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1608
OROSE


septemdecim). Cette date de 5618 correspond, d’après la computation d’Orose, à notre année 417 ; elle se trouve confirmée par une donnée qui se lit t. VII, c. xlî, n. 2, col. 1167 B ; p. 553, suivant laquelle, au moment où l’auteur écrit, il y a deux ans que les Goths ont envahi l’Espagne ; il ne peut s’agir que de l’invasion qui eut lieu en 415, sous le roi Ataulf. Ainsi, c’est en moins de deux ans qu’Orose a mené à terme l'œuvre qu’Augustin lui avait demandée.

2. Sources. Mode de composition. — Deux ans, c’est bien peu si l’on songe à la masse considérable des documents qu’il aurait fallu dépouiller et ordonner. Mais les travaux modernes sur Orose montrent combien la tâche lui a été facilitée. — On trouvera à la fin de l'édition de Zangemeister, p. 684 sq., la liste complète de tous les auteurs dont s’est servi Orose, et la liste aussi des auteurs qu’il cite, p. 681-682. On constatera d’abord que les deux listes ne coïncident pas. C’est qu’il cite des noms qu’il n’a connus que de seconde main et que, d’autre part, il ne cite pas des ouvrages qui lui ont fourni la plus grande partie de son texte. En particulier la Chronique d’Eusèbe, sous la forme d’adaptation latine que lui avait donnée saint Jérôme, n’est mentionnée nulle part, alors qu’elle a fourni, avec les cadres généraux de tout l’ouvrage, un bon nombre des faits rapportés dans les 4 premiers livres et à peu près toute la matière du 1. "VII ; de même Rufin, qui n’est pas cité non plus, est-il le garant des autres faits rapportés en ce même livre VII.

Reste la masse, imposante encore, des auteurs cités et utilisés par Orose : Salluste, Suétone, Justin (l’abréviateur de Trogue-Pompée) et surtout Tite-Live dont il semblerait, à première vue, que notre auteur a dû parcourir les 142 livres ; travail énorme 1 Mais l'émerveillement cesse quand on y regarde de plus près. Ce n’est pas dans le texte original qu’Orose a lu TiteLive, mais dans un Epitomé, qui ne s’est pas conservé, et dont les Periochse liviennes, que nous avons, donnent assez bien l’idée. Cela ramène déjà à un assez petit nombre de pages l'œuvre énorme du grand historien ; sans compter qu’Orose dépend encore de deux autres abrégés : les Bellorum romanorum libri duo, de Florus, composés vraisemblablement sous Hadrien, et le Breviarium ab Urbe condita rédigé par Eutrope sous Valens. Si l’on se représente enfin que Justin, son principal garant pour l’histoire d’Orient, n’est lui-même qu’un abréviateur, et d’assez médiocre étendue, que Tacite ne semble pas avoir été sérieusement utilisé, on voit en somme que le matériel dont Orose s’est servi ne représentait pas un nombre extrêmement considérable de feuillets.

Ces pages, il les a parcourues avec une préoccupation unique, celle de relever dans le passé tous les événements funestes et ceux-là seuls. Ce faisant, il croit réaliser le vœu d’Augustin : Præceperas ergo ut ex omnibus qui ad prsesens possunt historiarum aut annalium /astis, quæcumque aut bellis gravia aut corrupta morbis aut jame tristia aut terrarum motibus terribilia aut inundalionibus aquarum insolita aut eruptionibus ignium metuenda aut iclibus fulminum plagisque grandinum sœva vel etiam parricidiis llagiliisque misera per transacta rétro seecula repperissem, ordinato breviter voluminis textu explicarem. L. I, prol., col. 666 ; p. 3. Ce musée tératologique constitué, il va le classer suivant les méthodes des annalistes, reproduites d’ailleurs par la Chronique hiéronymienne : telle année, tel fait. Ici le cadre chronologique est tout trouvé, c’est celui d’Eusèbe, complété par Jérôme ; Orose s’y est très strictement tenu. On voit si son travail en était facilité.

Une chose pourtant lui appartient en propre, ce sont les grandes divisions qu’il a introduites dans ce « Discours sur l’histoire universelle ». Elles correspon dent à chacun des livres : t. I, de la création du monde à la fondation de Rome ; t. II, jusqu'à la conquête de Rome par les Gaulois et la bataille de Cunaxa ; t. III, jusqu’au partage de l’empire d’Alexandre ; t. IV, jusqu'à la destruction de Carthage par les Romains ; t. V, jusqu'à la fin de la guerre servile ; t. VI, jusqu’au principat d’Auguste et à la naissance du Christ ; le t. VII, le plus long, est consacré aux événements de l'ère chrétienne. Ces divisions, imposées jusqu'à un certain point par les conditions de la librairie de l'époque, ne laissent pas néanmoins de correspondre à la réalité. Quelques-uns des événements choisis comme jalons sont en effet des dates importantes dans l’histoire de la civilisation gréco-latine.

Une autre idée enfin préside au groupement des faits, à savoir la succession des quatre grands empires : assyrien, macédonien, carthaginois, romain. Il ne semble pas d’ailleurs qu’Orose l’ait empruntée au fameux passage de Daniel, sur le songe de Nabuchodonosor, Dan., n ; du moins n’est-il fait aucune allusion à ce texte. Notons enfin que, tout comme son maître Augustin, notre auteur attache la plus grande importance aux combinaisons de nombres ; cꝟ. t. VII, c. ii, n. 8, col. 1063 ; p. 435 : l’empire carthaginois a duré en gros sept cents ans ; de même l’empire macédonien ; en tenant compte de diverses circonstances, on peut aussi ramener à sept cents ans environ le temps écoulé depuis la fondation de Rome jusqu'à l’avènement du Christ ; quant à l’empire babylonien il a duré quatorze cents ans, c’est-à-dire le double des empires qui l’ont suivi. Et un peu plus loin : Abraham est né quarante-trois ans après le début du règne de Ninus le premier des rois, comme Jésus-Christ quarante-deux ans (plus une fraction qui a aussi un sens mystérieux) après le commencement du principat d’Auguste. Des considérations de ce genre ont amené çà et là des « coups de pouce », ayant pour effet de manifester davantage ces coïncidences chronologiques.

3. Esprit général de l’ouvrage.

Tout ce que l’on vient de dire explique le caractère général de cette œuvre. S’il n’eût fait que grouper dans un cadre chronologique plus ou moins arrangé les « monstruosités » de l’histoire, Orose n’aurait abouti qu'à faire un livre parfaitement faux et parfaitement ennuyeux. Mais les apostrophes nombreuses et souvent éloquentes par lesquelles il coupe son exposition, outre qu’elles apportent un élément de variété, donnent à l’ouvrage son véritable caractère. Ce n’est pas un livre d’histoire ; c’est une apologie du gouvernement du monde par la Providence, et une apologie dirigée tout spécialement contre les tenants du paganisme. « Ah vraiment elles étaient belles les périodes que ceux-ci nous représentent comme des âges d’orl Qu’ils en comparent donc les atrocités et les misères avec les quelques légers inconvénients de l’heure présente ! Qu’ils osent préférer à notre époque chrétienne ces époques si effroyables où le paganisme dominait ! » A tout instant des réflexions de ce genre viennent rappeler au lecteur qu’il a affaire avec une œuvre non d’histoire mais de philosophie.

Aussi bien Orose est-il plein de cette idée que les desseins de la Providence apparaissent de manière fort transparente dans la trame des événements. Avec un robuste optimisme, il s’imagine presque avoir pénétré dans les conseils de l'Éternel ; du moins, il lit clairement, jusque dans les plus petits détails de l’histoire d’ici-bas, l’intervention d’en-haut et sa signification. C’est le vice essentiel de sa méthode, et parfois l’on se demande s’il n’en a pas eu quelque obscure conscience. Voir, par exemple, t. VII, c. xxvi, n. 2-3, col. 1129 ; p. 493 ; l’objection, sans doute, est mise dans la bouche des païens : Suslinuimus te hactenus, artijiciose quodammodo et callide jortuitas temporum