Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/582

Cette page n’a pas encore été corrigée
1145
1146
OHDALIES


cf. Hildenbraud, op. cit., p. 118. Mais cette disposition était demeurée isolée et sans elïct.

Les écrivains ecclésiastiques, au contraire, déjà influencés par certaines décisions pontificales, commencent à se montrer moins favorables aux ordalies. En tout premier lieu, il faut citer Yves de Chartres. Ses écrits contiennent une théorie complète sur les jugements de Dieu. Mais Yves ne se placera plus au même point de vue qu’Agobard. Agobard avait combattu les ordalies au nom des principes théologiques. Yves de Chartres traitera des ordalies au point de vue juridique. « Il se base sur les textes du droit, et voyant leurs contradictions dans cette matière, il cherche à les concilier… Il ne veut point heurter les conceptions de son temps. Il cherche à concilier la rigueur des lois avec les exigences du moment… Toute cette activité modératrice d’Yves, nous la voyons s’exercer dans sa théorie sur les ordalies, » Grelewski, op. cit., p. 64. Cette théorie apparaît moins nette dans les collections canoniques, plus précise dans les lettres. Yves connaît les prohibitions des souverains pontifes ; il s’en souvient pour rappeler que les ordalies ne doivent jamais être imposées aux clercs et qu’il faut, avant d’y soumettre les laïques, épuiser les autres moyens pour découvrir la vérité, Quamdiu habet homo quod faciat, non débet tentare Deum suum. Epist., clxxxiii, P. L., t. clxii, col. 184. De neuf lettres relatives aux ordalies, LXXIV, CLXVIII, clxxxiii, cev, ccxxxii, CCXLVII, ccxlix, cclii, cclxxx, cinq sont hostiles sans restriction aux épreuves judiciaires ; quatre les acceptent en certains cas. Les tribunaux ecclésiastiques n’y recourront qu’en l’absence de tout autre moyen de preuve et ils n’ordonneront jamais le duel judiciaire. Sans en employer encore les expressions, Yves pose la distinction de la purgatio canonica et de la purgatio vulgaris. Cf. Patetta, op. cit., p. 69-87 ; Vacandard, op. cit., p. 198-199.

Tout en rapportant les textes conciliaires favorables aux ordalies, Gratien demeure hésitant : il rapporte aussi les décisions pontificales contraires. La décision d’Etienne V, voir plus loin, l’incite, semble-t-il, à douter de la légitimité de toutes les ordalies : Quælibet hujusmodi purgatio videtur inhibita. Decretum, part. II, caus. II, q. v, c. 22. A bon droit, on peut contester la conclusion trop afïirmative de Patetta, qui considère, en somme, Gratien comme favorable aux jugements de Dieu. Vacandard, op. cit., p. 201, note 1.

L’influence d’Yves de Chartres se fait sentir également, dans quelques décisions d’espèce, sur Hildebert de Lavardin, évêque du Mans ; sur Guibert, abbé de Nogent, et sur Geoffroi de Vendôme. Voir Grelewski, op. cit., p. 87.

Il faut signaler aussi, à la fin du xie ou au début du xiie siècle, une grande collection canonique, contenue dans le ms. de la bibliothèque nationale de Turin, D, iv, 33. Patetta, p. 395.

La distinction, admise à la fin du xii 8 siècle, avec Sicard de Crémone et le cardinal Laborans, entre purgatio canonica et purgatio vulgaris, permettra d’accorder les exigences du droit ecclésiastique contraire aux ordalies avec les coutumes invétérées, conservées dans le droit civil.

6. Au xuie siècle se produit une réaction dans les conciles. Le synode de Paris de 1212 interdit les duels et les autres jugements séculiers dans les cimetières, les lieux sacrés et en présence des évêques. Part. IV, can. 15, dans Hefele-Leclercq, t. v, p.’1315. Disposition que renouvelle le synode de Rouen, en 1214. Ibid., p. 1316.

En 1215, le IVe concile du Latran, XIIe œcuménique, d’une part, maintient les prohibitions antérieures contre le duel, d’autre part, interdit formellement aux clercs de prononcer aucune bénédiction ou

consécration à l’occasion des jugements de Dieu. Voir le texte plus loin. Nombre de conciles particuliers répéteront désormais cette prohibition ; cf. Patetta, p. 311-342. S’il n’y a pas condamnation directe de l’ordalie, pratiquement les dispositions canoniques équivalent à une prohibition. Aussi, dès le xive siècle, tous les commentateurs c-’es collections canoniques ne parleront plus des ordalies que pour rappeler les défenses de l’Église : quod judicium aquie vel jerri vel duellum, écrit un auteur anonyme contemporain, nunquam fieri de csetero permittatur ; cf. M irtène et Durand, Veterum scriptorum…, t. v, p. 1054.

L’Église romaine.

- 1. Documents à éliminer. —

En faveur des ordalies, on a cité un certain nombre de documents pontificaux qu’il faut éliminer du débat.

On a cité une lettre certainement apocryphe du pape Zéphyrin ; un texte mal interprété de saint Grégoire le Grand (le mot judicium y étant, sans aucun fondement, appliqué au jugement de Dieu) ; deux prétendues lettres de Nicolas I er et de Jean VIII, qui se lisent dans un manuscrit de la bibliothèque de Turin, mais que Pflugk-Harttung a cru pouvoir qualifier : « une grande falsification de canons. » Cf. Zeitschrift fur Kirchenrechl, t. xix, 1881, p. 361-372. On trouvera tous détails utiles sur ces documents dans Patetta, op. cit., p. 345-353.

On allègue aussi la rubrique de nombreux formulaires des ixe et xe siècles qui attribuent au pape Eugène II († 827) YOrdo judicii qui commence par ces mots : Si homines vis miltere ad judicium. Jaffé, Regesta, n. 2565. Les partisans de l’authenticité de cette pièce croient qu’Eugène II aurait autorisé en France, avec l’assentiment de Louis le Débonnaire, l’usage de l’épreuve de l’eau froide. Or, Louis le Débonnaire interdit au contraire cette épreuve. Et Hincmar parle des divini viri qui inventèrent ce jugement : cette appellation ne saurait, en tout état de cause, se rapporter à Louis et à Eugène II. Mais, en rapprochant ces mots de la formule de certains Ordines du xie siècle, où le nom d’Eugène est rapproché de ceux de Léon et de Charlemagne, Beatus Eugenius et Léo et Carolus, on peut se demander avec Patetta, si le récit des canonistes, légendaire ou vrai en partie, ne se rapporterait pas originairement à Eugène I er († 657) qui établit l’usage de l’aspersion avec l’eau bénite et à Léon II († 683), tous deux canonisés (de là les expressions de beati et l’ordre chronologique observé, Eugène, Léon, Charles). On aura pu confondre ces deux papes avec leurs homonymes, et l’origine de l’aspersion de l’eau bénite avec l’origine de la bénédiction de l’eau froide des ordalies. Quoi qu’il en soit, même en admettant l’origine pontificale du texte attribué à Eugène II, un doute sérieux planerait encore sur le sens qu’il lui faut accorder.

Enfin, nous avons parlé des falsifications canoniques qui surgirent en France au ixe siècle, Capitulaires de Benoît, Capitulaires d’Angilramne, Décrétâtes isidoriennes. Ces falsifications n’ont pas été sans influence sur les ordalies. Le but des faussaires est manifestement d’exempter les clercs des jugements de Dieu. Les clercs étaient souvent assujettis au droit commun et comparaissaient devant les tribunaux séculiers ; cf. conci>e d’Épaone de 517, can. 11. Mon. Germ. hist., Concil., t. i, p. 22. Or, dans le pseudo-Benoît, on trouve, au contraire, la disposition suivante : Pèregrina judicia generali sanctione prohibemus ; quia indignum est ut ab externis judicentur, qui provinciales et a se electos debent liabere judices. Le sens de ce capitulaire (extrait d’une constitution du Code théodosien) est obvie : il interdit aux tribunaux d’exercer leur juridiction en dehors des limites de leur province. Mais notre faussaire détourne les mots peregrina judicia de leur sens naturel. Tout jugement séculier est peregri-