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    1. ORGUEIL##


ORGUEIL. GRAVITE

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doit : en ce dernier cas, on porte une nouvelle atteinte au droit de Dieu même qui a institué les rangs et préséances parmi les hommes.

-Mais le jugement se précise et saint Thomas énonce que l’orgueil complet non seulement est un péché mortel, mais gra.Dissim.um omnium peccatorum. Il en donne cette raison que, dans les autres péchés, l’aversion est consécutive à l’amour de quelque bien, au lieu que dans l’orgueil elle est immédiate : Superbia habet aversionem a Deo ex hoc ipso quod non vult Deo et ejus reguhe subjici… Averti a Deo et ejus præceptis quod est quasi consequens in aliis peccatis per se ad super biam pertinet, eu jus aetus est Dei contemplus. IIMF 8, q. clxii, a. 6. Dès lors, l’orgueil l’emporte en aversion sur les autres péchés ; il est donc le plus grave des péchés.

Sur cet enseignement de saint Thomas, Cajétan a institué un commentaire d’une acuité extrême, et il ne semble pas que l’on puisse davantage analyser ; d’autre part, on ne saurait dédaigner ces précisions en une matière de soi assez confuse. Il y a donc, entre l’orgueil et les autres péchés, cette différence que, dans les autres, l’aversion accompagne la conversion au bien périssable, tandis que dans l’orgueil, par un phénomène à peu près contraire, quasie converso, la conversion vers la propre excellence accompagne l’aversion. Mais prenez garde, signale notre commentateur, — et en ceci il dégage une pensée cachée de saint Thomas, — prenez garde que j’ai dit : quasie converso : car l’orgueil ne regarde pas proprement l’aversion comme un objet, mais comme un mode ; ou, plus exactement, comme une certaine démesure, qu’il introduit dans son acte relativement à l’objet, lequel demeure la propre excellence. L’orgueil veut directement exceller : mais il se trouve qu’en cet acte même est compris un mépris de Dieu ; en sorte que l’on ne veuille l’excellence que voulant simultanément, comme un mode de l’appétit, l’insoumission à Dieu. Cette observation ne nous fait pas retomber dans le cas ordinaire où l’aversion est consécutive ; car le fornicateur, par exemple, voudrait bien, tout en forniquant, ne point se détourner de Dieu ; tandis que l’orgueilleux, qui veut son excellence, du même coup veut l’insoumission sans quoi il n’est point pour lui d’excellence. Et Cajétan de confirmer son commentaire par cette remarque très exacte que, dans le texte de saint Thomas, conversion et aversion de l’orgueil sont expressément distinguées, l’aversion y faisant fonction d’aversion et non pas, comme il advient en certains cas, fonction de conversion.

Nous pensons aux péchés contraires aux vertus théologales, dont on peut en effet se demander, sur la foi du présent enseignement de saint Thomas, s’ils sont plus graves ou moins graves que l’orgueil. La précision de Cajétan est propre à nous en informer ; et le commentateur du reste n’a pas omis de faire lui-même cette application. L’aversion, exposet-il, se rencontre dans les péchés de deux façons : soit du côté de l’objet soit du côté de l’aversion ; et, dans ce dernier cas, de deux façons encore : soit consécutivement, soit directement. La plupart des péchés ont leur aversion du côté de l’aversion et consécutivement à l’appétit de l’objet, comme le vol, l’adultère etc., où la conversion à un bien utile ou délectable est accompagnée de l’aversion loin de Dieu. Les péchés contraires aux vertus théologales, comme l’infidélité, le désespoir ou la haine de Dieu, ont leur aversion du côté de l’objet ; car l’homme qui ne croit pas, qui désespère, qui hait Dieu, n’a point d’autre objet que de se détourner de Dieu ; ce qu’il veut, et qui termine son appétit, est de n’adhérer pas à Dieu dans la foi, l’espérance ou la charité. Quant à l’or gueil, il a son aversion du côté de l’aversion mais directement, de la manière dite plus haut. Et cette double condition détermine la position singulière de l’orgueil entre tous les péchés. D’une part, il est plus grave que les péchés où l’aversion, située du côté de l’aversion, est seulement consécutive : on l’a dit. D’autre part, il est moins grave que l’infidélité etc., où l’aversion se tient du côté de l’objet ; car on sait que la gravité essentielle d’un péché vient de son objet (cf. I-i-IF 3, q. lxxiii, a. 3), et il ne se peut concevoir d’objet plus grave que celui qui consiste dans l’aversion même loin de Dieu. Cette dernière appréciation rencontre l’enseignement de saint Thomas qui dit de la haine de Dieu, notamment, qu’elle est le plus grave de tous les péchés ; et la raison qu’il en donne est que l’aversion y est plus volontaire que partout ailleurs, IP-II 33, q. xxxiv, a. 2. Nous comprenons maintenant qu’elle soit en effet plus volontaire que l’aversion de l’orgueil ; car, dans le cas de la haine, elle a lieu selon le droit mouvement de la volonté, dans le cas de l’orgueil, selon l’appétit de l’excellence. Elle se tient là ex parte objecti, ici ex parte aversionis. Il faut donc entendre la gravité extrême de l’orgueil, gravissimum peccatum, gravissimum omnium peccatorum, selon cette importante restriction, où l’on sauve la gravité spécifique plus grande des péchés contraires aux vertus théologales, qu’il est le plus grave ex parte aversionis. Il n’est point le péché dont l’objet soit le plus grave ; mais il est celui où l’aversion, ne faisant pas objet, se rencontre le plus directement. Mais il n’y a point d’inconvénient de dire absolument, comme fait saint Thomas, que l’orgueil est le plus grave des péchés ; car c’est de l’aversion que vient au péché sa raison de mal, absolument parlant ; dès lors, nommer la gravité, c’est signifier l’aversion. In // am -7/ a ', q. clxii, a. ij, n. n et v ; a. 7, n. iv.

3. Il ressort de ces considérations que l’orgueil est de nature à aggraver les autres péchés. Tout péché reçoit sa gravité essentielle de son objet, et ce n’est point celle-là que l’orgueil augmente ; mais la gravité d’un péché dépend aussi dans une mesure de la cause du péché, et l’on veut dire que l’orgueil, s’il cause un péché, contribue de ce chef à le rendre plus grave. A objet égal, un péché causé par ignorance ou par passion est de moindre gravité ; causé par malice, il est de gravité plus grande. Mais en ce dernier cas même, il est moins grave que s’il procédait de l’orgueil ; car la malice signifie ici un attachement très volontaire à l’objet mauvais sans exprimer directement l’aversion loin de Dieu que l’orgueil comporte. L’orgueil introduit en tout péché qu’il cause son propre mode de se détourner de Dieu. Aussi n’y-a-t’il pas lieu de restreindre aux seuls péchés de soi moins graves que l’orgueil cette aptitude à l’aggravation ; en sont menacés, même les péchés contraires aux vertus théologales. Saint Thomas énonce expressément ce dernier cas : Ex parle aversionis, superbia est maximum, utpote aliis peccatis magnitudinem pnestans. Nam per hoc ipsum infldelilalis peccatum gravius redditur si ex superbise contemptu procédât quam si ex ignorantia vel infirmilatc proveniat. Et idem dicendum est de desperatione et aliis hujusmodi. IIa-IIæ, q. CLxii, a. 6, ad 2 am. Nous comprenons en effet que l’infidélité, le désespoir, la haine de Dieu puissent être causés par ignorance ou par passion : et dans ce cas, bien qu’ils conservent leur gravité spécifique, ces péchés reçoivent de leur cause un certain amoindrissement. Nous comprenons qu’ils puissent être causés par malice, s’ils procèdent de Yhabitus d’infidélité, etc. : et dans ce cas, ils sont plus graves parce que plus purement volontaires. Nous comprenons enfin qu’ils