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Mais, s’il faut l’en croire, c’est peu après son entrée chez les capucins, que le Seigneur lui aurait dessil’é les yeux et lui aurait fait voir trois choses : 1° que c’est le Christ qui a satisfait pour ses élus et leur a mérité le paradis, et que lui seul est notre justification ; 2° que les voeux des religions humaines sont non Seulement invalides, niais de plus impies ; 3° que l’Église romaine, bien que son éclat extérieur éblouisse les yeux de la chair, n’en est pas moins un objet d’abomination aux yeux de Dieu.

En réalité, Ochin a puisé ces idées, qui sont à la base de la pseudo-réforme, dans le cénacle présidé par un faux maître en spiritualité, l’espagnol Jean Valdès, établi ; ï Naples depuis 1533. Dès 153<>, Ochin se mit à fréquenter ce laïque doucereux, dont le mysticisme individualiste, énoncé d’un ton persuasif et conciliant, exerça une influence aussi profonde que nuisible sur la plupart des habitués de son cercle. Aux hommes d’Église, prêtres séculiers et moines de toute robe, aux humanistes renommés et aux grandes dames qui recouraient à lui, Valdès s’efforçait de donner ce qu’il appelait une conscience paffaite, qui attribuât l’état de salut aux seuls mérites de la croix, et ne connût d’autre loi que celle de l’amour de Dieu : auprès d’Ochin, ses efforts furent couronnés d’un plein succès. Il est probable aussi que ce dernier aura connu, dès sa mise en circulation (1540), le Très utile traité du bénéfice du Christ, conçu par Benoît de Mantoue, moine bénédictin de San-Severino à Naples et compilé en bel italien par Marc-Antoine Flaminio. Dans ce petit livre, qui eut une diffusion extraordinaire en Italie, la doctrine de la justification par la foi était suffisamment énoncée : « La justice accomplie par le Christ, y lisait-on, nous a justifiés auprès de Dieu, qui a châtié dans son Fils unique toutes nos fautes, toutes nos iniquités, et par conséquent a accordé un pardon général à toute la génération humaine, dont profitent tous ceux qui croient à l’Évangile. » Ochin adopta ces idées et se mit à les répandre à mots couverts dans ses sermons et dans des conversations particulières. C’est ce qui explique son insistance à exalter le sacrifice de la iroix, et son exhortation à faire l’adoration des Quarante-Heures devant le crucifix à Sienne (1540). Mais ses intentions étaient assez claires pour être comprises et pour semer le trouble dans les âmes. Même une mondaine comme Tullia d’Aragona lui reprocha, dans un sonnet qu’elle lui dédia, d’avoir privé l’homme du plus beau don que Dieu lui fit : le libre arbitre. Dénoncé dès 1536 au vice-roi et à l’archevêque de Naples, pour ses prédications à San Giovanni Maggiore, en 1539 dans la même ville et les années suivantes à Venise, Ochin, défendu par de puissants protecteurs, couvert par la faveur publique et par la confiance de ses confrères, sut donner le change pendant plusieurs années, fort des divergences qui divisaient les théologiens catholiques de l’époque au sujet du péché originel et de la justification. L’invitation péremptoire de Paul III qui l’appelait à Rome (15 juillet 1542) le mit devant la troublante alternative : soumission ou rébellion. Il semble qu’il ait eu d’abord l’intention d’obéir, si l’on peut se fier à sa lettre écrite de Florence au cardinal Farnèsc le 20 août 1542. Deux jours plus tard, il annonçait en termes gênés à sa protectrice Victoria Colonna qu’il lui était impossible de se rendre à Rome, sans s’exposer à devoir renier e Christ ou à être crucifié comme lui. Malgré la peine qu’il éprouvait en tout quittant et malgré le souci du qu en dira-t-on, il se réjouissait à la pensée que son départ inaugurerait la réforme de l’Église en Italie.

Celui qui, à cette heure, exerça sur Ochin une influence décisive, tant par sa parole que par son

exemple, fut l’augustin Pierre-Martyr Vermigli-Ce fut lui qui dissipa les dernières hésitations de son ami franciscain et lui indiqua, comme unique voie de libération et de salut, celle qui conduisait en pays réformé, et sur laquelle il allait s’engager lui-même. Quoiqu’en dise Muzio dans jes Mentite Ochiniane, l’ambition déçue ne joua aucun rôle dans la fugue d’Ochin. Son apostasie provient uniquement d’une crise intérieure, au cours de laquelle les circonstances l’ont poussé à manifester au dehors la lupture complète avec, le dogme et la discipline qui, lentements’était accomplie en son âme. Ses succès oratoires et la faveur des grands lui avaient attiré depuis longtemps de la part d’une coterie jalouse, le reproche d’être ambitieux : dès le 22 avril 1537, Victoria Colonna en faisait justice dans une lettre au cardinal Hercule Gonzaga : « Fr. Bernardin est perplexe : s’il reste à Rome, on dit qu’il recherche les grandeurs ; s’il s’en va humblement en tournée de prédication, on murmure : il fuit Rome. » Si réellement Ochin avait eu la soif des honneurs, il lui aurait suffi, pour les obtenir, de dissimuler son attachement aux idées nouvelles.

Après avoir passé les Alpes, Ochin se mit à la recherche de la vie idéalement réformée qu’il rêvait, et dans laquelle il espérait trouver l’apaisement de son inquiétude religieuse. Cette réforme à laquelle il avait tout saciifié, il voulut la vivre en lui-même et la proposer à ses coreligionnaires, indépendamment des maîtres de l’heure, luthériens, calvinistes ou zwingliens. Alors que, tout autour de lui, on s’effrayait du désarroi doctrinal et de la décadence des mœurs qui de jour en jour affaiblissaient le protestantisme, Ochin en arrivait logiquement à pousser jusqu’aux extrêmes limites l’application du droit de libre examen et les conséquences du principe de la foi justifiante. C’est ainsi qu’il fut amené à laisser la solution des problèmes capitaux en matière de doctrine et de conduite à la conscience individuelle de chaque fidèle, animé d’une confiance illimitée dans les mérites du Christ. Qu’il s’agît de libre arbitre ou de prédestination, de Trinité ou de cène, de droit de répression en matière d’hérésie ou d’argument de tradition, de suicide ou de polygamie, Ochin ne se crut jamais tenu de suivre l’enseignement des docteurs de Genève, de Bâle, ou de Zurich. A côté de Calvin et de Bèze, d’Œcolampade et de Bullinger qui s’efforçaient d’imposer à leurs adhérents un corps de doctrines et une règle de vie, Ochin fait figure d’individualiste sentimental, de remueur d’idées plus audacieux que profond, qui recherche d’instinct la contradiction it multiplie à plaisir les objections contre les croyances reçues, parce que sceptique devant le dogme comme devant la raison etrevêche à tout doctrinarisme. Calvin s’en préoccupa bien vite, et dès 1543, sonda le transfuge siennois au sujet de ses opinions. Plus tard, il laissa entendre à de Fallais qu’il ne voyait pas de bon œil la traduction française des sermons d’Ochin : « Us sont plus utiles en italien qu’en autres langues, n’était que le nom de l’homme sert », lui écrivait-il. A vrai dire, la pensée d’Ochin ne trouva d’écho pleinement fidèle que dans les communautés italiennes réformées, non assujetties au rigorisme suisse, et heureuses de trouver en terre d’exil un compatriote fameux qui leur proposât, dans leur langage chaud et imagé, une vie conforme à leurs désirs, basée uniquement sur la foi au Christ, en dehors de toute Église constituée et de toute école théologique. Mais Ochin exerça aussi en son temps une influence assez étendue sur les milieux protestants allemands, français et anglais, comme le prouvent ses multiples relations et les nombreuses traductions de la plupart ; de ses ouvrages. Ce n’est pas sans raison que Charles