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ORATOIRK. SPIRITUALITÉ, LES SUCCESSEURS


sacerdoce, longtemps chanté a Saint-Sulpice et qui a nourri pendant près de trois siècles la piété du clergé de France. La bulle de canonisation l’appelle, a très juste titre. Auteur ilu culte liturgique des SS. Cœurs de Jésus et de Marie. La lecture de saint François de Sales, qui parle souvent du cœur de Jésus « si aimant et si amoureux de notre amour », l’avait préparé à développer cette dévotion, mais plus encore l’habitude, prise à l’Oratoire, d’honorer les dispositions de.lésus et de Marie, par conséquent leur amour pour l’humanité. Autant qu’on peut l’inférer de ses écrits, il arrive à la dévotion pour le Cœur par la dévotion bérullienne à la personne de Jésus-Christ. Il avait célébré la Fêle de Jésus qui a pour objet « tout ce qu’il est en sa personne divine ». Or, le cœur est pour lui le symbole de tout ce qu’il y a de plus excellent dans la personne, c’est-à-dire l-’amour ; il commence par la personne pour arriver au cœur et à l’amour. Pour lui, la fête du Cœur de Jésus « est le principe de tous les mystères qui sont contenus dans les autres fêtes… et la source de tout ce qu’il y a de grand, de saint et de vénérable dans les autres fêtes. » Œuvres, t. viii, [). 313. Il opère la jonction de la doctrine plus spirituelle de l’école bérullienne avec la dévotion plus tendre de l’école salésienne.

A l’exemple du P. de Bérulle, il ne sépare pas la sainte Vierge de son divin Fils, il fait comme lui le vœu de servitude à Jésus et à Marie : c’est à la suite du P. de Condren et avec M. Olier qu’il rapproche le piètre de la sainte Vierge : il appelle Marie la mère, la reine et la sreurd.es prêtres et salue en ceux-ci une « image de la Vierge Mère ». Œuvres, t. iii, p. xxiv. Son ouvrage le plus important Le Cœur admirable de la Très-Sacrée Mère de Dieu est rempli d’idées bérulliennes, il adopte en la modifiant un peu la prière O Jesu vivens in Maria.

De même pour les saints, que nous devons honorer parce que « Jésus les aime et les honore… qu’ils aiment et honorent Jésus et qu’ils sont ses amis, ses serviteurs, ses enfants, ses membres et comme une portion de lui-même. » Œuvres, t. 1, p. 344. Ce n’est pas diminuer saint Jean Eudes de dire que ce qu’il a de meilleur, il le tient de l’Oratoire ; ses disciples ne peuvent que gagner à le reconnaître.

Citez un grand nombre d’autres.

 Beaucoup

d’écrivains du xvii » siècle et jusqu’à nos jours reprendront cette merveilleuse doctrine pour l’approprier au milieu dans lequel ils vivront :

1. Parmi eux, il faut avant tout compter Bossuet, « le plus illustre des Bérulliens, » dit A. George, L’Oratoire, p. 139. Il emploie des mots dans le sens que Bérulle le premier leur avait donné : ainsi élévation, synonyme de prière. Il l’imite quelquefois de très près : Jésus « sort comme un trait de lumière, comme un rayon de soleil ». Cf. Grandeurs de Jésus, p. 468. Il s’en inspire souvent comme datis le Premier sermon sur lu Nativité de la sainte Vierge, dans l’élévation sur l’Annonciation de la sainte Vierge, Salut de l’ange. Que de choses dans Bérulle qu’on admirerait, si elles étaient de Bossuet. On date le français moderne du Discours de la méthode ou des Provinciales : le P. de Bérulle a admirablement écrit bien avant : « Faites vivre Bossuet un demi-siècle plus tôt, dit le cardinal Perraud, et il eût peut-être écrit comme le cardinal de Bérulle ; et si celui-ci avait eu à son service une langue plus assouplie et plus disciplinée, qui sait s’il n’aurait pas, lui aussi, marqué sa place parmi les classiques du xvrie siècle ? » L’Oratoire…, p. 75.

2. Son influence est sensible sur plusieurs jésuites : chez le P. Saint-Jure, qui ne connaissait pas les écrits du P. de Bérulle quand il écrivait, en K133, La connaissance et l’amour du Fils de Dieu, mais qui fut initié à sa doctrine par un de ses pénitents Gaston de Henty ;

il l’adopte à partir de l’Homme spirituel, et l’expose avec enthousiasme.

Après, il faut citer le P. Louis I.allemant chez qui l’on trouve des expressions comme celle-ci : « Il faut imiter la vie intérieure de Dieu en ce qu’il a au dedans de soi une vie infinie. » La doctrine, p. 293. Avec lui, les PP. de son école : Champion, Higoleuc, Huby, pardessus tout peut-être Surin, ensuite Guilloré, chez qui les expressions bérulliennes abondent : « Il faut se revêtir des opérations de Jésus ; » les PP. Nouet, Grasset, et plus près de nous, de Caussade, Grou.

3. On peut affirmer aussi que tout ce que l’on admire dans Port-Royal, il est possible d’en trouver le germe dans le P. de Bérulle, le schisme et l’orgueil en moins, bien entendu, la jeunesse, l’élan, la vie débordante en plus, et surtout l’amour à la place de la crainte.

4. Après cela, on doit constater encore son influence sur M. de Bernières, en ce qu’il a de bon, sur le B. Grignon de Montfort qui ne fera que suivre la doctrine bérullienne quand, dans son Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, il recommandera de se consacrer totalement à Marie en qualité d’esclave, sur Henri Boudon l’archidiacre d’Évreux, le saint Monsieur Boudon, comme on l’appelait. Voir Pourrat, La spiritualité chrétienne, t. iv, p. 55 sq.

Et de nos jours, elle se retrouve chez dom Guéranger. le P. Fabcr, le P. Libermann, Mgr Gay. le P. Lhoumeau, le P. Giraud dans Prêtre et Hostie, notamment, dom Marmion, etc. M. Letourneau lui attache une très grande importance dans Écoles de spiritualité, L’école française du xvri’siècle. Cette influence continue et continuera par les grands séminaires issus de l’Oratoire qui ont reçu de lui leur spiritualité et sont toujours animés de l’esprit de M. de Bérulle.

5. On pourrait aussi rechercher ce qu’il a mis de lui dans des dévotions plus anciennes comme la dévotion à l’EnfantJésus. Dans la crèche, il voit la dure réalité « cachée sous la grâce et la bénignité… Jésus prend vie pour souffrir. » Œuvres, p. 1395. Pour le P. de Condren, cet enfant est un composé de quatre bassesses : « petitesse de corps, indigence et dépendance d’autrui, assujettissement, inutilité. » Cf. Bremond, t. iii, p. 520. Mais ce sont là considérations trop austères qui intéresseront peu la foule. L’école fran çaise aura créé < d’abord un état d’esprit, un ensemble de dispositions intérieures, il faudra qu’on en vienne à quelque chose de plus extérieur, à des formules, à des images, à des confréries, à des règlements. Nous touchons ici à une des difficultés qu’a rencontrées l’Oratoire, à cause même de la sublimité de sa doctrine qui heurte les instincts de l’humanité commune. En religion comme en tout, le plus grand nombre est anthropocentriste : le théocentrisme a bien des chances de n’être compris que de quelques-uns. L’histoire des autres dévotions dans leurs rapports avec le bérullisme confirmerait ce dire : « Dévotion au Saint-Sacrement, à la sainte Vierge, à saint Joseph, aux saints, aux anges, il n’en est pas une qui n’ait subi plus ou moins l’influence théocentrisante, intériorisante de l’école française : pas une. je le crois, non plus, qui n’ait plus ou moins résisté à cette influence. » Bremond, ibid., p. 515, n. 2.

Le fondateur de l’Oratoire est donc à l’origine de presque toutes les grandes initiatives qui ont renouvelé le catholicisme : rien de vraiment nouveau n’a été ajouté au magnifique système qu’il a composé. Il est l’homme de l’Église universelle, sa doctrine s’adresse à tous : dans un temps particulièrement difficile, il a réussi à réaliser le retour à la primitive Église en servant admirablement l’Église, lorsque protestants et jansénistes ont obtenu un résultat tout contraire. On ne peut lire le P. de Bérulle avec désir de s’instruire,