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OSIANDER


On sait que Luther devait se ranger l’année suivante à son avis. Osiander assista à une partie de la Diète d’Augsbourg de 1530 et y fut en rapports constants avec Mélanchthon, dont il blâmait la modération et l’esprit conciliant. Il prit une part importante à l’Ordonnance ecclésiastique, établie à la fois dans le territoire de Nuremberg et le Brandebourg, en 1532. Il souleva une grosse discussion, dans le camp luthérien, en critiquant, avec sa vivacité habituelle, l’usage de l’absolution générale donnée du haut de la chaire., qui s’était substituée presque partout à l’absolution privée. Sa popularité en reçut une rude atteinte.

Il participa à la publication, à Nuremberg en 1543, du célèbre ouvrage de Nicolas Copernic : De revolutionibus orbium cælestium, en y ajoutant une préface de son cru, où il donnait les théories de l’auteur comme de simples hypothèses ce qui eut du reste pour effet d’en faciliter la diffusion en prévenant toute opposition officielle.

Osiander s’était fait à Nuremberg tellement d’ennemis qu’il ne fut sans doute pas fâché de saisir l’occasion de l’Intérim de 1548, qu’il combattait ouvertement, pour quitter la ville et se réfugier auprès du duc Albert de Prusse, dont les États étaient théoriquement hors de l’empire. Le duc, qui le connaissait depuis 1522, l’accueillit avec grande faveur, le nomma curé à Kônigsberg et professeur à l’université de cette ville, bien qu’il n’eût aucun grade (1549). — Presque aussitôt éclatèrent les plus graves différends entre le nouveau professeur et les maîtres luthériens de la ville. Osiander était appuyé sur la faveur du duc. Il avait quelques amis très influents et très énergiques, notamment Jean Funk, prédicateur à la cour, et André Aurifaber, médecin du duc et gendre d’Osiander. Aux divergences doctrinales se joignirent des oppositions de personnes. La lutte contre Osiander fut menée par Matthias Lauterwald, qui se recommandait de Mélanchthon, mais qui dut quitter Kônigsberg dans l’été de 1550. En octobre de la même année, fut soulevée la Querelle osiandrisle, à propos de la justification. Le principal adversaire d’Osiander fut désormais Môrlin. La bataille fut acharnée de part et d’autre. Osiander y déploya toute la violence de son caractère. Il fut terrassé par la mort avant d’avoir obtenu la victoire (17 octobre 1552). Môrlin fut sans doute expulsé de Prusse. Mais Funk, le principal partisan d’Osiander, fut disgracié et condamné à mort, en 1566. Le luthéranisme pur fut rétabli dans le duché, en 1567, et la doctrine d’Osiander disparut complètement. Son nom fut illustré, jusqu’à la fin du xviiie siècle, par toute une dynastie de théologiens protestants, dont il était la souche.

II. L. querelle osiandriste. — La doctrine luthérienne de la justification se distingue en deux points essentiels de l’enseignement catholique : 1° Luther affirme que l’homme est justifié par la foi seule, sans les œuvres. — 2° Il explique la justification par une imputation tout extérieure des mérites de Jésus-Christ.

(Test sur ce second point que porte la « querelle -osiandriste ». Osiander veut que la justification par la foi produise dans l’homme la présence réelle de la justice divine. Il croyait avoir découvert cette doctrine dans l’Écriture et n’en voulait plus démordre. Dès 1524, il s’expliquait de la façon suivante : De toute éternité, Dieu engendre son Verbe, il se saisit et s’exprime dans ce Verbe et lui communique sa substance d vine. De là découle l’Esprit-Saint, l’Amour, qui n’a d’autre désir que de communiquer son amour et de témoigner sa bonté aux créatures. Dans le Verbe, qui est Dieu même, se trouve notre vie. Mais elle doit être communiquée par la parole

extérieure et appréhendée par la foi. Quiconque entend la parole du Christ et la reçoit par la foi, possède le Christ, possède le Père et l’Esprit et l’Amour, fontaine des œuvres pies. C’est ainsi que l’homme est justifié par la foi et cette justification l’unit à Dieu, lui donne Dieu. La Parole de Dieu, c’est-à-dire le Christ même habite en nous. Nous ne faisons plus qu’un avec lui. L’Esprit du Christ habite désormais dans nos âmes. Il ne peut qu’engendrer en nous la justice.

Osiander appuyait cette doctrine d’allure mystique sur des textes bibliques, tels que celui d’Isaïe, viii, 14 : « Jéhovah des armées, c’est lui que vous sanctifierez, lui qui sera votre crainte et votre frayeur », et surtout Jérémie, xxiii, 6 : « Dans ces jours, Juda est sauvé, Israël habitera en assurance, et voici le nom dont on l’appellera : Jéhovah notre justice. »

Toutes ces idées, Osiander les avait exprimées dans un ouvrage intitulé : Ein gut Unterricht und gelreuer Ratschlag ans heiliger gôttlicher Schrift. Il avait alors 26 ans. Aucune objection ne paraît lui avoir été faite du côté luthérien. On le redoutait, on le regardait comme un peu original. Il revenait souvent dans la suite sur les mêmes opinions qu’on lui laissait pour compte. Mais les inimitiés qu’il s’était attirées à Kônigsberg déchaînèrent l’orage. Sa théorie favorite se retrouve alors soit dans sa dispute inaugurale à l’Université : De lege et evangelio, soit dans son ouvrage sur l’incarnation : An Filius Dei fuerit incarnandus, si peccatum non introivisset in mundum ? Item de imagine Dei (18 déc. 1550), soit dans son livre sur l’unique médiateur : Von dem einigen Mittler Jesu Christo (en allemand, 8 sept. 1551, en latin, 24 oct.).

Dans son état primitif, l’homme possédait en lui la justice de Dieu : c’était la Justifia originalis. Adam avait été fait à l’image de Dieu, c’est-à-dire sur le modèle de Jésus-Christ, le Verbe incarné, tel qu’il existait de toute éternité dans les décrets de Dieu. Par la grâce, l’homme devient donc un autre Jésus-Christ, il est l’image de Dieu, la gloire de Dieu, comme Jésus l’est en vertu de l’union personnelle en lui de la nature divine et de la nature humaine, Il s’ensuit que, même si Adam n’avait pas péché, le Verbe se serait incarné, puisque sans cette incarnation l’univers créé manquerait de chef, de l’image de Dieu, qui est le modèle suivant lequel toute créature humaine est faite. « Le Fils de Dieu a apporté ici-bas son éternelle justice dans sa Très-Sainte Humanité et prouvé de la sorte que notre sang et notre chair sont susceptibles de revêtir cette sainteté, et dès lors que nous sommes créés à l’image de Dieu, nous sommes en droit d’être en possession de cette justice. » La passion du Christ en croix, qui fut la condition de la rémission des péchés, n’eut d’autre but que de nous communiquer cette éternelle justice de Dieu, Nous ne pouvons être justes que par l’intervention du Christ, en ce sens que la divinité ne nous est communiquée que par l’intermédiaire de l’humanité du Christ, comme la vie ne vient aux membres que par la tête. Em. Hirsch a montré récemment qu’Osiander avait puisé la substance de sa doctrine dans les œuvres de Reuchlin et de Pic de la Mirandole et dans l’étude de la mystérieuse Kabbale, ou mystique juive.

En connexion étroite avec cette doctrine, où la parole de Jésus tient une place si particulière, on a prêté parfois à Osiander une théorie spéciale de l’eucharistie, appelée l’impanation. Il semblerait que, suivant lui, de même que la parole de Dieu, reçue par la foi, nous apporte la présence réelle de la justice divine en tant qu’elle est en Jésus pour nous être communiquée, ainsi les paroles de la consécration produiraient une sorte d’union hypostatique entre le