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ORGUEIL. EFFETS


inément à la pensée traditionnelle (cf. supra). L’analyse est propre à justifier cette position ; et voici comme saint Thomas y procède.

L’ange ne peut pécher qu’en ce qui convient à une nature spirituelle. Derechef, en choses spi ; ituelles, on ne pèche que pour adhérer au bien sans observer la règle du supérieur. Or, c’est pécher par orgueil que de ne point se soumettre au supérieur en cela où l’on doit se soumettre. Le premier péché de l’ange n’a donc pu être que l’orgueil. I 1, q. lxiii, a. 2.

L’homme innocent était ainsi institué que la chair en lui ne pouvait répugner à l’esprit. Le premier désordre de l’appétit humain ne fut pas la convoitise d’un bien sensible. Il reste que son premier désordre fut de vouloir démesurément un bien spirituel. Or. l’homme ne l’aurait pas voulu démesurément s’il l’avait voulu selon la mesure déterminée par la règle divine. Son premier péché fut donc de vouloir un bien spiiituel sans tenir compte de la règle divine. Et c’est là pécher par orgueil. D’où il est manifeste que le premier péché de l’homme fut l’orgueil. IF-IF 5, q. clxiii, a. 1.

On voit la parenté de ces deux raisonnements et que l’orgueil est entendu dans l’un et dans l’autre selon la même signification. Le premier péché de l’ange comme de l’homme fut, dans l’appétit d’un bien spirituel, de ne point observer la règle fixée par Dieu. Et cette conclusion se fonde sur ce que l’ange et l’homme, quoique pour des raisons diverses, ne pouvaient vouloir que des biens spirituels ; et qu’il n’y a pas d’autre manière de commettre un péché, ou du moins le premier péché, à l’endroit d’un bien spirituel, qu’en le voulant démesurément.

Saint Thomas tient donc ici pour orgueil une transgression de la règle divine. Il ne peut s’agir manifestement de cette transgression que l’on trouve en tout péché, lequel pour autant ne se change pas en orgueil. Puisque le premier péché fut orgueil, il faut entendre que le pécheur y méprisa la règle divine. Saint Thomas l'énonce des premiers parents : Vterque sibi inniti voluit contempto divinæ regulæ ordine. IF-IF*, q. clxiii, a. 2.

Que l’ange et l’homme aient méprisé la règle divine, il semblerait que cela signifiât un objet mauvais terminant l’acte de leur appétit. Or, nous savons que le premier péché de l’ange ne pouvait consister dans le choix d’un objet mauvais, un tel choix supposant l’erreur, et l’erreur ne pouvant précéder le premier péché, I a, q. lxiii, a. 1, ad 4um ; nos premiers parents, à leur tour, par le bénéfice de la justice originelle, ne pouvaient se tromper qu'à la condition d’avoir péché d’abord, l a, q. xav, a. 4 : leur premier péché ne put donc consister non plus dans le choix d’un objet mauvais. Reste que le premier péché fut le mauvais choix d’un objet bon. Et, comme on a dit que ce premier péché fut l’orgueil, il reste que le mépris de la règle divine marque un mode de l'élection, dirigée d’ailleurs sur un objet bon. Le mépris ainsi conçu créet-il un péché d’orgueil ? Les analyses précédentes répondent affirmativement. Nous n’y avons point dit que l’orgueil dût prendre pour objet l’aversion même loin de Dieu. Mais nous y avons montré l’orgueil se détournant de Dieu dans l’appétit d’un autre objet, en sorte que cette aversion représente, non pas l’objet voulu, mais le mode selon lequel on poursuit l’objet. Il faut seulement observer ici que l’objet voulu dans le premier péché, non seulement n'était pas l’aversion loin de Dieu, mais encore n'était en soi grevé d’aucun mal. Dans ce cas, en effet, le péché peut ne procéder point d’une erreur, mais de la seule inconsidération de la règle ; ce qui répond à l’exigence plus haut définie. Rien n’empêche que l’ange et l’homme aient omis de considérer la règle, cette omission ne

constituant en soi aucun mal : le mal ne commence qu’avec l’action accomplie selon cette inconsidération. [ a -II æ, q. lxxv, a. 1, ad 3 unl. D’autre part, comme l’inconsidération ne saurait être due, dans le cas présent, à la passion, à l’ignorance, à la malice, on ne voit pas comment ne serait pas tenu pour orgueil, où l’insoumission se rencontre de soi, le péché qui en procède.

Quelle excellence poursuivirent ces créatures pécheresses ? Celle de ressembler à Dieu, l’ange selon la puissance, l’homme selon la science et la puissance : chacun à sa manière, ils prétendirent être comme Dieu. Ainsi l'énonce-t-on au nom de considérants qu’il ne nous appartient pas ici de rappeler. Mais n’est-ce pas là vouloir un objet mauvais ? Il y a lieu d’introduire quelque discernement dans les formules où l’on signifie communément et synthétiquement le premier péché. L’ange a voulu objectivement sa béatitude, mais il l’a voulue selon sa propre vertu, et c’est-à-dire sans tenir compte de la règle divine. Non pas encore qu’il ait voulu sa béatitude selon cette condition de l’acquérir par sa propre vertu : auquel cas, il y aurait du mal dans l’objet même de son appétit. Mais, en voulant sa béatitude sans autre condition, il s’est détourné de la règle divine : aversion dans le mode île vouloir et non pas désordre dans l’objet voulu. L’homme a voulu objectivement une similitude de la science divine : or, ce n’est point là un mal, cf. IF-IF, q. clxiii, a. 2, ad 2um ; mais il l’a voulue démesurément, selon un mode déréglé d’appétit. Il a voulu sa béatitude, et ce n’est pas non plus un mal ; mais il a prétendu l’acquérir de soi-même ; en quoi il pèche comme l’ange selon le mode de vouloir et non selon l’objet voulu. L’appétit de l’ange et du premier homme pécheurs n’est donc rendu mauvais que par la manière désordonnée de vouloir un objet d’ailleurs bon. Et c’est ainsi qu’il faut entendre les formules où l’on semble dénoncer dans le premier péché un objet mauvais. Il advient à saint Thomas lui-même de définir le premier péché de l’ange comme l’appétit d’une excellence singulière : Inquantum afjcctavit excellentiam sintjularem, I a, q. lxiii, a. 2, formule à traiter selon la même analyse ; dès lors qu’il a voulu son excellence en se détournant de la règle divine, l’ange est convaincu d’avoir voulu une singularité, en se distinguant d’avec les autres qui tiennent leur excellence de la divine miséricorde. Il y a rejaillissement du mode mauvais de vouloir sur l’objet 1 on ; il n’y a point de mal dans l’objet. Cajétan, In I am, q. lxiii, a. 3, n. xi. Nous trouvons une confirmation de cette analyse, du moins en ce qui concerne l’homme, dans cette doctrine de saint Thomas que le péché du premier homme n’a pas été le plus grave de tous les péchés : bien qu’il ait été l’orgueil, et que l’orgueil soit le plus grave de tous les péchés, il y a lieu encore de faire des différences dans l’orgueil lui-même : plus grave est l’orgueil qui nie ou blasphème Dieu, moins grave l’orgueil qui convoite démesurément une ressemblance divine. IF-II æ, q. clxiii, a. 3.

Les hommes nés d’Adtm ne commercent pas infailliblement par l’orgueil leur carrière de pécheurs ; car ils sont destitués de l’ordre de la justice et peuvent entreprendre de pécher selon diverses manières. Les démons ne cessent pas de pécher par orgueil, car en tout ce qu’ils font ils demeurent asservis à la fin de ce péché. F-II æ, q. lxxxix.

6° Les effets de l’orgueil. — Ils sont innombrables. Déjà nous avons signalé les affinités de l’orgueil avec la vaine gloire et l’ambition, avec la jactance et la présomption. Mais il n’est pas de péché que ne puisse causer l’orgueil, soit par son aversion, soit par sa conversion, nous l’avons dit aussi. Il suffira de rele-