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ORDALIES


lies de moindre importance et souvent, comme lelles, discutées par les auteurs : épreuves de la motte de terre suspendue, du bain à découvrir les sorcières, de la balance, du pain ou de la chaudière ou du livre suspendus, — ces trois dernières fortement apparentées l’une à l’autre. Voir p. 211-218.

Origine.

Si l’on voulait faire la philosophie religieuse

de l’ordalie, on en trouverait l’origine première dans la nature même de l’homme. Il existe une certaine évolution parallèle entre la religion et l’idée d’un jugement de Dieu. Il faut reconnaître, dans toutes les religions qui se sont manifestées, selon les influences du milieu et de la civilisation, mille, formes différentes du jugement de Dieu. Patetta a fait cette analyse de l’ordalie, au regard du sentiment religieux, c. i, et, c. ii-vi, il en retrace l’histoire dans les principales religions : chez les peuples sauvages et demi-sauvages, c. ii ; dans l’ancienne Egypte et chez les peuples sémitiques, c. m ; chez les Aryens primitifs, dans les religions de l’Inde et de la Perse, c. iv ; chez les populations gréco-italiennes, c. v ; chez les Celtes et les Slaves, c. vi.

La religion juive elle-même offre des exemples de jugements de Dieu, soit par le moyen des sorts, Prov., xvi, 33 ; Jos., vii, 2-18 ; I Rcg.. xiv, 36-43 ; Jon., i, 7, etc. ; soit par l’Urim et le Tluimmim, Ex., xxviii, 30, dont il faut sans doute rapprocher Deut., xvii, 8-14 ; soit par le serment. Ex., xxii. 8-15 ; soit enfin, pour le cas d’adultère caché, par l’épreuve de l’eau amère, Num., v, 11-28.

Cette étude sur les ordalies dans les religions anciennes, antérieures au christianisme, permet à Patetta de conclure, en ce qui concerne le haut Moyen Age et les populations de race germanique, à une origine païenne de la plupart des jugements de Dieu, conclusion singulièrement renforcée au c. viii, où l’auteur établit minutieusement les rapports des jugements de Dieu avec les autres preuves de culpabilité admises par l’ancienne législation des peuples germaniques. Déjà, à la fin du xviiie siècle, F. Maier l’avait précédé dans cette voie : mais, avec un luxe de textes empruntés aux sources, et par une discussion serrée des documents, l’auteur italien a fourni une démonstration sans réplique. La cause est aujourd’hui jugée : « Si quelques ordalies, telles que la preuve de l’eucharistie, le jugement de la croix et le serment sur les reliques des saints, ont un caractèreessenliellement chrétien, toutes les autres et, pour ne citer que les principales, le duel, les sorts, l’épreuve du fer rougi, les épreuves de l’eau bouillante et de l’eau froide, sont manifestement, chez les peuples baptisés, d’importation germanique. Ce sont des lois et des coutumes barbares qui ont passé par une infiltration lente et progressive dans les mœurs des fidèles et jusque dans les canons des conciles. » Yacandard, L’Église et les ordalies, dans Études de critique et d’histoire religieuse, l" série, Paris, 1905, p. 191.

Désormais, on ne doit plus citer qu’à litre historique l’opinion qui présente le concept de jugement de Dieu comme une idée spécifiquement chrétienne. J.-A. Hofî, Von den Ordalien oder Gottesurtheilen in historischen Erziihlungen, Mayence, 1814, p. 16 ; Hegewisch, Uebersicht der deutschen Kulturgeschichte, Leipzig, 1788, p. 105, note ; etc. Toutefois, on ne saurait accepter sans restriction l’opinion diamétralement opposée, que toutes les ordalies sont d’origine païenpe, même le jugement de la croix. Plus ou moins en ce sens, Hergenrôther, Hist. de l’Eglise, tr. fr., t. iii, Paris, 1895, p. 156 iKirchengeschichte, t. i, p. 82) ; Jac. Grimm, Deutsche Rechtsallerthùmer, 3e édil., Gcetlingue, 1881, p. 909 ; F. Dahn, Geschichle der deutschen Vrze.it, 1 er fasc. de la Deutsche Geschichle, vol. xliv de la Geschichte der europaïschen Staaten, Gotha, 1883, p. 24, etc. Entre

ces opinions extrêmes, il y a place pour de multiples systèmes plus ou moins divergents, mais qu’on peut ramener à deux catégories. Certains auteurs estiment que les ordalies étaient familières aux anciens Germains, mais que les formes que nous en connaissons ont été, les unes inventées, les autres modifiées par le christianisme. D’autres affirment que les formes sont restées païennes, mais que le concept du jugement de Dieu comme moyen de preuve d’innocence ou de culpabilité, est d’origine proprement chrétienne. A la première catégorie appartiennent Kogge, l’eber das Gerichtswesen der Germane.n, Halle, 1820, p. 104 ; Waltz, Deutsche Verfassungsgeschichle, t. i, Kiel, 1880, p. 447 ; Wilda, Geschichte des deutschen Stra/rechts, Halle, 1842, p. 480-482. De la seconde relèvent Pfalz, qui se rattache cependant à Wilda par sa théorie des ordalies populaires auxquelles le christianisme aurait substitué les ordalies sacerdotales, Die germanischen Ordalien, Leipzig, 1865, p. 18, 19, 24 ; mais surtout F.-W. Unger, Der gerichtliche Zwetkampf bei den germanischen Volkem, d3nscsGôttingerStudien, 1847, p.352sq., etC.Hildenbrand. Die Purgatio canonica und vulgaris, Munich, 1841, p. 16, 22. L’hypothèse initiale de ces systèmes, que le jugement de Dieu est un concept essentiellement chrétien, est démontrée fausse. Ce concept appartient aussi bien à l’ancienne législation germanique.

Il n’en est pas moins vrai que, malgré quelques réactions individuelles, — on cite, d’après Agobard, saint Avit, P. L., t. civ, col. 124-125, 251, et Cassiodore, t. lxix, col. 588, — le christianisme avait adopté la plupart des ordalies et que, sous leur influence, il a tiré de sonpropre fonds(croix, eucharistie, reliques des saints) de nouvelles formes de jugements de Dieu. Sous quelles influences, avec quelles préoccupations, dans quels buts se sont faites ces adaptations ? Tel est le problème que maints auteurs ont tenté de résoudre à propos des origines des ordalies. Est-ce dans le dessein d’abolir les ordalies d’origine païenne, comme l’insinuent Unger, Hildebrand et l’affirme Pfalz ? Est-ce par une sorte d’imprudence, non calculée d’ailleurs, comme le dit Thonissen, L’organisation judiciaire… de la loi salique, Bruxelles, 1882, p. 515 ? Faut-il plaider la bonne foi ? Hildenbrand, op. cit., p. 174-184. Faut-il, au contraire, invoquer ici l’influence de la cupidité et des basses passions, comme le voudraient Thomasius et Plank, cités par Hildenbrand ? Faut-il se rallier à une thèse plus communément admise, qu’un sentiment réel de piété et de justice serait à l’origine de ces adaptations ? On sait, de plus, que Hergenrother cl quelques autres, distinguant le serment de l’ordalie, déclarent que l’Église s’est efforcée de substituer celui-là à celle-ci. Hypothèses qui présentent toutes quelques points de vraisemblance, mais qu’il est impossible de vérifier historiquement d’une manière totale.

Ce qu’on peut dire, en toute vérité, c’est que les chrétiens, dans l’histoire de leurs origines, trouvaient des antécédents capables de les disposer en faveur des ordalies. Les épreuves de l’eau bouillante et du fer rougi n’étaient pas pour étonner des chrétiens accon tumés à entretenir leur piété par le récit du supplice de saint Jean l’Évangéliste devant la Porte latine, et pyr le souvenir d’autres actes merveilleux du martyrologe. Saint Augustin n’avait-il pas demandé un miracle au tombeau de saint Paulin de Noie, pour prouver l’innocence de deux prêtres accusés ? Epist., lxxviii, n. 4, P. L., t. xxxiii, col. 268-269. L’Écriture elle-même fournissait des arguments, qu’on retrouve indiqués dans les Ordines du haut Moyen Age : les trois jeunes gens dans la fournaise, le fer d’Élie surnageant l’eau, l’eau amère, le duel de Goliath et de David, saint Pierre marchant sur les eaux, etc. Quoi