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ORGUEIL. NOTION GÉNÉRALE


sept premiers vices, se livre contre l’orgueil, de nos maux le plus ancien et le dernier guéri. Selon qu’il tente les parfaits ou les commençants, l’orgueil est spirituel ou charnel. L’orgueil spirituel semble être, selon Cassien, celui de l’homme vertueux qui s’attribue à soi-même sa perfection, méconnaissant ainsi la nécessité du secours de Dieu. Il fut le péché de l’ange et du premier père. A la différence de tout autre péché il s’oppose à Dieu même : Hsec vero proprie perlingit ad Deum et ideirco eum specialiter digna est habere contrarium. De cœnobiorum institutis, t. XII, c. vii, P. L., t. xlix, col. 435. On n'échappe à cet orgueil qu’en répétant à chaque progrès dans la vertu : Non ego sed gratia mecum ; gratia Dei sum id quod sum. lbid., c. ix. En ces explications se découvre à merveille le rapport d’une notion morale inconnue des philosophes avec la doctrine chrétienne de la nécessité du secours divin et de la grâce. Au lieu que les autres vices ruinent une seule vertu, l’orgueil les ruine toutes. Ibid., c. ni. Dieu châtie l’orgueil en permettant que l’orgueilleux tombe dans les vices de la chair, selon que l’enseigne saint Paul aux Romains. Ibid., c. xxi-xxii. Cassien distingue cet orgueil de la vaine gloire ; mais ces deux vires sont ensemble séparés des six autres, et ils ne fructifient que lorsque ceux-là sont arrachés. Collât., V, x. P. L., t. xlix, col. 022-624. L’orgueil charnel est celui qui rend le moine désobéissant, âpre, cupide, etc. Cette partie de l’exposé de Cassien se recommande par la description précise, piquante, judicieuse de ces moines pleins d’eux-mêmes.

3. On sait que saint Benoit a réduit l’essentiel de son ascèse dans le chapitre vu de sa liègte, où sont décrits les douze degrés d’humilité. Sous ce nom, il ne s’agit pas seulement des actes de cette vertu spéciale ; mais il est signalé que la volonté propre est cela qui oppose le plus grand obstacle à la charité. Et cette pe/isée n’est pas sans parenté avec celle de la théologie qui attribuera à l’humilité et à l’orgueil une certaine primauté, chacun en son ordre. P. L., t. lxvi, col. 372 sq. Voir dom Baker, Sancta Sophia, le chapitre sur l’humilité.

4. L’orgueil, selon saint Grégoire le Grand, est le roi suprême de cette armée du vice, dont les chefs sont les sept vices principaux. Quand l’orgueil a conquis un cœur, le reste suit : Ipsa namque vitiorum regina superbia cum devictum plene cor cœperit, mox illud seplem principalibus vitiis quasi quibusdam suis ducibus devastandum tradit. Quos videlicet duces exercitus sequitur… Radix quippe cuncti mali superbia est de qua, Scripti.ra attestante, dicitur : Initium omnis peccali est superbia. Primæ autem ejus soboles, septem nimirurn principalia vitia… Moralia, t. XXXI, c. xlv, P. L., t. i.xxvi, col. 620-623. L’idée d’une certaine primauté de l’orgueil est donc reprise ici ; cf. ibid., I. XXXIV, c. xxin : Nulla quippe mata ad publicum prodirent nisi hsce mentem in occulto constringeret. P. L., ibid., col. 744. La division de Cassien n’obtient pas chez saint Grégoire un égal relief ; mais notre auteur reconnaît en revanche quatre espèces d’arrogance, que retiendra la théologie postérieure. L. XXIII, c. vi, col. 258-259. Par-dessus tout, saint Grégoire décrit une psychologie de l’orgueilleux, I. XXXIV, fin du c. xxii et c. xxin. Plusieurs traits sont empruntés à Cassien, d’autres sont originaux : l’ensemble est inimitable. Les variétés de l’orgueil, les signes où il se trahit, ses effets secrets et manifestes, saint Grégoire excelle à les dénoncer, jusqu'à ce trait d’un puissant raflinement : Hsec in eo quod sponte non appétit nulla exhortatione flectitur, ad hoc autem quod latenter desiderat quærit ut cogatur quia dum metuit ex desiderio suo l’ilescere, optât vim in sua voluntate tolerare. P. L., t. lxxvi, col. 747. On ne peut espérer retrouver dans les morales plus systématiques des théologies posté rieures cette collection d’observations vives, et que la réflexion n’a pas encore dépouillées des charmes <'.e l’expérience. A l’imitation de Cassien, saint Grégoire exploite avec beaucoup l'éloquence et dans un mouvement fort pathétique l’enseignement de l'Écriture sur l’orgueil du diable et l’humilité de Jésus-Christ. Ibid., P. L., t. lxxvi, col. 718-749. Cf. Cassien, De cœn. inst., XII, viii, P. L., t. xlix, col. 435-436. Entre les etïels de l’orgueil, saint Grégoire a singulièrement signalé cette impuissance où est réduit l’orgueilleux de goûter encore la saveuf de la connaissance : l’orgueil induit en maintes erreurs, mais cela même qu’il laisse connaître en vérité, il ne permet pas qu’on en perçoive la douceur : Qui elsi sécréta quædam intelligendo percipiunt, eorum dulcedinem experiri non possunt ; et si noverunt quomodo sunt , ignorant, ut dixi, quomodo sapiunt. Mot., t. XXIII, c. xvii, P. L., t. lxxvi, col. 269-270. Sur ce point, saint Grégoire abonde ; et l’on ne sera pas surpris que saint Thomas ne l’ait pas négligé en sa théologie.

5. Saint Isidore a brièvement traité de l’orgueil. Sententise, II, xxxviii. P. L., t. lxxxiii, col. 639-640. La gravité suprême de l’orgueil vient des personnes qui le commettent, des vertus d’où il procède, de sa dissimulation. Il est plus grave que la luxure, bien que moins honteux ; la luxure sert de remède à l’orgueil. Tout pécheur est orgueilleux, méprisant le précepte divin dans son péché : ainsi faut-il entendre Eccli, x, 15. Principe de tout péché, l’orgueil est aussi la ruine de toute vertu. L’ange est tombé par orgueil. Thèmes remarquables, mais bruts, et que la théologie affinera. — L'étymologie du mot au 1. X des Ety mologiæ, P. L., t. lxxxii, col. 393 : Superbus dictus, quia super vult videri quam est ; qui enim vult supergredi quod est, superbus est.

6. On retrouve dans l’opuscule de saint Bernard, De gradibus humilitatis, P. L., t. clxxxii, col. 940 sq. cette prééminence de l’orgueil entre tous les vices, attestée jusqu’ici par tant d’auteurs. Ce traité, on le sait, est une reprise des douze degrés de l’humilité selon saint Benoît, mais considérés selon l’ordre inverse, c’est-à-dire comme les douze degrés descendants de l’orgueil, le premier degré de l’orgueil correspondant au douzième de l’humilité, etc. Ici, comme en saint Benoît, il ne s’agit pas rigoureusement de ce vice ni de cette vertu, mais il demeure remarquable que l’on décrive l’accès à la vie spirituelle en ces termes-là. L’humilité conduit au premier degré de la vérité qui est la connaissance de soi-même ; d’où l’on passe au se : ond, de la connaissance miséricordieuse du prochain ; d’où l’on passe au troisième, de la pure contemplation de Dieu. En contrariant l’humilité, l’orgueil est donc l’obstacle radical de la perfection : Qui ergo plene veritatem in se cognoscere curât, necesse est ut semota trabe superbiæ quæ oculum arcet a luce, ascensiones in corde suo disponat, per quas seipsum in seipso inquirat, et sic posl duodecimum humilitatis ad primum verilatis gradum pertingat. P. L., col. 949-950.

Maints autres auteurs ont écrit sur l’orgueil avant l'âge des systèmes théologiques. Nous avons relevé ceux-là de qui la théologie devait principalement s’inspirer. L’orgueil, proposé comme nous venons de voir, sera désormais soumis à des analyses et traité selon des méthodes qui nous livreront de cette chose morale la connaissance théologique la plus accomplie.


II. Élaboration théologique de la notion morale d’orgueil. —

Nous exposerons la doctrine de l’orgueil selon saint Thomas d’Aquin, principalement Sum. theol., II' l -lI a ', q. clxii ; D, q. lxiii, a. 1-3 ; IF-II 08, q. clxiii. Cajétan a commenté le Maître avec une sûreté et une sagacité qui semblent porter à son point extrême l'élaboration théologique. Nous proposerons en conclusion les remarques qu’appellent