de la beauté : dorénavant la philosophie elle-même sera création poétique : pour le porte-parole de la nouvelle génération, Novalis, toute distinction entre philosophie et poésie est fausse et nuisible. On rejette le noumène

de Kant, parce qu’il limite la liberté créatrice de l’individu. On construit le réel en partant du sujet ; l’intuition intellectuelle devient la source de toute véritable connaissance. La pensée suivra la méthode dialectique ; toute affirmation implique une contradiction qui doit se résoudre dans une affirmation plus compréhensive. Cette démarche dialectique exprime la mai’che du réel qui évolue lui aussi, mais d’une évolution logique, non temporelle.

Pour Fichte, l’Esprit ou.Moi pur est connu par intuition intellectuelle. Chez Kant, l’esprit produisait la forme de la connaissance ; maintenant la matière elle-même devient production de l’esprit. Pour se poser, le moi » s’oppose un « non-moi qui lelimite et le détermine. L’Esprit produit, parce qu’essentiellement il n’est pas substance, mais action. Il produit pour pouvoir agir moralement ; Dieu coïncide avec l’ordre moral ; il est l’infini Devoir, à la réalisation duquel doivent tendre tous nos efforts. C’est par l’action morale que le moi individuel se rapproche, en approximations infinies, du Moi pur.

Schelling saisit l’Absolu par intuition intellectuelle comme Identité de Moi et Non-moi, comme Raison infinie qui n’est ni nature, ni esprit, ni conscience, ni inconscience. On a eu raison de parler de néospino zisme. Dans l’évolution de l’Absolu deux pôles s’opposent : la nature, pôle inconscient, tend vers la conscience ; l’esprit, pôle conscient, trouve son plus haut développement dans l’activité mi-inconsciente de l’ar-I iste. Schelling n’a pas su maintenir la position acquise ; sa pensée, mobile et inachevée, ne cessa de subir de nouvelles influences. Il fit des deux séries évolutives, idéale et réelle, des idées divines ; puis les idées devinrent des esprits, séparés de Dieu par une chute et retournant à lui, selon l’antique conception de Plotin. Enfin il vit avec Bôhme, dans la chute et la rédemption, un mystère de la propre vie divine, et l’exprima dans le langage de la révélation chrétienne.

Pour Hegel, l’Absolu est Esprit ; la philosophie doit montrer comment la multiplicité des choses procède nécessairement de l’unité de l’Esprit. Le contenu intelligible du monde résulte d’un processus logique : être et pensée coïncident, logique et métaphysique deviennent une seule science. La division de la science en logique, philosophie de la nature et philosophie de l’esprit exprime adéquatement le processus évolutif de l’Absolu. L’Absolu est d’abord Idée, puis Nature, avant de devenir Esprit ; il ne devient personnel que dans les hommes : l’histoire des hommes reflète pour nous la vie divine. La raison humaine est essentiellement sociale : c’est donc dans l’État que l’histoire trouve son achèvement, dans les créations sociales de l’art, de la religion et de la science. C’est à la divinisation de la culture humaine qu’aboutit finalement la spéculation allemande.

Schleierinacher fait de la religion un sentiment de dépendance absolue à l’égard de Dieu ; les dogmes de toutes les religions ne sont que d’inadéquates traductions de ce sentiment. Dès cette vie, nous pouvons nous unir à l’Absolu, et cette union est la seule vraie immortalité. Le panthéisme est la forme la plus élevée de la religion. Dieu n’est pas personnel ; il ne peut pas exister sans le monde. Il est l’absolue unité de l’idéal et du réel, de la pensée et de l’être. Il n’est ni identique au monde, ni distinct de lui ; son rapport au monde est analogue à celui qui existe entre un moi et la totalité de ses actes.

Krause (1781-1832) n’a pas eu grand succès dans sa patrie, et nous l’omettrions volontiers ; mais il a exercé quelque influence sur la Belgique et l’Espagne, par ses disciples Tiberghien et del Rio. Krause veut faire dans son « panenthéisme < la synthèse entre le personnalisme de Kanf et le panthéisme de Schelling