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ORGUEIL. PRIMAUTÉ


puissent procéder de l’orgueil, quand l’homme est incliné à refuser sa foi, à désespérer, à haïr Dieu, par un amour désordonné de sa propre excellence où est inclus de quelque façon le mépris de Dieu ; et dans ces cas, ces péchés reçoivent de leur cause le plus grand surcroît de gravité ; car il y a dans cette cause même une malice qui n’a son égale dans aucune des précédentes. Il semble qu’entre tous les péchés l’infidélité soit le plus exposée à procéder d’un mépris formel ; car l’insoumission ce l’intelligence à Dieu est chose que l’orgueil inspire d’autant plus volontiers que l’intelligence est faculté plus excellente, et l’oigueilleux croit perdre beaucoup de sa valeur s’il captive son intelligence sous un joug étrangi r.

5° La primauté de l’orgueil. — L’orgueil est le premier de tous les péchés, tient saint Thomas. Que veut-il dire ? Cette partie de sa doctrine relève d’un texte de l'Écriture devenu familier à la pensée chrétienne : Initium omnis peccali superbia, Eccli., x, 15. Sous cette proposition, il rassemble des considérations éparses en l’enseignement traditionnel, auxquelles d’ailleurs il fait subir une ékboration proprement théologique.

1. Par une méthode remarquable, saint Thomas. s’enquiert du sens littéral de ce verset duquel nous apprenons que l’orgueil est le commencement de tout péché, et selon les intentions duquel, dès lors, il faut entendre cette primauté. Or, il n’est pas douteux que le Sage parle ici de l’orgueil selon qu’il signifie l’appétit de la propre excellente ; ainsi l’attestent le contexte immédiat et l’ensemble du chapitre. Comment à l’orgueil ainsi entendu attribuer quelque primauté? On la peut découvrir si l’on s’avise que tout pécheur poursuit une fin temporelle et qu’il le fait pour trouver en elle une certaine perfection et excellente : Finis auhm in imnibus bonis iemporalibus acquirendis est ut hemo per illa quamdam perjeetionem et excellentiam habeat. Ia-IIæ, q. lxxxiv, a. 2, cf. supra, col. 1415. Quelque péché que l’on commette, on sert donc les fins de l’orgueil. Par où saint Thomas ne veut point dire que tout péché soit commis selon cette raison ; en ce cas, tous les péchés deviendraient péchés d’orgueil principalement ; tous les péchés seraient connexes dans l’orgueil. Il veut dire qu’en tout bien que l’homme cherche, et quand même il le cherche sous la raison propre de ce bien, le plaisir par exemple ou la richesse, il ne fait que traduire ainsi l’appétit d’une excellence et perfection pour soi. Cette primauté de l’orgueil rejoint exactement telle que saint Thomas a dévolu ailleurs à l’amour-propre (Ia-IIæ, q. lxxvii, a. 4), par quoi il signifiait l'équivalence de l’amour de soi avec l’amour de quelque bien voulu pour soi. Sur ce point, voir M.-D. Roland-Gosselin, L’amour a-t-il tous les droits ? peut-il être un péché? Paris, 1929, c. xiii. Avec cela, tout péché est propre à servir formellement les fins de l’orgueil ; et il n’est point d objet désordonné en quoi l’orgueil ne puisse poursuivre formellement une excellence. En ce cas, le péché commis est principalement l’orgueil et secondairement celui que définit l’objet. Mais cette considération signale ce qui peut être, non ce qui est infalliblement.

La primauté que l’on vient de marquer est celle qui crée les péchés capitaux. Sont réputés capitaux, les péchés dont l’objet représente une fin notablement séduisante, et propre à susciter maints péi liés ordonnés à la mieux atteindre. Or, l’orgueil est d’une telle nature qu’il n’est point de péché qui ne le puisse servir. Il vérifie donc la condition requise du péché capital. Davantage, il la vérifie excellemment. Car les péchés capitaux le sont dans un certain genre ; l’orgueil représente une fin universelle. Certains péchés concourent à la fin de l’avariee ou de l’envie : tous les

péchés sont propres à flatter l’orgueil. Et c’est pourquoi saint Thomas, à l’imitation de saint Grégoire (cf. supra), préfère retirer l’orgueil de la série des vices capitaux et le situer dans l'éminence que mérite son influence universelle. Il est le prince des péchés, et les péchés capitaux ne sont que ses serviteurs. L’insertion de l’orgueil dans la série des péchés capitaux, telle que l’ont adoptée des anciens et des modernes, dissimule la primauté souveraine de ce péché. Dans le système de saint Grégoire et de saint Thomas, c’est la vaine gloire et non l’orgueil qui tient rang de vice capital. Cf. P-II 35, q. lxxxiv, a. 4, ad 4° U1.

2. Les analyses faites plus haut nous permettent d’exploiter davantage le texte de Eccli. et d’entendre avec plus de force la primauté de l’orgueil traité comme péché spécial. Car n’avons-nous pas dit que l’aversion y est directe et non pas consécutive ? Cette condition confère à l’orgueil la primauté qui revient à tout ce qui est per se sur ce qui est per aliud. Il est plus parfait péché que les autres péchés. Mais, comme cette primauté est prise du côté de l’aversion, elle ne se vérifie pas à l’endroit des péchés contraires aux vertus théologales, où l’aversion va jusqu'à recevoir une valeur objective. Et, si l’on dit absolument que 'orgueil est le premier des péchés, cette proposition a le même sens et la même justesse que c el ! e-là qui énonce l’orgueil comme le plus grave des péchés.

Cette primauté dans l’aversion concerne l’ordre de nature. Elle peut se traduire en efficience : car il n’est aucun péché où ne puisse conduire le mépris de Dieu, aucun précepte qu’il ne puisse faire transgresser. L’orgueil détient alors une primauté sur les péchés qu’il cause, en ce sens qu’il accroît leur gravité ex parle aversionis : et celle-ci se vérifie, selon ce que nous avons dit plus haut, à l’endroit même des pé< liés contraires aux vertus théologales. Saint Thomas énonce curieusement et fortement cette primauté de l’orgueil, dans l’ordre de la génération, quand il dit qu’entre les péchés graves l’orgueil est le premier : Jnlcr gravia peccata primum est superbia. IP-II 33, q. clxii, a. 7, ad 4um. Si graves qu’ils soient d’euxmêmes ou par leur cause malicieuse, les péchés que l’orgueil fait commettre reçoivent de ce chef, ex parte aversionis, une gravité excellente, et que le seul orgueil peut leur communiquer. Cf. Cajétan, In IP UU Il x, q. clxii, a. 7, n. m.

Au texte commenté jusqu’ici, semble faire échec le verset voisin : Initium superbise hominis aposlatare a Deo, Eccli., x, 14, où l’on fait d’un péché étranger le commencement de l’orgueil même. Saint Thomas règle aisément ce petit conflit en interprétant cette apostasie comme l’aversion même loin de Dieu, requise au mouvement d’orgueil et comprise en lui. Cf. supra.

3. On signale aussi, à la faveur de textes scripturaires et de gloses, que l’orgueil se rencontre le premier dans l'éloignement de Dieu, le dernier dans le retour à Dieu ; il n’y a point lieu de considérer ici l’orgueil comme péché spécial. En revanche, il est vrai que, tant que l’homme s’obstine dans l’orgueil, il est impropre à recevoir la grâce ; et l’humilité se situe au principe de la justification : per modum removentis prohibent ] humililas primum locum tenet, inquantum scilicet expellit superbiam cui Dcus résistif et præbet hominem subditum et semper palulum ad suscipiendum influxum gratiæ inquantum évacuât inflationem superbia ;. Il '- J I ;  :. q. clxi, a. 5, ad 2 unl.

4. Outre les précédentes, l’orgueil possède cette primauté n’avoir été le premier péché de l’ange et du premier homme. La thèse en est défendue par saint Thomas, à la suite de saint Augustin, et confoi-