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pond le ministre, qu’il semble d’être à quelqu’un qui n’est pas. Si donc il te semble être, il faut dire que tu es. » P. 1. Revenant à une théorie qui lui est chère, Ochin soutient que le baptême et la cène ne sont que des témoignages de la justification par la foi, et trouvent leur source, non pas en Dieu, mais {’ans l’homme lui-même, qui fortifie sa foi en accomplissant ces actes. « On ne baptise pas l’adulte, dit-il, afin que ses péchés lui soient pardonnes, mais bkn pour protester qu’il croit vivement qu’il en a obtenu la rémission par la foi au Christ qui est antérieure au ba] tême : de telle façon que la promesse du pardon des péchés est faite à qui croit et non ras à qui se fait baptiser. » P. 245. Ce Catéchisme fut dédié par son auteur à la communauté italienne de Zurich dont il était alors le ministre afin que, après sa mort qu’il sentait prochaine, elle pût y trouver « la voie sûre qui mène au ciel ».

Après la publication des Labyrinthes, faite sans l’approbation de la censure de Zurich, le sénat de cette ville avait ordonné à Ochin de ne plus rien éditer sans autorisation. Mais, plus il avançait en âge, plus il se sentait pris du désir irrésistible d’exposer librement ses opinions, au risque d’encourir la disgrâce irrémédiable de ceux qui tenaient son sort entre leurs mains. Sans aucun souci’de la défense faite par le sénat de Zurich, il publia en 1563, à Bâle, son dernier grand ouvrage qui devait causer sa perte : Dialogi XXX in duos libros divisi, quorum primus est de Messia continetque dialogos XV III. Secundus est cum de rébus variis tum potissimum de Trinitate. Écrite en italien par Ochin, cette œuvre ne fut livrée à la publicité que dans sa traduction latine, faite par Castalion, qui traduisit aussi les Labyrinthes. Dans les 18 dialogues du premier livre, Ochin argumente avec un juif nommé Jacob et réfute ses objections contre la mission divine du Christ et contre la doctrine eu salut. Ochin affirme que Jésus est bien le Sauveur du monde, qui a accompli toute la Loi en mourant pour les pécheurs. A quoi le juif répond que le pardon des péchés ne provient pas du Christ, mais uniquement dé la bonté divine. On ne manqua pas de reprocher à Ochin d’avoir mieux développé les arguments du juif que ceux du chrétien. Mais plus que des reproches, certaines thèses du livre II soulevèrent la réprobation générale. Aux dialogues xix et xx, Ochin discute sur l’essence et l’existence de la Trinité : son contradicteur, un être supérieur qui s’appelle Esprit, affirme que la doctrine du Nouveau Testament demande la croyance en Dieu et en Jésus-Christ, mais non pas en la Trinité ; à cette affirmation, Ochin n’oppose qu’une tiède réponse. Il va plus loin encore dans le dialogue xxi, où il traite de la polygamie. Il se demande si un homme, qui est marié à une femme stérile, ou maladive, ou d’une humeur incompatible avec la sienne, a le droit d’en épouser une autre sans répudier la première. A ce cas de conscience il répond par la négative ; il combat la pluralité des femmes et conclut en exhortant à la prière, persuadé que la foi dans le secours divin méritera la continence à ceux qui la demandent. Mais, fidèle à son habitude, il ajoute à cette affirmation de la morale chrétienne une concession finale qui la récuit à néant : « Si Dieu, répond-i) au mari qui est venu le consulter, malgré tes prières ne t’accorde pas la foi nécessaire pour le succès de la continence, tu pourras faire ce à quoi Dieu te stimule ; si tu es tout à fait certain que ton stimulant provient de Dieu, tu ne pécheras pas. Qui obéit à Dieu, ne peut pécher. Je ne puis te donner un autre conseil. » Enfin, dans le dialogue xxviii, Ochin blâme la peine de mort appliquée aux hérétiques et, dans le dialogue xxx, il attaque Bullinger, qu’il appelle tyran et pape iéformé.

Cette liberté inouïe d’opinion, et surtout la con descendance montrée au sujet de la polygamie, indignèrent au suprême degré les autorités civiles et religieuses de Zurich. Peu s’en fallut que le sénat ne lui fît subir le sort de Servet, ainsi que Bullinger, qui était bien placé pour le savoir, le fit comprendre à demi-mot à Théodore de Bèze (28 novembre 1563) : « Tout le livre, écrivait-il. est d’une perversité impie, et le sénat, justement alaimé par l’audace et l’impureté de cet homme, l’a dépouillé de sa charge et l’a expulsé du canton. Peu a manqué qu’on n’agît tout autrement avec ce vieillard invétéré dans la méchanceté de ses vieux jours. » Toutefois, il semble bien que les théologiens réformés aient donné au dialogue incriminé une interprétation excessive. Au fond, Ochin, devenu de jour en jour plus sceptique vis-à-vis de la théologie et de la raison, et poussant jusqu’aux extrêmes limites les prémisses du libre examen, est resté logique avec lui-même. Dans son dialogue de la polygamie comme dans les autres, il s’est inspiré de son principe absolu de la justification par la foi et, partant, comme solution finale, il ne pouvait en présenter d’autre que celle suggérée par la conscience individuelle, éclairée et soutenue par une prière pleine de foi. D’ailleurs, Ochin ne destinait pas ses Dialogues au grand public, puisqu’il n’en avait fait qu’une édition latine. Mais le scandale, vrai ou simulé, dépassait toute mesure, et les maîtres de Zurich en prirent occasion pour se débarrasser du hardi novateur dont la critique indépendante semait à larges mains le doute en matière de dogme et de morale. Celui qui n’avait pas voulu du tribunal de Rome, dut comparaître devant celui de Zurich. Par une ironie suprême, des coreligionnaires, pour la plupart apostats comme lui, s’érigeaient en dé.cnseurs de cette « foi ecclésiastique » en aversion de laquelle il avait biuyamment abandonné l’Église. Et ceux qui jadis avaient salué sa défection comme une victoire sur la superstition romaine, le chassaient à présent de leur sein comme un dangereux hérétique.

III. Évolution religieuse.

Qui voudrait reconstituer les étapes de sa lamentable évolution religieuse, pourrait trouver des indications utiles dans ses nombreux écrits.

Il semble bien que, jusqu’au seuil de la maturité, Ochin se soit préoccupé d’assurer son salut ens’adonnant à une vie austère ; c’est la raison pour laque e, jeune encore, il entra dans l’ordre franciscain de l’observance. Durant plusieurs années, il y trouva le bonheur et la paix : il dira plus tard, dans le dialogue xxx, aux religieux restés fidèles à leur profession, que lui aussi, tout comme eux, fut, un jour, heureux dans le cloître comme s’il eût été au paradis terrestre. Son sceau, qui représente saint Bernardin de Sienne tenant le monogramme de Jésus, permet de croire que les saints exemples de son glorieux concitoyen ont exercé alors de l’influence sur lui. Toutefois, dès sa jeunesse, il manifestait déjà une âme inquiète, puisque, entré dans l’observance vers 1504, il en était sorti, deux fois avant 1521. C’est durant une de ces sorties qu’il alla étudier la médecine à l’université de Pérouse, où il se rencontra avec Jules de Médicis, le futur pape Clément VII. Ayant connu la congrégation capucine, il y entra, poussé par le même désir qui, trente années auparavant, l’avait conduit à l’observance : celui de mener la vie la plus mortifiée et la plus conforme à celle du Christ. Il rappellera plus tard, dans sa lettre à Muzio de Capo dlstiia (7 avril 1543) que, ayant revêtu l’âpre bure de capucin non sans une vive répugnance de sa sensualité, il dit au Christ : « Seigneur, si maintenant je n’opère pas mon salut, j’ignore ce qu’i)me reste à faire. » Il croyait encore alors à l’efficacité des œuvres de pénitence, jeûnes, oraisons, abstinences, veilles, pour la satisfaction des péchés.