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ORGUEIL. NOTION GENERALE


au reste, la qualité française de superbe est-elle moins authentique que celle d’orgueil. Par ce dernier mot, Bossuet et Pascal ont traduit la superbia de saint Jean et de saint Augustin ; plus généralement, ces auteurs et d’autres ont usé du mot d’orgueil comme du correspondant français de superbia. Voir : Littré, Dictionnaire de la langue française, aux mots : orgueil, superbe. — I. Origine de la notion morale d’orgueil. II. Élaboration théologique de la notion morale d’orgueil (col. 1414).

I. Origine de la notion morale d’orgueil. — 1° Morales antiques.

Le catalogue des vertus et

des vices établi par Aristote au IIe livre de l'Éthique Nicomachécnne ne comprend ni l’humilité ni l’orgueil. La vertu la plus semblable à l’humilité serait celle-là que le Philosophe députe aux honneurs médiocres, et qui est à la magnanimité comme la libéralité à la magnificence ; elle n’a du reste point de nom. L’homme qui la pratique et se retient de poursuivre les honneurs qu’il ne mérite pas est cependant désigné comme tempérant — owçpcov, temperatus — en un texte que saint Thomas d’Aquin a remarqué (Elh. Nie., IV, 10, 11256, 13 ; Comm. saint Thomas, t. IV, lect. xii), et dans lequel ce théologien discerne une annonce de la vertu d’humilité : Philosophus in IV Ethicorum cum qui tendit in parva secundum suum modum dicit non esse magnanimum sed temperatum : quem nos humilem dicere possumus. II '-IF 3, q. clxi, a. 4. Mais ce n’est ici de la part de saint Thomas qu’une accommodation, attendu qu’il ne tient ni comme orgueil ni comme contraires à l’orgueil les vices opposés à cette vertu, et qu’il connaît sous les noms de pliilolimia et d’aphilotimia, In II Eth. Nie., lect. ix, signalés derechef en une étude sur la magnanimité, IIa-IIæ, q. cxxix, a. 2.

Par accident, la traduction latine de l'Éthique Nicomachécnne dont usait saint Thomas porte une fois le mot superbus : Videtur autem et superbus esse audax et fictor fortitudinis. In III Eth. Nie., lect. xv ; cf. IP-II 33, q. clxii, a. 7, ad 5um, par quoi est traduit le grecàXaÇtàv (Eth. Nie., III, 10, 11156, 29), dont le dérivé àXaÇovela est ailleurs traduit par jactantia II, 7, 1108a, 21 sq. ; S. Thomas, t. II, lect. ix ; IV, 13, 1127a, 13 sq. ; S. Thomas, t. IV, lect. xv). Aristote oppose du reste ce vice à la vertu de vérité et c’est sous le nom de jactantia qu’il sera en effet introduit dans la morale thomiste : IF-IF 3, q. cxii. Saint Thomas a expressément avoué le défaut de la vertu d’humilité, d’où se déduit la notion de l’orgueil, en la morale d’Arislote et l’on sait qu’il n’est guère enclin à appauvrir le Philosophe : Philosophus intendit agere de virtutibus secundum quod ordinantur ad vitam civilem in qua subjectio unius hominis ad alterum secundum legis ordinem determinatur et ideo continetur sub justilia legali. Humilitas autem, secundum quod est specialis virtus, præcipue respicit subjectionem hominis ad Deum, propter quem etiam aliis humiliando se subjicit. IF-II 33, q. clxi, a. 1, ad 5°, n. Ces observations nous disposent à mieux entendre le trait selon lequel se signalera singulièrement l’orgueil. Comme l’humilité n’est point spécialement vertu de la cité terrestre, ainsi l’orgueil troubler a-t-il plus que le bon ordre des hommes entre eux ou de l’homme avec soi.

Le mot de superbia est fort commun dans la littérature latine, et il y désigne de préférence cette excessive élévation de l'âme et cette grandeur immodérée que nous entendons aussi sous le mot d’orgueil. On tient la superbia pour un vice : mais le mot n’a pas été soumis, semble-t-il, à un traitement technique qui lui fixât un sens distinct parmi ce vaste désordre de l’amour des grandeurs où la théologie catholique devait introduire tant de discernement. Et il n’ap paraît pas que l’on blâme jamais dans la superbia cette rébellion contre Dieu qui sera la maire singulière de l’orgueil en cette même théologie.

Écriture sainte.

En maints endroits de l’Ancien et du Nouveau Testament est recommandée

l’humilité, comme est blâmé l’orgueil. On le fait en des termes de morale commune, par exemple, Tob., iv, 14 ; Prov., xvi, 18 ; Eccli., x, 9 ; xxxii, 1 ; plus précisément, on signale la particulière répugnance de l’orgueil à Dieu, Prov., xvi, 5 : Abominatio Dei est omnis arrogans ; I Pet., v, 5 : Omnes autem invicem humilitalem insinuate, quia Deu- ; superbis resistit, humilibus autem dat gratiam ; Jac, iv, 6 : Propter quod dicit : Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam. Le texte cité en ces deux derniers endroits est celui de Prov., iii, 34, d’après la version des LXX. Cf. Jac, iv, 10. Sur ces versets de Jac, voir le commentaire de J. Chaîne, L'épltre de saint Jacques, Paris, 1928 : la théologie catholique devait remarquer ce spécial rapport de l’orgueil avec Dieu. En des textes qui devaient faire loi et être infiniment commentés, l’Ecclésiastique a enseigné une certaine primauté de l’orgueil sur tous les péchés : Quoniam initium omnis peccati est superbia, x, 15 ; Initium superbise hominis apostatare a Deo, x, 14. L’un des signes du Messie, selon que l’annoncent les Psaumes, par exemple xxi, 7, et Isaïe, notamment c lui, est son extraordinaire abaissement ; les évangiles relèvent le même trait ; et saint Paul a magnifiquement célébré l’exemple incomparable de l’humilité du Sauveur, Phil., il, 5-8. Cassien et après lui saint Grégoire le Grand ont ingénieusement mais efficacement opposé, par un choix de textes scripturaires, l’orgueil du diable et l’humilité de Notre-Seigneur (cf. in/ra). L’enseignement du Sauveur a confirmé son exemple.

Les auteurs ecclésiastiques et les Pères.

On voit

comme la notion morale d’orgueil obtient dans l'Écriture une force et une valeur inconnues soit des philosophies soit des consciences païennes. En méditant sur cette révélation, la tradition chrétienne découvre ou signale certains traits de l’orgueil, par où se prépare la définitive élaboration théologique de cette donnée révélée.

1. Saint Augustin a proposé de l’orgueil une définition désormais célèbre : Quid est autem superbia nisi pcrversiv celsitudinis appelitus ? Perversa enim celsitudo est, deserto eo cui débet animus inhserere principio, sibi quodammodo fteri atque esse principium. Hoc fit cum sibi nimis placet. Sibi vero ita placet, cum ab illo bono immulabili déficit quod ei magis placcrc debuit quam ipse sibi. De civitate Dei, t. XIV, c. xiii, P. L., t. xli, col. 420. Une telle définition signale en l’orgueil cette substitution que l’on fait de soi à Dieu, qui est, en effet, la nature singulière de l’orgueil. Cf. ibid., I. XIX, c.xii, col. 639 : Sic enim superbia perverse imitatur Deum etc. L’orgueil est un péché spécial, et tellement qu’il se rem outre jusque dans des actions d’ailleurs vertueuses ; tous nos péchés ne procèdent pas de l’orgueil. De natura et gratia, xxix, 33, t. xliv, col. 203. Que l’orgueil soit le commencement de tout péché, ainsi que le veut Eccli. (cf. supra), il faut l’entendre en ce sens que le diable, qui tente de renverser l’homme, a lui-même succombé à l’orgueil (ibid.) ; ce péché de plus a été celui de nos premiers parents, De civ. Dei, t. XIV, c. xiii, t. xli, col. 420, et nous en héritons dans le péché originel, Enchiridion, xlv, t. xl, col. 254. Sur ce dernier point, voir Kors, La justice primitive et le péché originel, le Saulchoir, 1922, p. 17-18. Il est utile à l’orgueilleux de tomber en un péché manifeste d’où il puisse tirer remède pour son orgueil, De civ. Dei, t. XIV, c xiii, t. xli, col. 422.

2. Cassien a exposé une doctrine importante de l’orgueil. Le suprême combat, une fois défaits les