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ORATOIRE. SPIRITUALITÉ, CONDREN


est l’ouvrière, notre cœur est la planche, notre esprit est le pinceau et nos affections sont les couleurs qui doivent être employées en cet art divin. » Ibid., p. 317. Jésus lui-même veut se peindre en nous-mêmes. C’est donc « Jésus dans les saints qu’il faut voir. »

Pour cette raison, le fondateur du Carmel en France s’attache d’abord aux contemplatifs comme étant plus près de Jésus. De Marthe si affairée, il fait celle qui « adhère au Fils de Dieu non par quelques actions ou quelques services de la vie active… mais par office et par état, par condition permanente et par le dessein que Jésus a de lui conférer cet état et cet office en sa maison qui est son Église. » Œuvres, p. 1116.

Il a une dévotion spéciale, conservée à l’Oratoire qui en faisait l’office, pour les saints qui ont approché Notre-Seigneur de plus près : le vieillard Siméon, Anne la prophétesse, saint Jean-Baptiste, saint Jean l’Évangéliste, Joseph d’Arimathie, Lazare, les saintes Femmes, le Bon Larron, par-dessus tout Marie-Madeleine. Il a composé, en 1C25, pour la jeune reine d’Angleterre : Élévation à Jésus-Christ, Noire-Seigneur, sur la conduite de son esprit et de sa grâce vers sainte Madeleine, l’une des principales de sa suite et des plus signalées en sa faveur et en son Évangile, délicieux opuscule, dans lequel il admire en elle toutes les formes et tous les degrés d’amour que les saints ont eus envers Jésus ; elle est pour lui l’âme type ; ce qu’il en dit pourrait servir de résumé de théologie mystique.

a) Selon lui, rien en elle de l’amour humain tel que le décrira plus tard Lacordaire : « Les délices de Madeleine en la présence de Jésus ne sont en rien semblables aux sentiments humains… Jésus est un objet tout divin, tout céleste, et sa présence ne produit dans les cœurs que des effets divins. » Œuvres, p. 1110.

b) C’est d’abord un amour pénitent, mais Madeleine « commence où à peine les autres finissent et, dès le premier pas de sa conversion, elle est au sommet de la perfection. » Élévation, éd. de la Vie spirituelle, p. 3. Cet amour « plus que séraphique » répare la faute des anges, « il n’est pas encore dans le ciel, et il est en la terre ! Il n’est pas dans les séraphins et il est dans le cœur de cette humble et prosternée pénitente… pour faire hommage au mystère d’amour qui est l’incarnation’et pour rendre honneur au triomphe d’amour qui est Jésus… L’amour fondé en cette grâce nouvelle et dépendante de l’Homme-Dieu surpasse l’amour infus aux anges dans le ciel. » Ibid, , p. 5, 10.

c) Puis un amour tout ravi en Jésus : « Vous êtes chez et le, c’est-à-dire dans son cœur et dans son esprit… Vous lui êtes tout et tout ne lui est rien… elle ne voit que vous en cette salle, en ce banquet… Je m’éjouis de voir ce chef-d’œuvre de grâce et d’amour… cette âme toute sainte et céleste aux pieds du Saint des saints. » P. 14-16.

d) Un amour actif aussi : « Vous la liez à vous pour jamais, vous la rendez de votre suite, vous l’admettez entre vos disciples, vous l’adoptez en votre famille, vous l’associez à votre sainte Mère, et elle vous accompagne et accompagnera jusqu’à la croix. » P. 22. — « Ses actions ne respirent et ne répandent que l’odeur de Jésus. » P. 1 13.

e) Amour navré de la mort de Lazare, toujours sensible par conséquent aux malheurs de la terre : « Il vous navre aussi d’un nouvel attrait et amour vers lui. Car il pleure en vous voyant pleurer, il pleure sur vous en vous voyant pleurer sur votre frère. » P. 110.

A partir de là, elle gravit les derniers degrés de ce que les saints ont appelé union mystique, décrite par sainte Thérèse dans les dernières demeures du Château de l’âme, et par saint Jean de la Croix dans la Nuit obscure.

/) Amour réduit à marcher dans l’obscurité : quand elle verse son parfum sur la tête de Jésus, « ne sachant

ce qu’elle faisait.., par son humble et sainte ignorance, elle nous apprend à suivre fidèlement les mouvements du Saint-Esprit, sans voir, sans discerner les causes et les fins pour lesquels ils nous sont donnés. » P. 28.

g) Amour crucifié pendant la passion et sur le Calvaire où, dans le tourment qu’elle endure, « Il est plus lumineux en elle que jamais… moins il opère lors dans la Judée, plus il est opérant dans l’esprit de Madeleine… Elle entretient Jésus de son silence et le silence de Jésus sert d’entretien à Madeleine… elle entre par amour en conformité d’esprit et d’état avec Jésus. » P. 35, 48.

h) Amour désolé quand elle le cherche après la résurrection. Les disciples ont suivi Jésus, mais parce qu’ils ont été appelés : « Celle-ci vous cherche, vous suit, vous courre, sans être appelée de vous, » p. 53. Cependant : « O contraste ! aussitôt qu’elle fond à vos pieds, vous l’éloignez de vous… procédé bien différent de celui que vous avez tenu avec elle chez le pharisien, lorsqu’elle ne faisait qu’entrer en votre grâce… Au moment où elle vous trouve, elle trouve en vous une pierre plus dure que celle du sépulcre, » p. 69. Il en sera ainsi pendant le reste de sa vie : « Ces trente ans de Madeleine, inconnue à la terre, sont dédiés à rendre honneur et à participer en esprit aux trente ans de la vie de Jésus inconnu au monde. » P. 86.

i) Amour enfin « non plus crucifié, mais glorifié.. Si deux ou trois ans en l’école du Fils de Dieu vous ont élevée si haut, par dessus les apôtres… quel amour, quel état entre les anges, entre les séraphins, et par dessus les séraphins mêmes aurez-vous acquis en trente ans d’une vie où vous ne faites que vivre et mourir par amour. » P. 103.

L’honneur rendu aux anges se réfère aussi au Verbe incarné. Depuis leur création « les anges seuls, voyant sa gloire, voyaient l’unité admirable qui unissait sa divine essence avec la nature humaine en la personne du Verbe et voyaient comme cette unité était non passagère, mais permanente. » Grandeurs, p. 148. A eux aussi, on peut appliquer le mot de saint Paul omnia in ipso constant : « Jésus, dit Bérulle, est le soleil, non seulement des hommes, mais aussi des anges… Dieu l’a mis en la terre, et, de la terre par sa naissance, il éclairait le ciel et les anges mêmes venaient en terre rechercher sa lumière. » Ibid., p. 314. Quand le Verbe est descendu en ce monde, « les anges commencent à prendre part à Jésus et commencent à le servir, non en ses ombres et serviteurs, comme auparavant, mais en lui-même et en sa propre personne. Et ce service ainsi rendu à Jésus est un des points le plus haut, le plus relevé, le plus délicieux en la dignité et félicité angélique. » Vie de Jésus, c. vin.

Mais la sainte Vierge est au-dessus d’eux : « elle est leur souveraine et non pas leur compagne. » Celui auquel il s’intéresse le plus, et pour qui il composa un office, est Gabriel « vraiment grand et heureux en sa personne et en ses offices… l’office qu’il fait maintenant en la terre est le plus grand que la terre recevra jamais du ciel de la part des anges… Ce mystère d’amour… méritait bien un ange d’amour pour l’annoncer. » Ibid. Toutefois, il n’y participe pas : « c’est assez de gloire à cet ange Gabriel de l’avoir annoncé. » Ibid., c. xviii. Et au ciel, le « cœur de la Vierge rend plus d’hommage à l’essence et aux personnes divines que les neuf chœurs de tous les anges ensemble. » Élév. en l’honneur de la sainte Vierge, 7, Œuvres, p. 525.

2° Chez le P. de Condren. — Le P. de Bérulle ne laissait presque rien à ajouter au système très cohérent qu’une intelligence de génie au service d’une grande sainteté lui avait permis de composer. Malgré « l’oubli où il a été, après sa mort » et que constate déjà Bourgoing, malgré le ridicule auquel l’a voué Bichelieu dans ses Mémoires et qu’on pouvait croire sans appel,