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ORATOIRE. SPIRITUALITÉ, CONDREN


ses écrits ont dirigé, nourri, fécondé pendant plus d’un siècle la religion d’une élite ;, ses disciples, ont conservé le fond, et, quelquefois, il est difficile de discerner ce que chacun d’eux a apporté d’original à l’exposition de la doctrine commune.

Le P. de Condren, deuxième supérieur général, que Bremond appelle « le plus haut génie religieux des temps modernes », dont le P. Amelote disait : « C’est un aigle que je perds de vue dans les nuées et un chérubfn qui éblouit mon esprit de ses lumières, » Préface de la vie, dont.Mme de Chantai faisait l’éloge en ces termes : « Il me semble que Dieu avait donné notre B. Père pour instruire les hommes, mais qu’il a rendu celui-ci capable d’instruire les anges », le P. de Condren tient une place prépondérante parmi les disciples.

1. Le P. de Bérulle avait fondé la nécessité de l’abnégation sur cette idée : Moins il restera de nous-mêmes en nous-mêmes, plus le Christ y vivra, comme une hostie qui, pour être consacrée, doit perdre son être entier et ne conserver que les apparences. Le P. de Condren, qui, selon l’expression du fondateur, avait reçu l’esprit de l’Oratoire dès le berceau, insiste davantage sur l’abnégation qui s’impose à nous du fait de notre création et la pousse beaucoup plus loin que son maître, chez qui le théocentrisme s’oriente spontanément vers l’adoration cantique, tandis que, chez Condren, il descend jusqu’au sacrifice d’adoration. Pour rendre à Celui qui est tout, la gloire qui lui est due, il faut que la créature lui offre tout ce qu’elle est, qu’elle détruise, autant qu’il est en elle, le semblant d’être dont elle dispose. Ne pouvant pas se détruire lui-même, l’homme offre à Dieu des victimes comme celles de l’ancienne loi, mais, étant institué pour reconnaître « Dieu comme auteur de tout l’être et pour reconnaître son souverain domaine sur cet être », le sacrifice exigerait la destruction entière de la victime. Ce qui est impossible, et du reste, l’offrande du néant ne sera jamais que néant. Heureuse faute du péché originel qui nous a valu un tel rédempteur, mais qui surtout a procuré à Dieu un sacrifice digne de lui : « Le sacrifice de Jésus-Christ est… le dernier effort qu’a fait la divine Sagesse pour former l’artifice de toute la gloire qui se peut donner à l’Être infini. » Amelote, op. cit., p. 136. Aussi le Christ est venu, non pas d’abord pour être notre rédempteur, mais pour être hostie à son Père, hostie digne de lui parce qu’elle est infinie, f.à où Bérulle parle d’un adorateur infini, Condren parle d’une victime de valeur infinie : Jésus-Christ est avant tout hostie à son Père. (Sur le sacrifice de la messe tel qu’il le conçoit, voir. art. Messe, t. ix, col. 1198.)

Mais, si le Fils de Dieu s’est offert à son Père « pour être consommé en Dieu », il faut que, nous aussi, nous soyons consommés « tout à fait en lui, avec dessein de perdre tout ce que nous sommes », c’est-à-dire tout ce qui n’est pas de Dieu en nous. Jésus s’est offert à son Père « pour être tout en nous comme un autre nous-mêmes, » il faut donc que nous nous considérions comme victimes ; d’où les expressions dont Condren se sert fréquemment : Ayez l’intention de vous déposséder de votre nature… Votre occupation doit être tout pour Dieu… Nous devons nous laisser entre les mains de Dieu avec l’intention de n’être rien en nous-mêmes, mais qu’il soit tout en nous. Différence entre Bérulle et Condren : « Le premier prêche surtout « une adhérence » qui permette à l’Homme-Dieu de « s’approprier » nos « états » ; Condren une adhérence à l’anéantissement à la « consommation » de l’Homme-Dieu, qui nous « réduit » et « consomme » dans le sacrifice même de l’incarnation et du Calvaire. » Breniond, Op. cit., t. iii, p. 369.

2. Cette position fondamentale a des applications fréquentes : en ce qui concerne l’oraison d’abord,

DICT. DE THÉOL. CATH.

laquelle a pour but « d’adorer la souveraine majesté de Dieu, par ce qu’il est en soi, plutôt que par ce qu’il est au regard de nous, et d’aimer plutôt sa bonté pour l’amour d’elle-même que par un retour vers nous. » Bourgoing, Ve avis sur l’oraison. Les méthodes en usage, dit Condren, ne semblent pas « avoir de conformité à notre institution… Nous aimons trop à agir dans l’oraison par discours et imagination. » Il faut s’humilier devant Dieu, confesser son indignité, son impuissance à approfondir les sujets par ses pensées, « se contentant de les regarder avec humilité, pour les honorer et révérer, jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de regarder notre bassesse et notre pauvreté et nous donner sa lumière pour entrer en ces sujets… L’âme, qui n’a rien mérité que l’enfer par ses offenses, doit se consumer et s’abîmer devant la majesté de son Dieu… reconnaissant son néant et la grandeur de Dieu… Nous n’honorons pas Dieu, absolument parlant, par les pensées que nous formons de lui et de ses mystères. .. Mais notre âme… l’honore et le glorifie en quelque sorte, parce qu’elle témoigne soumission, amour, estime, respect et révérence vers la grandeur et majesté de Dieu. »

Dans la préparation : « Bien que, comme simple créature, vous n’en soyez pas digne (d’avoir accès auprès de Dieu)… toutefois comme membre de Jésus-Christ, c’est-à-dire comme chrétien, vous avez droit de vous approcher de Dieu. » Lettres, éd. Pin, p. 399 sq.

Dans le corps de l’oraison, les actes à accomplir sont : 1° L’adoration ; 2° La donation de soi-même au Fils de Dieu ; 3° L’action de grâces ; -1° L’amour ; 5° Le zèle ; 6° La demande. La méthode de Saint-Sulpice, dans laquelle celle du P. de Condren trouvera son expression complète, emploie également le terme adoration, mais se sert des mots communion ou application à soi ; coopération ou participation pour traduire les autres actes.

3. Des méthodes, dont l’usage s’est conservé à l’Oratoire, servent à appliquer les mêmes pensées aux différents actes à accomplir : « Le réveil est le commencement de notre vie en la journée, puisque par lui nous sortons du sommeil qui est une espèce de néant et de mort… nous ne devons en sortir que pour commencer à honorer Dieu, sa vigilance immuable, éternelle et infinie… Offrir notre réveil au premier moment de liberté du Verbe entrant… dans l’être créé…Benoncer à nous-mêmes et nous donner à lui dans cet us ige qu’il lui plaît faire de l’homme. » Clovseault, Vies…, t. i, p. 274 sq.

Le temps a été créé par Dieu, nous devons le recevoir « comme un don qu’il nous a fait… et le rapporter tout entier à sa gloire… Nous n’avons pas un seul moment de temps qui ne nous soit donné en considération de Jésus-Christ, et qui ne nous ait été acquis par sa mort… Selon la justice divine, l’homme devait mourir incontinent après son péché… Cette sentence rigoureuse a été exécutée à la rigueur et à la lettre contre les anges… Il n’est pas un instant qui ne soit dû à la rédemption du Fils de Dieu… La justice nous oblige à le rapporter » à Celui qui nous l’a acheté pretio magno. Lettres, éd. Pin, p. 242. Habituellement, on commence par s’élever jusqu’à Dieu un et trine, pour s’adresser à Notre-Seigneur, ensuite à soi-même et remonter de soi à l’Église, au Verbe, à la Trinité.

4. On fait de même pendant le cours de l’année chrétienne : Ainsi, à l’Ascension : « Je supplie Notre-Seigneur Jésus-Christ de vous unir à sa très sainte Mère, à ses apôtres, à ses disciples et à toute l’Église dans l’amour et l’adoration de son état parfait et accompli dans lequel il est entré par son Ascension. Lettres, p. 63. A la Pentecôte : « Dieu, en nous donnant son Esprit, nous donne l’Esprit de Jésus crucifié.. L’Esprit, qui nous est donné dans cette fête, n’est pas

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