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13 NESTORIUS. JUGEMENTS PORTES SUR LUI

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d’Eusôbe ; il est d’un homme de très grande pénétration théologique, très habile à dépister les formes les plus variées d’une erreur, très peu enclin à se laisser payer de mots. Il serait donc d’un poids considérable, n’étaient deux circonstances qui en dimi-Duent l’autorité. Cyrille, dans l’affaire de Nestorius, est un passionné ; des questions personnelles et administratives se sont mêlées chez lui aux questions dogmatiques, et ont pu troubler quelque peu la sérénité de ses appréciations. Voir col. 95, 90. De plus il s’est créé une terminologie et même une théologie qui lui est, jusqu’à un certain point, spéciale, et il a tendance à juger des expressions d’autrui en les rapportant à ses propres schémas, considérés par lui comme répondant de tous points au donné révélé. Voir col. 103.

Marins Mercator a assisté personnellement au premier éclat des discussions constantinopolitaines. Il a relevé dès l’abord la parenté entre l’enseignement de Nestorius et celui de Théodore de Mopsueste, contre qui il est très animé à cause de ses accointances avec le pélagianisme ; il croit aussi à une ressemblance, n’excluant pas quelques divergences, entre Nestorius et Paul de Samosate, et caractérise finalement la christologie de l’archevêque comme un franc adoptianisme, dans lequel la question des mérites joue un rôle capital. Voir Coll. Palal., n. 18, A. C. 0., i, 5, p. 28 ; Baluze, p. 50-51 ; cf. ci-dessus, col. 79. Mercator est un piètre théologien : sa phobie du pélagianisme lui a fait établir des généalogies doctrinales absolument fantaisistes. Son témoignage dans l’affaire nestorienne est donc de peu de poids, mais il a contribué à influencer les Occidentaux.

L’Occident a connu toute l’affaire nestorienne par des renseignements trop incomplets, pour que l’on puisse lui demander une appréciation de la doctrine de Nestorius propre à nous éclairer sur celle-ci. Il est pourtant nécessaire d’entendre les témoins occidentaux, pour avoir une idée approchée de ce que l’Église latine a appelé le « nestorianisme ».

Leur connaissance de la christologie nestorienne leur vient en grande partie de Cassicn, dont nous avons eu l’occasion d’analyser de près le témoignage, col. 99 sq. L’on ne peut établir de manière absolue que le pape Céleslin ait eu en main le rapport de Cassien, avant de lancer son ultimatum de —130 ; mais cette hypothèse reste très vraisemblable. La conviction du pape s’est faite aussi d’après les extraits de sermons de Nestorius, envoyés et traduits par le patriarche d’Alexandrie. Le rejet du Théotokos a semblé à Célestin impliquer de la part de Nestorius la négation de la divinité de Jésus-Christ ou, tout au moins, la doctrine des deux Christs, contre laquelle l’Église romaine avait protesté au temps de Damase. Mais cette appréciation de Célestin dépend très intimement des suggestions cyrilliennes. Du moins convient-il de remarquer que l’ultimatum romain ne reprend en Nestorius aucune théorie d’ordre métaphysique, ne lui impose non plus l’admission d’aucune tessère d’orthodoxie où entreraient des termes empruntés au vocabulaire philosophique. Col. 102.

Pour ce qui est d’une appréciation de la doctrine de Nestorius, fondée sur l’histoire des événements qui se sont déroulés à Éphèse et qui ont abouti à l’accord de 433, il faut renoncer à la demander aux Occidentaux. Ils ont ignoré longtemps les anathématismes cyrilliens, voir col. 89, n’ont pas compris le sens exact de l’insurrection de Jean contre les prétentions alexandrines, et seuls ces événements donnent la clef de la doctrine de Nestorius. Sur toutes ces tragédies successives, ils n’ont été renseignés que de manière unilatérale. Seule, la lettre des deux évêques de Tyane et de Tarse, col. 128, aurait’été de nature

à faire entendre un autre son de cloche ; il ne semble pas qu’elle ait jamais été reçue à Home.

On comprend dès lors que saint Léon, qui proclame dans son Tome à Flavien une doctrine à laquelle Nestorius déclare se rallier, col. 134 et 135, n’ait que sévérités pour le condamné d’Éphèse. Voici comme il expose aux évêques des Gaules, au lendemain de Chalcédoine, l’hérésie de l’archevêque déposé : Nestorius non est toleratus afflrmans bcalam Mariam hominis tantummodo fuisse genitricem qui postmodum sit a Verbi deitate susceptus, duabus scilicel personis distinctis atque divists, ut non esset plias hominis qui filius Dei ; neque unus Christus in utraque naturu, sed aller sempilernus ex Paire, aller temporalis ex maire… Eryo Nestorius in suo dogmate exsecrabilis fuit. Epiât., en, 3 ; P. L., t. liv, col. 986. Comparer ce qui est dit plus en bref dans la lettre à Pulchérie : Nestorius in uno Domino nostro Jesu Christo duas ausus est prmdicare personas, Epist., cxxiii, col. 1061 B ; cf. aussi Epist., cxxiv, 2, col. 1063 A ; clxv, 2, col. 1157 A, etc. C’est d’après ces textes que se formera le concept désormais classique du « nestorianisme ».

Il est inutile de pousser plus avant l’audition des témoins occidentaux ; d’une investigation méthodique il ressortirait, nous semble-t-il, que leurs déclarations relatives au nestorianisme dépendent de Cassien soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire de saint Léon. La querelle même des Trois-Chapitres n’a amené personne à vouloir réviser les appréciations reçues. Tous ceux qui se sont portés défenseurs des Trois-Chapitres (et Dieu sait s’ils furent nombreux) n’ont eu qu’un souci : dégager Théodore de Mopsueste, Théodore !, lbas de toute accointance avec le nestorianisme. Le Synodicon deRusticus, voir col. 87, est dans ce genre le plus remarquable exemple de démonstration paradoxale que connaisse l’histoire littéraire.

2. Monophusites.

Il pourrait sembler, de prime abord, que leur témoignage va corroborer celui des orthodoxes. Avec quelles outrances ils protestent contre Nestorius, ce Juif, qui nie la divinité de Jésus-Christ, qui coupe en deux l’unité de son êtrel Voir surtout les interruptions, au coursdu IL concile d’Éphèse de 449 où ils ont la majorité, les imprécations contre le condamné de 431 et ceux que l’on soupçonne, à tort ou à raison (Théodoret, lbas, d’autres), de connivence avec lui.

Mais, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que leur accord avec les orthodoxes dans l’appréciation de Nestorius est purement extérieur. Lors de son procès à Constantinople devant Flavien en 447, Eutychès s’étonne que l’assemblée veuille lui imposer une profession de foi nestorienne (celle des deux natures), une doctrine qui a été condamnée à Éphèse comme étant celle de Nestorius. Et, comme Eusèbe de Dorylée, l’accusateur, prétend que l’archevêque n’a pas été déposé pour avoir confessé les deux natures, mais pour avoir renouvelé l’hérésie des deux Fils, des deux Christs, Eutychès s’écrie : « Tu mens à son sujet ; car vous pensez comme lui et vous prétendez que ce n’est pas de lui. Car Nestorius a crié des milliers de fois : Je ne dis pas deux Fils, j’en dis un seul ; je dis deux natures et non deux Fils, car le Fils de Dieu est double quant aux natures… Ce n’est donc pas parce qu’il disait simplement deux fils, ni parce qu’il disait que les natures n’étaient pas unies (car il parlait de leur union), qu’il a été condamné, mais parce qu’il prétendait que, même après l’union, il y avait deux natures, que le Fils était double en natures, et que l’union avait lieu en une personne (prosôpon) et non en une nature. Et vous aussi, vous en dites autant. » Héraclide, p. 297. On peut épiloguer sur l’authenticité de ce propos, rapporté par Nestorius ; il est peut-être un de ces