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ORGUEIL. ESPÈCES


q. cxxxiii, a. 2, ad 4° m. On conçoit que l’orgueil est en effet propre à le causer ; mais sans doute est-il aussi susceptible d’une autre origine ; car l’objet de la présomption n’a point avec telui de l’orgueil les mêmes rapports essentiels que la gloire ou l’honneur ; et des hommes peuvent avoir le goût des grandes afïaires et des entreprises démesurées, qui n’y recherchent point l’honneur, ni la gloire, ni l’excellence.

Les vices ci-dessus sont contraires à la magnanimité et leur objet dès lors doit être grand. S’il est médiocre, ces vices se réduiront à ce que nous avons vu plus haut être la philotimia.

L’orgueil n’est pas la jactance, laquelle consiste proprement en ce qu’un homme s'élève soi-même en paroles. Avec l’ironie, son contraire, elle est partie du mensonge et s’oppose à la vertu de vérité. Elle est au catalogue d’Aristote (cf. supra). Mais la jactance, le plus souvent, procède de l’orgueil comme de sa cause intérieure et motrice : car de ce qu’un homme s'élève secrètement au-dessus de soi-même, il suit qu’il parle de soi avec avantage ; néanmoins, il arrive que le jactance procède, non pas de l’orgueil intérieur, mais d’une certaine vanité qui se plaît en ce jeu de paroles fanfaronnes sans y attacher l’amour d’exceller. II'-II^, q. clxii, a. 4, ad 2um ; q. cxii, a. 1, ad 2 1 "".

Cajétan signifie avec beaucoup de force la singularité de l’orgueil entre les vices qui L’avoisinent. L’objet de l’orgueil, explique d’abord ce commentateur épris de distinction, est l'éminence, purement et simplement, , cclsitudo simpliciter ; celui de la présomption, la grandeur en matière d’actions ; celui de de l’ambition, la grandeur en matière d’honneurs etc. Mais, si nous y mettons plus de pénétration, continue-t-il, si perspicacius perscrutati fuerimus, nous verrons que, si, d’une part, l'éminence jointe aux actions ou aux récompenses constitue l’objet des dits vices, d’aulre part, l'éminence jointe à la propre personne constitue l’objet de l’orgueil ; en sorte que, comme le présomptueux tend aux actions éminentes, l’ambitieux aux honneurs éminents, ainsi l’orgueilleux tend à l'éminence de soi. Celle-ci est en effet la seule qui soit strictement éminence perverse au sens absolu du mot ; les autres sont des éminences perverses partiellement, savoir dans les honneurs ou dans la gloire ou dans les actions difficiles. Et, pour mieux percevoir encore ces choses, reprend le commentateur infatigable, considérons que la propre personne peut soutenir avec le vice ou la vertu de multiples rapports : elle est objet, sujet ou terme. En tous les cas, elle est sujet. A l’endroit de plusieurs vices et vertus, elle est terme, en ce sens que l’on mesure selon la personne la convenance ou disconvenance de l’objet ; ainsi la tempérance, la magnanimité, l’ambition, la présomption. L’orgueil, outre ces deux rapports, soutient celui-ci, qu’il regarde la personne propre comme objet. Entre tous les vices, il n’en est point qui en ceci lui ressemble. En sorte que l’objet propre de l’orgueilleux comme tel est ipsemet celsus ou l'éminence de soi, et non point l'éminence des actions ou des honneurs ou de la gloire ou quelque autre grandeur. Superbia habet magniiudinem sui pro per se primo objecto. In Il itm -Jl', ii, q. clxii, a. 1, n. iv-v.

S’il est vrai que l’ambition et la vaine gloire dépendent essentiellement de l’orgueil, il faut dire que ces vices supposent et requièrent, ainsi que l’orgueil, le mépris de Dieu. Mais on conçoit que l’orgueil matériel, comme parle Cajétan, soit de nature à les causer ; auquel cas, ils n’obtiennent point cette redoutable signification.

Les espèces de l’orgueil.

L’amour démesuré

de la propre excellence, tel qu’il suppose le mépris

de Dieu : ainsi a-t-on défini l’orgueil. De ce vice, les théologiens étaient invités à marquer des espèces, car les divisions ne manquaient pas selon lesquelles les anciens auteurs, chacun à sa manière l’avaient partagé.

1. L’une était de saint Anselme (ainsi du moins le croyait saint Thomas ; plus exactement, d’Eadmer, De similitudinibus, c. xxii sq., P. L., t. eux, col. 612 sq.), Selon qui l’exaltation de l’orgueil est tantôt dans 15 volonté, tantôt dans les discours, tantôt dans l’action. Mais cette division, d’après saint Thomas, signale le développement du même péché d’orgueil que l’on conçoit dans le cœur, que l’on produit en paroles, que l’on accomplit en actions. En quoi saint Thomas applique à l’orgueil une idée qui lui est familière du développement des péchés (cf. Ia-IIæ, q. lxxii, a. 7), mais ne prétend point que l’orgueil n’ait sa perfection que si l’on travaille effectivement à se rendre excellent : ce péché est un amour, et l’amour tient dans le cœur. îl reste que cette division ne propose point des espèces complètes de l’orgueil.

2. Une autre était de saint Bernard qui gradua l’orgueil en douze moments, selon le modèle qu’avait le premier dressé saint Benoit de l’humilité (cf. supra). Mais il est certain que ni saint Benoît ni saint Bernard n’avaient eu l’intention de représenter douze espèces d’un genre défini. Et saint Thomas, qui reproduit ces catalogues, observe justement qu’on y a enregistré non seulement des espèces, mais toutes dispositions ayant avec l’orgueil ou l’humilité quelque rapport, soit qu’elles leur fussent antécédentes, soit qu’elles leur fussent consécutives. Selon cette remarque, il faudrait retenir comme exprimant le principe et la racine de l’orgueil la peccandi consuctudo (12 «  degré), en tant qu’elle implique le mépris de Dieu ; comme exprimant des variétés d’orgueil, la libertas, selon quoi l’homme prend plaisir à faire sa volonté, la rebellio, par quoi il oppose sa volonté propre à celle de ses supérieurs, la simulata confessio, par quoi il tente d'éviter le châtiment de ses fautes ; comme exprimant le jugement faux présupposé au désordre de l’appétit, la dejensio peccatorum, la pnesumptio, Yarrogantia ; comme exprimant enfin les signes où l’orgueilleux trahit son vice, la singularitas quant aux actions, la jaclantia et la (évitas mentis quant aux paroles, la curiositas et Vinepta lœtitia quant aux gestes. On voit l’accommodation que subit le sens original des mots en vue de les mieux soumettre aux catégories techniques et comment est renversé l’ordre ingénieux de saint Bernard.

3. Cassien, comme on a vii, avait divisé l’orgueil en charnel et spirituel. Quoi qu’il en fût des choses, ces mots se prêtaient à une division objective et donc spécifique de l’orgueil (cf. Ia-II 86, q. Lxxii, a. 2) ; mais la théologie n’a point retenu ce thème qu’un autre avait supplanté.

4. Saint Grégoire en effet, nous l’avons dit, a dénoncé quatre espèces d’arrogance que devaient recevoir, par l’intermédiaire de Pierre Lombard, les théologiens scolastiques. En saint Thomas, cette division est constante et fait figure de doctrine classique. L'élaboration théologique, en ce cas comme en beaucoup d’autres, fut de justifier rationnellement cette donnée en en manifestant la convenance avec l’analyse technique. L’objet de l’orgueil étant l’excellence, ce sont les divisions formelles de l’excellence qui marqueront les espèces de l’orgueil. Or, il est essentiel à l’excellence qu’elle ait rapport avec le bien ; car c’est le bien qui confère l’excellence. Mais ce bien est en ceci susceptible de plusieurs considérations ; car il rend excellent selon sa possession même, ou selon la cause par quoi on le possède, ou selon le