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mesure où Brahman existe en lui. L’être empirique n’a pas de réalité absolue ; il diffère de Brahman par l’effet d’une illusion ; mais cette illusion est une réalité relative produite par Brahman.

A mesure que le bouddhisme perd, le védanta s’approprie davantage ses doctrines idéalistes ; « le brahmanisme n’a vaincu le bouddhisme qu’en se l’assimilant. » Masson-Oursel, Philosophie indienne, Paris. 1023, p. 211. Le grand Sankara (788-820) interprète les l’panishads dans le sens du strict monisme. Brahman -Atman seul est réel, intelligence bienheureuse, sans formes ni qualités. Il est atteint par réalisation introspective, non par raisonnement. La croyance à un monde d’âmes limitées et d’objets matériels est une erreur ; cette erreur fondamentale consiste à prendre les objets de pensée pour des sujets existants, et le sujet qui pense pour un objet d’expérience. On ne peut pas faire de Dieu, comme le voulait Badarayana, la cause de l’illusion ; car le rapport de cause à eilet n’existe que dans le monde illusoire. Dans l’unique réalité, cause et effet sont absolument identiques. L’âme se sauve par la connaissance, en prenant conscience de son éternelle identité avec Brahman.

Après Sankara, la philosophie du védanta devient prépondérante, au prix d’une identilication de l’Atman suprême avec Vishnou ou Siva, les grands dieux des sectes. Mais on rejette l’illusionnisme de Sankara ; tous les penseurs s’efforcent de concilier la personnalité de Dieu et la réalité du monde avec la tradition panthéiste de leur école : seul Madhva s’est libéré parfaitement du panthéisme.

Le fondateur de l’école de Sriringam, Yamuna, revendique déjà la réalité de l’âme humaine. Son disciple Ramanuja (1050-1137) essaye de fonder un védanta théiste. On a supposé chez lui des influences nestoriennes, peut-être à tort. Ames et matière sont réelles et constituent ensemble le corps de Dieu. Dieu possède toutes les qualités désirables ; il passe alternativement par deux états, un premier où les âmes sont sans corps et la matière en état subtil, un second où la matière existe à l’état grossier, tandis que les âmes subissent la transmigration. L’âme délivrée ne perd pas toute individualité ; elle reste distincte de Dieu, parce que les pouvoirs créateurs lui font défaut. Le salut peut être obtenu par abandon total à Dieu. Parmi les disciples de Ramanuja, les lengalai ont poussé l’abandon à Dieu jusqu’au quiétisme. A l’influence de Ramanuja se rattachent quelques grands mystiques, tels que Ramananda, Kabir, Nanak le fondateur des sikhs.

La doctrine de Nimbarka, mort en 1162, est assez proche de celle de Ramanuja : pluralisme et monisme sont, pour lui également vrais. L’école de Vishnou-Svamin, vers 1250 ( ?), et Vallabha (1479-1531) maintient la réalité des âmeset du monde corporel ; cependantelle retourne au panthéisme intégral ; il y a en Dieu trois attributs, existence, conscience et joie ; les âmes sont Dieu, sans l’attribut joie ; les corps sont Dieu, sans Us attributs conscience et joie. L’école de Vallabha est tombée dans de répugnants excès sexuels.

Chez le grand poète mystique TulasiDasa (1532-1623) l’Être suprême est impersonnel et sans qualités ; il se manifeste dans un Dieu personnel qui seul peut être objet de culte.

On aurait tort de croire que le panthéisme est la seule philosophie de l’Inde ; il a prédominé, mais de grands mouvements de pensée lui ont échappé. A l’époque actuelle, l’influente école de Ramakrishna (1834-1886) y retourne passionnément : toutes les religions sont vraies dans la mesure où elles conduisent l’homme à la fusion avec l’Absolu.

III. La Chine.

1° L’antiquité chinoise. On discute depuis le xvir 3 siècle pour savoir si le Dieu suprême de la Chine antique, le " Ciel », était personnel

ou impersonnel. Quoi qu’il en soit, de très anciens documents penchent vers le fatalisme ; la grande Règle du vicomte de Ki (le Houng-fan), xii c ou xi c siècle avant J.-C, nous apprend que le Ciel respecte la révolution fatale des éléments (des 5 agents), et que l’homme doit la respecter également. Il y a parallélisme parfait entre les événements astronomiques et météorologiques d’un côté, les événements de la cité de l’autre. Cette croyance est une des convictions les plus profondes de l’âme chinoise ; la réflexion naissante dut comprendre le monde comme une grande Unité vivante ; on peut dire que l’hylozoïsme est resté le fond de toute la pensée chinoise autochtone.

A l’époque classique de la philosophie chinoise, la métaphysique est représentée par les taoïstes. Laotzeu, vers 570-490, enseigne un panthéisme réaliste. Un Principe (tao), unique et inconnaissable, produit toutes choses par l’action de sa force ; cette action traverse des phases alternantes de concentration (y in) et d’expansion (yang). Dans l’homme il faut distinguer entre une partie naturelle, divine, et une partie artificielle et mauvaise, due à la civilisation. Le sage suit ses instincts naturels ; il respecte l’évolution cosmique en évitant d’intervenir par l’action (uni wei) ; il tend à une parfaite indifférence ; il peut arriver à une union extatique avec le Principe qui lui confère des pouvoirs mystiques. Le brillant prosateur Tchoang-tzeu, vers 339, a donné l’exposé le plus parfait de la doctrine taoïste.

Cette métaphysique ne se limite pas aux milieux taoïstes ; en Chine, les écoles philosophiques ne sont nettement tranchées que par leurs doctrines morales ; elles s’empruntent volontiers leurs principes métaphysiques. On retrouve la note taoïste chez le propre petitlils de Con fucius, Tzeu-seu, mort vers 440 ( ?), et dans les commentaires du Livre des mutations ( Yi-king) issus de l’école confuciiste. Les confuciistesde l’époque Han (202 av. - 220 apr. J.-C.) se sentirent de plus en plus attirés vers le taoïsme. Jusqu’à nos jours les « lettrés » de l’école de Confucius sont restés fatalistes ou matérialistes, avec une nuance panthéiste chez les auteurs qui ont des besoins métaphysiques.

2° L’introduction du bouddhisme mahayana n’a pas amené de changements essentiels. Même là où le culte devint franchement théiste (sectes de la Terre pure), le fond métaphysique resta panthéiste. Les intellectuels ne durent pas voir de différence essentielle entre le Vide des madhyamikas et le Tao de la tradition nationale. Il ne paraît pas que les nombreuses écoles chinoises ou japonaises aient grandement développé les idées empruntées à l’Inde. Nous décrirons cependant un panthéisme d’un type très spécial à cause de l’influence qu’il a exercée sur la mentalité et l’art de l’Extrême-Orient. Il s’agit de l’école de la Vision (dhyana, tchan, zen) introduite vers 525 par le patriarche et prince indien Bodhidharma. Le prince rejette livres et études ou ne leur accorde qu’un rôle préparatoire. On doit atteindre la fusion avec l’Absolu (la « Bouddhéité » ) par une contemplation intuitive de son intérieur, une « endovision » (P. Wieger). On y aperçoit dans un état psychique - ou parapsychique — indescriptible le fond des choses, l’unique réalité (à peine distincte du Grand Vide de Nagarjuna). Les êtres extérieurs ne sont que vaines apparences. Ce panthéisme a inspiré de nombreux poètes et peintres ; on en trouve une belle expression dans les poésies de Kienwenn, empereur de la dynastie Léang vers 550 : « Tout n’est-il pas l’imagination de l’âme universelle ? Ne fais-je pas partie du grand Voyant, du grand Dormeur qui dans la longue nuit songe le grand rêve cosmique ? » ou encore : « Tout est irréel et inexistant, est néant répondant au vide » (trad. par Wieger, La Chine à travers les âges, Hien-hien, 1920, p. 167-168).

L’époque Song.

Le travail philosophique reprit