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OPHITES


en sont émanés, les livres de Jéû par exemple sont des recueils de talisman et de formules, propres à ouvrir les diverses entrées qui mènent au monde supérieur. Cette pénétration, en définitive, ne dépend guère de l’attitude morale que l’homme aura gardée pendant la vie. Cela ne veut pas dire, au reste, que les sectes en question professent toutes l’indifférentisme moral. Pour quelques-unes, nettement antinomistes, leur caractère licencieux paraît incontestable ; elles ne doivent pas être la majorité ; on trouve chez nombre de sectes un ascétisme, poussé jusqu’à l’exagération, et de vives protestations contre les écarts moraux des gnostiques libertins.

Traits païens plus accentués.

Tout en acceptant

l’ensemble de ces traits, E. F. Scott en souligne quelques autres qui lui paraissent d’importance. Il insiste sur le nom d’Anthrôpos, donné à l’Être suprême, sur la présence aussi d’un principe féminin suprême, la Mère qui préside à l’œuvre de la rédemption, mais surtout il met l’accent sur le caractère mythologique et astral du système. En particulier, à la suite de R. Reitzenstein (dans son Poimandrès, Leipzig, 1904), il attire l’attention sur le fait que les archontes ou princes du monde inférieur ne sont pas autre chose que les divinités planétaires, et que leur chef, Jaldabaoth, est tout simplement la planète Saturne. Surtout il fait bien voir que, dans tous ces groupements, l’essentiel ce sont beaucoup moins les croyances incorporées dans les mythes que les observances d’ordre plus ou moins magique. Les mythes semblent plutôt venus après coup pour rendre compte des observances. La grosse affaire, en toutes ces sectes, c’est d’obtenir, par les initiations, les mots de passe, les talismans qui permettent d’échapper au destin inéluctable qui pèse sur les non-initiés. Sans insister autant que le fait Reitzenstein sur le fait que la gnose n’est qu’un moyen de ruser avec relfzapu.svv) (le fatum), avec les influences sidérales etc., notre critique ne laisse pas de mettre l’accent sur ce fait que les groupes en question sont moins des écoles que des confréries, des thiases, des religions de mystères. Enfin et surtout il fait cette remarque importante que les systèmes ophitiques semblent beaucoup moins imprégnés de christianisme que les écoles classiques du gnosticisme. Chez certains, pense-t-il, ophiens deCelse et d’Origène, nicolaïtes, archontiques la figure du rédempteur est absente ; chez d’autres (pérates d’Hippolyte), le rédempteur apparaît comme un être purement mythologique et métaphysique, sans rôle historique ; même dans les systèmes qui identifient le rédempteur avec le Jésus de l’histoire, les éléments chrétiens ne semblent guère qu’une broderie appliquée sur un fond païen. Un exemple curieux est fourni par le texte naassénien inséré dans la notice d’Hippolyte, Philosophoumena, V, vii, 3-ix, 8, Wendland, p. 79-99 ; P. G., t. xvi c, col. 3127 A3155 A. Voir ci-dessous col. 1072.

Date d’apparition.

Nous aurions donc affaire,

au dire de E. F. Scott, avec un groupe de systèmes largement diversifiés, où transparaissent des débris assez facilement discernables de mythologie (et il faut ajouter d’observances) babylonienne, persane, syrienne, égyptienne. Sans vouloir nier que des éléments chrétiens entrent dans ce magma, il n’est que juste de reconnaître que, dans ce syncrétisme, la part des superstitions païennes est considérable. Et cela pose la question des origines de ce mouvement qui, à tout prendre, se distingue de manière assez nette du gnosticisme classique. Vient-il avant, vient-il après ?

Après avoir signalé la position que prend à l’égard de ce groupe E. de Faye, dans son ouvrage Gnostiques et gnosticisme, 2<> éuit., Paris, 1925, E. F. Scott ne croit pas pouvoir s’y ranger. Au dire d’E. de Faye,

l’ensemble des sectes un peu bien arbitrairement groupées sous la rubrique ophitisinc serait relativement récent ; il s’agit, en dernière analyse, d’un mouvement qui est en dépendance étroite des doctrines anti-bibliques de Marcion. La variété des mythes sous lesquels s’abritent cette doctrine, tient proprement à la déliquescence des écoles qui ont exploité les grands systèmes gnostiques de la première moitié du ii° siècle ; le fait que souvent des mythes contradictoires se rencontrent dans un groupe donné tient à la contamination réciproque des sectes, qui ne se faisaient pas scrupule de s’emprunter les unes aux autres leurs livres sacrés, au besoin leurs observances. Et tout ceci témoignerait, à en croire E. de Faye, d’une époque tardive.

Cette argumentation n’a pas convaincu E. F. Scott. Tout en reconnaissant que ces contaminations rendent assez bien compte de l’état final des sectes, tel qu’il se constate au iiie et au ive siècle, il estime qu’il n’y a pas lieu de reculer l’apparition de celles-ci à la date tardive que propose le critiqu efrançais. Et, à la suite de Reitzenstein et même de Rousset, il pense qu’il y a tout avantage, si l’on veut comprendre le mouvement gnostique, à remonter le plus haut possible l’origine des sectes anonymes groupées sous le nom commun d’ophitisme. Celse, vers 170, connaissait des « ophiens » ; est-il admissible qu’à cette date les grandes écoles gnostiques eussent déjà commencé à se désintégrer ? L’influence de Marcion sur quoi insiste E. de Faye n’est pas démontrable ; sans doute les sectes ophitiques identifient-elles presque toutes le démiurge, le recteur du monde d’en bas, avec le Dieu de l’Ancien Testament. Mais ce pourrait-être là une assimilation tardive ; le Jaldabaoth de ces sectes ne serait-il pas simplement la planète Saturne, le dieu du septième ciel, dont le rôle est si considérable dans les religions astrales ? On ne saurait méconnaître, d’autre part, et R. Reitzenstein les a fort bien mises en évidence, ! es affinités de ces doctrines « ophites » soit avec l’hermétisme, soit plutôt avec les idées des sectes païennes que nous fait connaître la littérature hermétique. Or, ces sectes sont vraisemblablement préchrétiennes : elles précèdent, en tout état de cause, l’apparition du gnosticisme classique. Enfin, quoi qu’il en soit de certains détails qui paraîtraient indiquer l’influence des grandes écoles gnostiques, il y a à peine trace, dans 1’ « ophitisme », de leurs développements les plus caractéristiques : la doctrine des éons, la chute de Sophia. Si les systèmes ophites provenaient de combinaisons plus ou moins diversifiées entre des systèmes antérieurs plus vastes et surtout plus scientifiquement ordonnés, ces traits se seraient, sans nul doute, accentués davantage.

De ces considérations, qui ne sont pas toutes d’égale valeur, E. F. Scott conclut que les sectes ophitiques, quoi qu’il en soit des prolongements ultérieurs qu’elles ont pu avoir, ont pris naissance au début de ce qu’on est convenu d’appeler le gnosticisme chrétien. Elles se relient très étroitement aux innombrables sectes théosophiques, les unes strictement païennes, les autres plus ou moins touchées par les idées juives, qui ont pullulé en Egypte et en Orient durant l’âge du syncrétisme religieux. Leur apparition marque le début de l’alliance de ces sectes païennes avec le christianisme naissant. Dans le fond, pourtant, elle ne furent pas transformées par l’apport des idées chrétiennes et c’est bien avec des païens que l’on continue à avoir affaire.

On ne saurait méconnaître ce qu’il y a de juste dans beaucoup de ces remarques, de séduisant dans la synthèse où elles s’encadrent. Mais la synthèse elle-même est-elle aussi solide que le pensent ses auteurs ? Peut-être y a-t-il eu un peu de hâte à grouper sous