Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/515

Cette page n’a pas encore été corrigée
1011
1012
ONTOLOG18ME. LES PRECURSEURS


ment professé par Malebranche : « L’idée de Dieu ou de l’être en général, de l’être sans restriction, de l’être infini [ailleurs il dira l’être universel ], n’est point une fiction de l’esprit. Ce n’est point une idée composée qui renferme quelque contradiction ; il n’y a rien de plus simple, quoiqu’elle comprenne tout ce qui est et tout ce qui peut être. » P. 359. Rosmini avait bien remarqué cette confusion et s’en était étonné de la part d’ « un si grand homme » ; cf. le texte cité par Giobarti, ibid., p. 407.

Cette idée générale de l’être est celle que nous possédons ]^ première, celle qui demeure toujours dans notre esprit, celle enfin dans laquelle seule nous apercevons tous les êtres en particulier, comme s’ils n’étaient que des ^découpages de l’être en général. « Non seulement l’esprit a l’idée de l’infini, il l’a même avant celle du fini. Car nous concevons l’être infini de cela seul que nous concevons l’être, sans penser s’il est fini ou infini. Mais afin que nous concevions un être fini, il faut nécessairement retrancher quelque chose de cette notion générale de l’Être, laquelle par conséquent doit’précéder. » Ibid., p. 358. « On peut bien être quelque temps sans penser à soi-même ; mais on ne saurait, ce me semble, subsister un moment sans penser à l’être ; et dans le même temps qu’on croit ne penser à rien, on est nécessairement plein de l’idée vague et générale de l’être. » Ibid., p. 359.

Mais cette idée générale de l’être ou cette idée de l’être en général, de l’infini, de Dieu enfin, d’où nous vient-elle ? Cette idée en vérité n’est pas une idée, c’est une intuition : « On ne peut concevoir que quelque chose de créé puisse représenter l’infini, que l’être sans restriction, l’être immense, l’être universel puisse être aperçu par une idée, c’est-à-dire, par un être particulier, par un être différent de l’être universel et infini. Lorsqu’on voit une créature, on ne la voit point en elle-mè ne, ni par elle-mè.ne… Mais il n’en est pas de mène de l’être infiniment parfait ; on ne peut le voir que dans lui-même ; car il n’y a rien de fini qui puisse représenter l’infini. » Ibid., p. 363. — Il s’en suit que l’existence de Dieu est chose facile à démontrer : « Je sui ; certain que je vois l’infini. Donc l’infini existe, puisque je le vois, et que je ne puis le voir qu’en luimène. » Ibid., p. 382. C’est même la chose la plus facile à connaître : s II n’y a que Dieu qu’on connaisse par lui-mê.ne : car encore qu’il y ait d’autres êtres spirituels que lui et qui semblent être intelligibles par leur nature, il n’y a que lui seul qui puisse agir dans l’eprit et se découvrir à lui. Il n’y a que Dieu que nous voyions d’une vui imnldiale et directe. Il n’y a que lui qui pui-.se éclairer l’esprit par sa propre subslaw. 2. » ]Ibid.

Malebranche exploite aussi, en faveur de l’ontologisme, l’argument tiré des « vérités éternelles » : « Je suis certain que Dieu voit précisément la même chose que je vois, la même vérité, le même rapport que j’aperçois maintenant entre 2 et 2 et 4. Or, Dieu ne voit rien que dans sa substance. Donc cette même vérité que je vois, c’est en lui que je la vois. » Ibid., p. 334. « Vous voyez une vérité immuable, nécessaire, éternelle… Or, si vos idées sont éternelles et immuables, il est évident qu’elles ne peuvent se trouver que dans la substance éternelle et immuable de la Divinité… C’est en Dieu seul que nous voyons la vérité. » Ibid., p. 365. Cf. p. 440-442.

Malebranche a prévu l’objection que les théologiens pourraient lui adresser au sujet de cette vue immédiate et directe de Dieu qu’il nous accorde et y a répondu par une distinction qui sera reprise par tous les ontologistes : « II faut bien remarquer qu’on ne peut pas conclure que les esprits voient l’essence de Dieu de ce qu’ils voient toutes choses en Dieu de cette manière. L’essence de Dieu, c’est son être absolu, et

les esprits ne voient point la substance divine prise absolument, mais seulement en tant que relative aux créatures et participable par elles. Ce qu’ils voient en Dieu est très-imparfait, et Dieu est très-parfait. » Cité par J. Sans-Fiel, Discussion, p. 7. — Pour la réfutation de l’ontologisme de Malebranche « défendu par Gerdil », cf. Zigliara, op. cit., t. ii, p. 216-243.

Bossuet et Fénelon.

Jean Sans-Fiel les rapproche

et leur attribue une espèce d’ontologisme qui ne diffère de celui de Malebranche qu’en ce qui concerne la connaissance des réalités individuelles.

Pour Fénelon, comme pour Malebranche, l’idée de l’infini c’est « l’infini même immédiatement présent à mon esprit », parce qu’aucune idée finie ne peut représenter l’infini. « Il faut donc conclure invinciblement que c’est l’être infiniment parfait qui se rend immédiatement présent à moi quand je le conçois, et qu’il est lui-même l’idée que j’ai de lui. » « O Dieul… vous vous montrez à moi, et rien de tout ce qui n’est pas vous ne peut vous ressembler. Je vous vois, c’est vousmême. » Cf. Discussion amicale, p. 10. — Les idées universelles, les types spécifiques des créatures, c’est encore Dieu lui-même : « Quand Dieu nous montre en lui ces divers degrés (de perfection, qui sont la règle et le modèle de tout ce qu’il peut faire hors de lui), avec leurs propriétés et les rapports qu’ils ont entre eux éternellement, c’est Dieu même, infinie vérité, qui se montre immédiatement à nous, avec les bornes ou degrés auxquels il peut communiquer son être. La perception de ces degrés de l’être de Dieu est ce que nous appelons la consultation de nos idées. » Ibid., p. 12-13. « L’objet immédiat de mes connaissances universelles est Dieu même. » P. 14. — « Mes idées ne sont donc point moi, et je ne suis point mes idées. Que croirai-je donc qu’elles puissent être ?… Quoi donc, mes idées seront-elles Dieu ?… Elles ont le caractère de la divinité, car elles sont universelles et immuables comme Dieu… Ce je ne sais quoi si admirable, si familier, si inconnu ne peut être que Dieu. » Ibid., p. 49-53. « Fénelon, au dire de Cousin, dégage assez mal le procédé qui conduit des idées, des vérités universelles et nécessaires, à Dieu. Bossuet se rend parfaitement compte de ce procédé et le marque avec force : c’est le principe que nous avons nous-même invoqué, celui qui conclut des attributs au sujet, des qualités à l’être, des lois à un législateur, des vérités éternelles à un esprit éternel qui les comprend et les possède éternellement. » Du vrai, du beau et du bien, 19e édition, Paris, 1875, p. 88. Ce procédé consiste en effet à conférer à ces « vérités » une sorte de subsistence, d’existence indépendante de toutes les intelligences créées, qui peuvent bien les découvrir, mais non les créer : « Si je cherche maintenant où et en quel sujet elles subsistent éternelles et immuables, comme elles sont, je suis bien obligé d’avouer un être où la vérité est éternellement subsistante, et où elle est toujours entendue… C’est donc en lui, d’une certaine manière qui m’est incompréhensible, c’est en lui, dis-je, que je vois ces vérités éternelles. Ces vérités éternelles que tout entendement aperçoit toujours les mêmes, par lesquelles tout entendement est réglé, sont quelque chose de Dieu, ou plutôt sont Dieu même. » Cf. Disc, p. 44-47, 59-60. Cousin a aussi rassemblé les textes de Fénelon et de Bossuet où l’on peut retrouver leur ontologisme. Op. cit., p. 80-97.

Leibniz.

« Sans être, à notre avis, dit Jean

Sans-Fiel, ouvertement ontologiste, Leibniz se rapproche au moins beaucoup de ce système. » Discussion, p. 62, note 2. Jules Fabre est plus catégorique : « Leibniz proclame à son tour la vérité de l’Ontologisme. Il commence par reconnaître que les idées existent en Dieu, et il affirme ensuite que cet être infini est la lumière dans laquelle notre intelligence les