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ONTOLOGISME. SENS DES PROPOSITIONS


que la Congrégation du Saint-Office, assemblée le 18 septembre 1861, a jugé ne pouvoir s’enseigner sans danger (et vero perspicere debuerunt tradi in Mis libris doetrinas plane similes aliquot ex septem propositionibus, quas S. Oflîcii Congregatio haud tuto tradi passe judicavit)… C’est pourquoi les ém. card. ont été d’avis que, dans les livres philosophiques publiés jusqu’ici par Gérard-Casimir Ubaghs et surtout dans sa Logique et sa Théodicée, se trouvent des doctrines ou des opinions qui ne peuvent s’enseigner sans danger (inveniri doetrinas seu opiniones quæ absque periculo tradi non possunt). Et notre Saint-Père le pape Pie IX a ratifié et confirmé cette sentence en vertu de sa suprême autorité. » Cf. Annales de phil. chrét., novembre 18(36, p. 377-379 ; Lennerz, op. cit., p. 227228.

Enfin, Hugonin, ayant été proposé pour l’évèché de Bayeux, dut, pour être agréé par le Saint-Siège, signer une rétractation de ses théories ontologistes, ce qu’il fit le 13 octobre 1866 dans les termes suivants : « Je soussigné, ayant appris de l’ém. et rév. Mgr l’archevêque de Myr’e, nonce apostolique en France, que la doctrine que j’ai exposée dans l’ouvrage philosophique sur l’ontologisme était improuvée par le Saint-Siège apostolique, comme favorisant surtout, soit explicitement, soit implicitement, les propositions que la S. C. de l’Inquisition a décrété, en 1861, ne pouvoir être enseignées en sûreté (utpote quæ præsertim, sive explicite, sive implicite, Mis propositionibus faveat quas S. Inquisitionis C. anno 1861 tuto tradi non posse decrevit)… » Cf. Annales, décembre 1866, p. 452-453.

Si, après cela, nous n’étions pas convaincus que ce n’étaient pas « les panthéistes allemands » mais bien « les ontologistes catholiques » qui étaient visés dans le décret de 1861, n’en trouverions-nous pas la preuve dans la manière même dont est libellé le décret ? Postulatum est utrum sequentes propositions tuto tradi possent : on comprend tout de suite qu’il s’agit de doctrines qui s’enseignent çà et là dans certaines écoles catholiques, mais qui paraissent s’écarter de renseignement reçu ; les consciences s’inquiètent et l’on interroge les gardiens de la foi traditionnelle. Croit-on qu’on parlerait ainsi s’il s’agissait des doctrines de gens étrangers à la foi catholique ou adversaires notoires de cette foi ? Ubaghs avait pressenti cette objection ; ces propositions, pensait-il, « auront été extraites de l’ouvrage d’un écrivain catholique qui, comme quelques autres, les aura insérées dans son livre sans en comprendre la portée. » Cf. Annales, mars 1862, p. 169. Personne ne doute aujourd’hui qu’il n’en ait été ainsi.

3. Explication littérale des 7 propositions. — Première proposition : Immediata Dei cognitio, habilualis sultem, intellectui humano essentialis est, ita ut sine ea nihil cognoscere possit ; siquidem est ipsum lumen intelligible. — « Immédiate » : la connaissance de Dieu revendiquée par l’ontologisme l’est de deux façons, et parce qu’elle ne suppose aucun raisonnement : c’est une perception, une intuition ; et parce qu’entre la faculté de connaissance et son objet divin, il n’y a aucun concept interposé, aucune idée finie ne pouvant représenter l’infini. « Habituelle » ; c’est l’expression même du P. G. Milotie : « notre esprit, d’abord dans un état habituel (la mémoire) et ensuite dans un état actuel (l’intellect), voit l’intelligible et le voit immédiatement, » cité par Zigliara, t. iii, p. 435 ; d’aulivs ontologistes avaient dit : inconsciente, confuse, non réfléchie, etc. « Essentielle » : tellement qu’elle est constitutive de l’esprit humain, qui n’existe, selon les ontologistes, qu’au moment même où s’opère dans l’homme cette intuition de l’Être ou de Dieu : Hinc non imi/icrito dici potest, aclum quo vis cogitandi

essentialiter constiluitur, in hac inluitione Entis consistere, Branchereau. cité par Kleutgen, Der Katholik, mai 1867, p. 517, note. » De telle sorte que, sans elle, il ne peut rien connaître » : comme le fait remarquer le P. Ramière, Revue du monde cath., 1863, t. vii, p. 463-464, contre Fabre, Réponse, p. 17-18, il s’agit ici d’une connaissance proprement intellectuelle et non d’une connaissance quelconque : les ontologistes reconnaissent avoir enseigné « que l’on ne peut penser (intelligere), avoir des perceptions intellectuelles, sans la perception préalable de l’Infini, rie Dieu ; » que, sans elle, « rien ne nous est intelligible, rien ne peut, je ne dis pas être senti ou perçu, mais conçu par l’homme. » Fabre et Ubaghs, cités par Kleutgen, ibid., p. 519. « Attendu que cette connaissance est la lumière intelligible elle-même » : qu’est-ce à dire ? que cette connaissance immédiate de Dieu joue, par rapport à notre connaissance intellectuelle de tout ce qui n’est pas Dieu, le même rôle que la lumière proprement dite par rapport à notre connaissance sensible : de même que, sans la lumière, il n’y a pas de vision possible, ainsi, sans la connaissance de Dieu, il n’y a pas d’intellection possible. Pourquoi ? la proposition ne le précise pas. De quelque manière qu’ils en rendent raison, les ontologistes reconnaissent d’ailleurs que tel est bien leur enseignement, à preuve cette « proposition ontologique très sûre » que Fabre oppose à la « proposition déclarée peu sûre par le Saint-Office » : « La connaissance immédiate de Dieu, au moins habituelle, est essentielle à l’intellect pur, de sorte que, sans elle, il ne peut pas connaître les idées générales (essences métaphysiques, vérités absolues), attendu que cette connaissance est la lumière intellectuelle subjective elle-même. » Cité par Zigliara, t. iii, p. 176. Sur la distinction de la lumière subjective et de la lumière objective, voir Zigliara, t. ii, p. 12-17. — On peut accorder d’ailleurs à Fabre, cf. Réponse, p. 19-23, note, que cette première proposition déclarée peu sûre par le Saint-Office forme un seul tout ; que ce qu’elle affirme ce n’est pas, à vrai dire, que l’intelligence humaine jouisse en ce monde, d’une connaissance immédiate, au moins habituelle, de Dieu ; mais que la connaissance immédiate au moins habituelle de Dieu est à tel point essentielle, nécessaire à l’intelligence humaine, que, sans elle, elle ne peut rien connaître (intellectuellement).

Seconde proposition : Esse illud quod in omnibus, et sine quo nihil intelligimus est esse divinum. - — Il est bien évident qu’il faut sous-entendre intelligimus après in omnibus, et non pas est, et traduire : « cet être que nous pensons en toutes choses, » et non pas, comme traduit Fabre, Réponse, p. 29-33 : « cet être qui est en toutes choses ; » et finalement on aboutit à cette traduction de Kleutgen : « l’être que nous pensons en toutes nos connaissances intellectuelles, qui est l’objet intelligible propre dans tout ce que nous concevons, et sans lequel dès lors nous ne pouvons rien connaître, est l’être divin. » Trad. Sierp, cité par J. Sans-Fiel, De l’orthodoxie, p. 83. A vrai dire, cette proposition est la proposition fondamentale de l’ontologisme : « Quel est donc cet être, s’écriait Hugonin, cf. supra, col. 1013, lieu commun de toutes les notions données par la perception ? cet être qui est dans toutes mes perceptions et qui rend vrais tous mes jugements, cet être qui est à la fois l’être et la vérité ? » Et nous avons vu qu’il aboutissait a cette conclusion : cet être c’est Dieu. Branchereau avail écrit, lui aussi : Realilas, quæ. menti nostræ tanquatn idea objicitur, est Dons soins, cf. Kleutgen, Der Katholik, mai 1X67, p. 515, note ; et encore Cognitio Dei est in aligna sensu sola cognitio qua fruanuir, et quasi substratum intelligibile. tatius cognitionis humante, Ibid.,