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NESTOUIUS, CONCLUSIONS


dans la même ambiance que ses contemporains,

prêchant plus tard à la manière des rabota de son époque, mourant sur une croix, en des tortures de l’âme et du corps qui furent trop réelles ; et pourtant quelque chose au cours de toute sa vie transligure inelïablement tous ses actes, toutes ses paroles ; sous la « forme de l’esclave » transparaît continuellement la « forme de Dieu ». Et il n’y a pas de hiatus entre ces deux formes ; c’est bien le môme, sans apparence de dualité, sans déchirement, qui se manifeste à nous. Quelle admirable et unique personnalité l Le Christ est un ; il nous apparaît, en toute vérité ce qu’il est : un unique prosôpon.

Ajoutons que, si la pensée de Nestorius s’était expliquée dès l’abord avec toute la netteté que nous venons d’y mettre, il n’y aurait pas eu dans le passé, il n’y aurait pas, aujourd’hui, de question nestorienne. Compte tenu de tout ce que nous avons lu de lui, nous ne pensons pas néanmoins l’avoir trop défigurée ici. C’est ce dont une étude rapide de la question de l’échange des prosôpons a achevé de nous convaincre.

e. La communication des idiomes. — C’est, en effet de cette manière plus classique et— qui nous est plus familière, qu’il faut, nous semble-t-il, exprimer cette curieuse théorie de l’échange des prosôpons qui a si fort déroulé les commentateurs de Nestorius. Voir les références aux divers passages dans Héracl., p. 388 et p. 389 (la rubrique échange des prosôpons revient deux fois de suite). N’imaginons ici rien qui ressemble à ce que suggérerait d’abord l’expression : échange des masques (prosôpa). Ce sens étymologique de prosôpon est complètement perdu de vue à l’époque. Voici peut-être le passage où Nestorius s’exprime le plus clairement : « Les natures portent le prosôpon l’une de l’autre, aussi une nature se sert du prosôpon de l’autre nature comme s’il était sien… C’est pourquoi, d’après l’onction de l’humanité, la divinité à cause de l’onction est aussi appelée oinle (Christ) et des deux natures (divinité et humanité) est résulté un seul Christ, un Fils, un Seigneur. » Héracl., p. 266. Essayons de traduire en clair et distinguons deux choses, les activités, les appellations. « Une nature se sert du prosôpon de l’autre comme s’il était sien. » La nature divine se sert de ce groupe de propriétés, que nous avons appelé le prosôpon de l’humanité pour ses opérations. Séparé de l’humanité, par exemple, le Verbe ne saurait souffrir et mourir ; mais le Verbe utilise, au profit du prosôpon unique, la capacité de souffrance que possède l’humanité. Inversement, cette humanité reçoit sans cesse le bénéfice d’une certaine communication des propriétés de l’autre nature. Nous ne sommes pas si loin qu’il paraîtrait d’abord de la formule du Tome de Léon : Agit utraque forma cum alterius communione quod proprium est. P. L., t. liv, col. 767 B. Et. tout naturellement, ces opérations communes sont à rapporter, dit Nestorius, au prosôpon unique, le Christ.

Nous, orthodoxes, nous allons plus loin, et nous rapportons en dernière analyse au Verbe divin, comme à son principe éloigné cette activité extérieure ; nous admettons que l’on dise que Dieu est né, qu’il a souffert, qu’il est mort. Bien qu’il regimbe le plus ordinairement contre ces façons de parler et qu’il dise régulièrement : « le Christ est né, a souffert, est mort », Nestorius ne laisse pas, néanmoins, d’autoriser, moyennant certaines restrictions, ces façons dp parler. Voir plus haut, col. 143. Mais c’est justement en vertu de l’échange des prosôpons et il le dit, de manière assez claire, dans la phrase citée : « C’est pourquoi, d’après l’onction de l’humanité, la divinité est aussi appelée ointe. » Traduisons : « C’est proprement la nature humaine quia reçu l’onction messianique, c’est Jésushomme qui est proprement le Christ-, l’oint ; mais

comme chaque nature est unie à l’autre, cette propriété

de l’onction peut être attribuée au Verbe lui-même : le Verbe incarné peut s’appeler le Christ. » Pourquoi, dirons-nous alors, ne lui al tribucrail-on pas de même les qualificatifs de natta, de passas, de mortuus ? et qu’étalt-il besoin de déclamer si vivement contre le théotocos ?

A la vérité ceci est chez Nestorius plutôt indiqué qu’expressément déclaré, mais il convenait d’attirer l’attention sur cet aspect des théories développées par le Livre d’IIéraclide. Et ce que nous en disons explique enfin une phrase que nous avons soulignée dans la longue citation de la col. 148. « I.a chair, dit Nestorius (entendons, au sens scripturaire, l’humanité), est dans la nature et le prosôpon de la divinité ; cette chair est dans le Fils. » Et il continue par un développement qui n’est pas d’une fulgurante clarté, mais qui peut, nous semble-t-il, se traduire ainsi : « Dans le Christ ressuscité, la nature humaine (qui nous est commune à nous et à lui) est surexaltée au-dessus de tout, ainsi elle est honorée dans une autre nature. » Nous serions tout près, semble-t-il, de la doctrine orthodoxe : l’humanité n’ayant pas sa subsistence en elle-même, mais dans le Verbe de Dieu lui-même.

3. Appréciation.

Encore une fois ce sont là moins des indications que des insinuations. Telle qu’elle se présente en bloc, la théorie et la terminologie nestoriennes diffèrent profondément de la doctrine ecclésiastique, telle qu’elle s’est fixée dans les siècles suivants, telle déjà que saint Cyrille en posait la base, telle que Chalcédoine en a fourni la première et claire formule.

Cette doctrine du prosôpon unique du Christ résultant de la juxtaposition des deux prosôpa de l’humanité et de la divinité, même si, par la pensée, on en élimine le sens hérétique que fournirait la traduction de prosôpon par notre mot : « personne » au sens philosophique, cette doctrine ne peut se superposer à la doctrine orthodoxe de l’unité d’hyposlasc ou de personne. Trop exclusivement psychologique, elle ne pousse pas assez loin l’analyse de l’être mystérieux du Sauveur, elle ne va pas jusqu’à la raison même de cette unité profonde qu’elle entend bien sauvegarder, jusqu’à la subsistence de l’homo assnmptus dans et par la personne du Verbe.

Insuffisante, elle est aussi dangereuse, elle laisse place à des expressions, à des façons de parler oui ne respectent pas suffisamment cette unité. Nestorius se l’était-il expressément formulée au début de ses prédications ? Apparaît-elle, au contraire, dans le Livre d’Héraclide, comme une tentative de justifier les incartades qui lui ont été reprochées ? Ce qui est incontestable, c’est qu’elle était dès longtemps sous-jacente à sa pensée et qu’elle explique au mieux quelques-uns de ses passages les plus scabreux. A coup sûr, en y mettant quelque bonne volonté (voir ce qui a été dit de l’interprétation du monophysisme, t. x, col. 2227), la plupart de ces passages sont susceptibles d’une interprétation orthodoxe, et il ne serait pas difficile de leur mettre en parallèle des textes similaires puisés dans la littérature grecque, plus encore dans la latine. Il reste néanmoins que, trop souvent, on a l’impression en lisant Nestorius (dans les fragments surtout) de marcher sur la corde raide. Or, il ne convient pas de contraindre la foi des simples ni même celle des théologiens à de trop fréquents, à de trop violents exercices d’équilibre.

/II. CONCLUSIONS. — Nous pouvons maintenant résumer en quelques mots le résultat de notre enquête.

Il est absolument certain que Nestorius n’a jamais professé l’adoptianisme, au sens précis du mot, la vieille doctrine théodotienne, renouvelée peut-être