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ORGUEIL. EFFETS


ver ici les plus notoires dommages de ce prince des péchés.

L’orgueil dispose à l’injure : car ceux qui s’estiment supérieurs méprisent et injurient les autres avec grande facilité. L’orgueil dispose à la colère : car les orgueilleux jugent offensante toute contrariété imposée à leur volonté. IP-II 30, q. Lxxii, a. 4, ad lum.

L’orgueil exclut la miséricorde : car il est prompt à croire les hommes mauvais et qu’ils méritent bien les maux qui leur arrivent. IP-II 16, q. xxx, a. 2, ad 3um.

L’orgueil favorise la pusillanimité : car se croire incapable d’entreprises auxquelles on suffit en effet peut procéder d’un attachement excessif à son propre jugement. Il peut être orgueilleux de refuser une charge autant que de la briguer. Prov., xxvi, 16 : Sapientior sibi piger videtur septem viris loquentibus sententias. IP-II 33, q. cxxxiii, a. 1, ad 3um.

L’orgueil est désobéissant. Il y a lieu de marquer ici la différence exacte de deux péchés, d’ailleurs semblables. L’acte de la désobéissance est le mépris du précepte ; or, il advient que saint Thomas définisse de même l’acte de l’orgueil : …quantum ad interiorem actum superbiie qui est contemptus prsecepti. IIa-IIæ, q. CLxii, a. 2, ad lum. Le mépris du précepte peut s’inspirer en effet soit du dégoût du précepte, soit du dégoût d'être soumis à Dieu. Le premier cas se vérifie lorsque, sollicité par l’objet défendu et n'étant plus retenu de pécher que par la considération du précepte, on se délivre de ce dernier lien par le mépris du précepte ; le second, lorsqu’on ne supporte pas d'être commandé. On pèche là par désobéissance, ici par orgueil. Il vaut donc mieux dire que l’orgueil se traduit par des actes de désobéissance, lesquels demeurent formellement orgueilleux ; plutôt que d’attribuer à l’orgueil comme effet le péché spécial de désobéissance. Cajétan, In 7/ am -7/ 11B, q. clxii, a. 2, n. ii.

L’orgueil cause le basphème : car on n’ose injurier Dieu que pour s'être élevé orgueilleusement contre lui. Il ne s’agit ici toutefois que du blasphème délibéré : car il arrive que l’on blasphème parmi une grande agitation de l'âme ; et, dans ce cas, la colère en est la cause. IIa-IIæ, q. clxiii, a. 7, ad lum.

Nous avons signalé déjà l’affinité de l’orgueil avec l’infidélité. On dédaigne de soumettre son intelligence à l’enseignement de Dieu, en quoi l’on renoncerait à une très précieuse excellence. On refuse pour la^même raison de rien apprendre des hommes et l’on rougirait de se faire disciple. Par là, l’orgueil empêche la connaissance spéculative de la vérité. Mais il en gêne aussi la connaissance affective : et saint Thomas n’a garde de négliger les suggestions que lui offre à ce sujet saint Grégoire (cf. supra). Les orgueilleux peuvent être hommes très intelligents et pénétrer le secret des choses : mais en ce cas, ils se réjouissent de leur propre valeur, voyant qu’ils ont un esprit capable de si rares pensées ; et, tandis qu’ils sont abandonnés à ce plaisir, ils tiennent leur cœur détourné de la vérité même et ne ressentent de celle-ci aucune joie. Les humbles, au contraire, à qui il est donné de savoir, considèrent, non la connaissance qu’ils ont, mais la vérité connue : et ils rendent grâces à Dieu ; bien plus, comparant leur science avec la science de Dieu, ils estiment ne rien savoir et ne prennent leur joie que dans la louange de la vérité. Cajétan, In II am -II iB, q. clxii, a. 3, n° v.

Les remèdes de l’orgueil.

L’orgueil complet

est facilement évité par la considération de l’excellence divine : nous l’avons dit plus haut. L’amour désordonné de la propre excellence, fût-il encore innocent

du mépris divin, est lui-même efficacement combattu par la considération des misères de l’homme : Quid superbit terra et cinis ? Eccli., x, 9, et de l’imperfection des biens mêmes qu’il possède : Omnis caro jœnum et omnis gloria ejus quasi flos agri. Quasi pannus menstruatæ universæ justitise noslra 1. Is., xl, G ; lxiv, 6. Quant aux mouvements orgueilleux antérieurs à toute délibération rationnelle, on ne peut espérer en devenir aisément le maître, vu leur caractère très naturel : est propre à les empêcher une forte vertu d’humilité,

Une doctrine proprement théologique des remèdes de l’orgueil a été instituée sur le fondement de textes de saint Paul, très remarqués de toute la tradition chrétienne (cf. supra). Car l’Apôtre enseigne que Dieu a châtié l’orgueil des gentils en les livrant aux péchés de kl chair. Rom. i, 28 sq. Sur quoi le théologien observe qu’il est sage de recourir au moindre mal pour ôter le plus grand, et que, l’orgueil étant le plus grand péché, Dieu agit sagement qui y remédie par des péchés charnels ; d’autant que ces derniers comportent une honte manifeste, très propre à confondre l’orgueilleux enchanté de son excellence. IIe -II æ, q. clxii, a. 6, ad 3um. Ailleurs l’Apôtre confesse ressentir l’aiguillon de la chair, par le dessein de Dieu qui veut le garder d’orgueil à la suite de si hautes révélations. II Cor., xii, 7 sq. Sur quoi, saint Thomas loue la sollicitude du médecin des âmes et rappelle que Dieu, pour protéger ses élus contre l’orgueil, peut permettre qu’ils tombent même dans le péché mortel. In II am Cor., xii, lect. 3.

Conclusion.

Ainsi nous apparaît la doctrine

de l’orgueil élaborée par saint Thomas d’Aquin, et dont l’intelligence nous a été rendue plus accessible en maints endroits par le secours de Cajétan. Cette théologie se recommande et par sa fidélité constante avec l’enseignement traditionnel chrétien et par la sagacité et rigueur de l’analyse rationnelle.

1. Elle subsiste dans l’enseignement postérieur et contemporain, mais le plus souvent en des raccourcis qui ne respectent pas l’exactitude ou du moins la délicatesse de l’analyse. La plupart des théologiens, bien qu’ils recensent la classification de saint Grégoire et de saint Thomas, en fin de compte traitent l’orgueil comme un péché capital. Ils récitent les quatre espèces classiques, quitte à les appeler des modes aussi bien que des espèces ; et ils omettent l’espèce signalée par Cajétan. Ils partagent la gravité de l’orgueil en mortelle et vénielle selon que l’orgueil est complet et incomplet, mais fondent quelquefois cette gravité sur la nature même de l’un et de l’autre orgueil, ex génère suo, plutôt que de recourir pour la gravité vénielle à l’imperfection de l’acte. Certains observent que l’orgueil complet, qui est celui des anges, est rare parmi les hommes : en quoi ils confondent peut-être le nolle subdi Deo avec le prœesse Deo. Voir : S. Alphonse de Ligori, Theologia moralis, I. V, tract. De peccatis, c. iii, dub. i ; et les manuels de théologie morale, v. g. : Tanqueiey, Synopsis theologiæ moralis, De peccatis et vitiis, art. ii, § 2 ; Prummer, Manuale theologiæ. moralis, pars 1', tr. v, c. vra, a. 1. Quant à l’orgueil incomplet, les théologiens ajoutent qu’il devient mortel dans lo cas où il comporterait mépris notable du prochain ou induirait à quelque péché mortel.

Lessius apporte une contribution originale à la théologie de l’orgueil, parmi un exposé de saint Thomas où il emprunte beaucoup à Cajétan. Car il décrit le développement de ce vice dans l'âme en huit degrés, dont le premier est l’amour désordonné de l’excellence propre, le dernier l’insoumission à Dieu : enrichissement psychologique d’une théologie jusqu’alors plus soucieuse de la parfaite nature des choses. Sur l’appré-