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ONTOLOGISME. HUGONIN


ccr en ces ternies : l’Être crée les existences. » P. 47-48.

On objecte que, si nous avions l’intuition de la création, nous devrions le savoir. Gioberti répond : « Que si le vulgaire et les philosophes eux-mêmes ne s’en aperçoivent pas, cela ne prouve qu’une chose : c’est que l’analyse qu’ils font de leur intuition pourrait être meilleure ; et il n’y a là rien de surprenant, car l’analyse de l’intuition n’est pas l’oeuvre de l’intuition, mais de la réflexion, et la réflexion est toujours capable d’une plus grande exactitude et d’un perfectionnement plus complet… Que voulons-nous donc dire, en affirmant que l’homme est spectateur de la création ?… Nous voulons dire qu’on appréhende l’existence comme l’œuvre de l’Être et que l’on contemple l’Être lui-même comme principe et raison de ses créatures. » P. 70-71. — Sur Gioberti, voir Palhoriès, Gioberti, coll. Les grends philosophes, Paris, 1929 ; Ferri, Werner, etc. Cf. Annales de phil. chrét.. octobre 1847, p. 245-267 ; déc. 1848, p. 434-458 ; fév. 1849, p. 151-161 ; avril 1849, p. 307-316 ; oct. 1849, p. 245259 ; févr. 1854, p. 152-162 ; mars 1854, p. 174-187 ; oct., 1854, p. 315-340 ; nov. 1854, p. 414-420.

II. HUGONIN.

La perception.

« Qui pourrait

dire ce que c’est que percevoir ?… Percevoir est un acte si s’mple qu’il échappe à toute analyse ; toute connais : ance, tout sentiment, tout concept, toute représentation qui se forme dans l’âme sont des perceptions. .. Le caractère propre de la perception est la passivité. Il est facile de le comprendre pour quiconque admet qu’elle est le premier instant de la pensée. Car le principe de notre vie intellectuelle, comme le principe de notre être, n’est pas en nous, il n’est pas nous ; ce n’est pas nous qui nous donnons l’être, qui nous donnons la vie ; nous recevons l’être avant d’être, la vie avant de vivre, l’intelligence avant d’être intelligents, la pensée avant de penser ; nous sommes passifs avant d’être actifs. » Ontologie, t.i, p. 30 ; « La vérité apparaît à mon âme, elle lui devient présente, c’est la perception. » lbid. « La perception est un fait intellectuel, un acte de vie. Mais il est produit en nous ; c’est le principe de notre être et de notre intelligence qui agit incessamment en nous, qui nous communique la vie comme l’être sans interruption. » P. 31. On voit avec quelle rapidité Hugonin franchit les étapes. Un sentiment, un concept, une représentation se forme dans l’âme ; nous « percevons » quelque chose ; et voilà que d’emblée on nous déclare que c’est Dieu qui agit en nous, que dis-je ? que c’est Dieu qui se montre à nous : « O mon Dieu, si vous n’étiez pas, je ne pourrais penser, car vous seul êtes à la fois vérité et immensité ; vous seul, par votre secrète opération au-dedans de moi, pouvez me rendre participant de vos divins attributs, me faire vivre et penser, donner à ma pensée un objet. Et cet objet il est vous-même, ô tout être, toute vérité, véritable pain de mon intelligence 1° P. 35. « Toute perception est impossible sans objet perçu. Percevoir rien ou ne rien percevoir, comme le répète si souvent Malebranche, sont des expressions synonymes. » P. 32. Qu’on ne s’y trompe pas, qu’on n’interprète pas cet aphorisme en psychologiste : il s’agit bien d’objet réel existant réellement en dehors du sujet qui perçoit : « Toute perception est objectivement réelle, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de perception qui ne soit perception de l’être ; le rien ne peut être perçu. Tout ce qui est perçu est, voilà la loi. Dans la perception. .. nous sommes passifs ; c’est la vérité active, vivante, qui agit en nous, je dirais presque qui nous agit, qui nous fait être actifs d’une activité intellectuelle. » P. 55. — Qui ne voit au milieu de quelles ambiguïtés nous nous trouvons ? « Tout ce qui est perçu est » : oui, par définition, si par la perception vous entendez l’intuition ; mais il s’agit précisément de sa voir si « tout sentiment, tout concept, toute représentation qui se forme dans l’âme » est une rerception-intuition et de quoi elle est intuition.

Percevoir, nous dit-on encore, « c’est pénétrer l’être des choses, c’est recevoir en soi la vérité. » P. 33-34. On a toujours le droit de donner aux mots un sens quelconque ; reste à savoir si la perception ainsi entendue existe. « Lorsque Dieu crée une intelligence, il l’associe à cette conversation intérieure, à cette affirmation qu’il fait de lui-même à lui-même, à cette affirmation de toutes les essences que son essence contient. Il s’établit alors uzie autre conversation, non plus de Dieu avec lui-même, mais de Dieu avec l’intelligence qu’il a produite. La perception est la parole que Dieu adresse à cette intelligence, le jugement est la réponse de l’intelligence à Dieu… Ainsi, Dieu dit à l’intelligence créée : l’essence de l’homme est, c’est la perception ; l’intelligence répond : oui, l’essence de l’homme est, c’est le jugement… Tel est le secret de la pensée humaine : elle est une conversation avec Dieu, comme la pensée de Dieu est une conversation avec lui-même. » P. 46-47. En d’autres termes, la perception intuition, dont Hugonin nous gratifie, serait une révélation et une révélation des essences des choses, des vérités, bien mieux de la Vérité : « la vérité que je pense et dont je vis, n’est pas une vérité abstraite, immobile, une vérité morte, un fantôme ou je ne sais quelles espècesintelligibles imaginées par les philosophes péripatéticiens ; c’est une vérité active, une vérité qui a de l’être ou plutôt qui est l’être, une vérité vivante, puisque c’est par elle que je vis et que je suis intelligent, une vérité infinie, une vérité qui est Dieu même. » P. 42. Voilà toutes les merveilles découvertes par Hugonin dans la perception-intuition, telle qu’il la définit, mais toutes ces belles élévations ne prouvent aucunement qu’elle existe !

2° L’être. — « L’être est la loi de mon jugement, comme il est la loi de mes perceptions. J’affirme l’être, comme je le perçois ; et de même que je ne puis percevoir le néant, de même je ne puis l’affirmer. L’être est : tel est l’élément ontologique que je cherche. » P. 53. « Quel est donc cet être, lieu commun de toutes les notions données par la perception, et affirmé dans les jugements ? cet être à la (ois lumière, loi, force essentielle de la pensée ; cet être qui est dans toutes mes perceptions et qui rend vrais tous mes jugements, cet être qui est à la fois l’être et la vérité ? Est-il multiple ou unique ? Est-il une forme, une simple modification de ce que j’appelle le sujet pensant, ou une réalité distincte de lui ? J’entrevois que la vérité est une, et qu’une seule loi l’exprime, la loi de l’être, l’être est ; mais cette loi est féconde, elle se multiplie sans se diviser, elle se dilate sans se rompre… J’entrevois encore que cette vérité n’est pas moi ; elle est au-dessus de moi, elle était avant que je fusse, elle serait quand même je cesserais d’être. Elle n’a pas en moi son origine. Mon intelligence serait plutôt son œuvre qu’elle ne serait l’œuvre de mon intelligence, car elle est universelle, indépendante et nécessaire, ("e n’est pas moi qui la domine, je suis dominé par elle, et je sais qu’elle règne sur toutes les intelligences. » P. 54. — Quel chaos ! quelle confusion ! Parce que l’idée d’être est impliquée dans toutes les notions, parce que le verbe être est renfermé dans tous nos jugements, parce que le principe d’identité est la loi fondamentale de notre pensée, voilà que l’on conçoit un je ne sais quoi qu’on appelle l’Être, « qui est à la fois l’être et la vérité, à la fois lumière, loi, force essentielle de la pensée ! » Sans nul doute, cet Être c’est Dieu ; on l’insinue ici assez clairement, on le dira tout à l’heure ouvertement. Et voilà l’ontologisme, c’est-à-dire l’identification c’e Dieu avec l’être en généra’.