Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 11.1.djvu/469

Cette page n’a pas encore été corrigée
919
920
OCHIN


siècles de distance, sa critique serrée de la science humaine (sermon ix) s’impose encore à l’attention, et ses vibrantes apostrophes à « sa ville de Venise » (sermons i, ni) ne laissent pas d’émouvoir à la simple lecture. Si l’on se rappelle que son admirable force de persuasion était servie par un organe empoignant et que sa réputation de sainteté, accréditée par une apparence frêle et un pâle visage d’ascète encadré d’une barbe de patriarche, renforçait encore le prestige de sa parole, on pourra se figurer aisément l’effet irrésistible que devait produire celui dont les auditeurs les plus pieux, comme l’évêque Giberti et la patricienne romaine Victoria Colonna, aussi bien que les plus difficiles et les plus blasés, comme le cardinal Bembo et le satirique Arétin, célébraient à l’envi l’incomparable talent oratoire.

2° Dans l’apostasie d’Ochin sombra aussi son éloquence. Sans doute continua-t-il de prêcher, mais devant des auditoires de transfuges aux croyances variées et contradictoires. Ses sermons prennent désormais la forme de dissertations ou de libelles polémiques destinés à combattre l’Église romaine, la confession, les indulgences, les vœux, ou consacrés aux thèmes qui préoccupent davantage le novateur : la justification par la foi, la prédestination et la liberté.

De 1542 à 1562, il publia une série de sermons (Prediche, Bâle-Genève) qui comprend cinq volumes. A peine publiés, d’habiles agents de la réforme les propageaient dans plusieurs villes d’Italie, comme Venise, Ferrare, Imola, Fænza. A Venise, au témoignage du nonce Mignanelli, tous les hommes de bon sens accueillaient avec pitié « ces sermons venimeux au pesant langage » ; à Imola, Fænza et ailleurs encore sans doute, les hérétiques en faisaient la lecture dans leurs conciliabules. Mais, tout en constatant le déclin oratoire d’Ochin devenu protestant, il faut reconnaître aussi que, depuis son arrivée à Genève jusqu’à sa mort, il déploya une activité littéraire considérable. Le besoin de se justifier et de répondre aux attaques venues du camp catholique, le poussa à écrire son Épttre aux magnifiques seigneurs de Sienne (1543) et à entrer en correspondance avec des amis déçus tels que Claude Tolomei, ou en lutte avec des adversaires redoutables tels que Caterino Politi de Sienne, Marc de I rescia et Muzio de Capo d’Istria. De part et d’autre, cette polémique manque de sérénité et dégénère le plus souvent en attaques personnelles. Sans doute la plupart des autres écrits d’Ochin se ressentent aussi, au moins en partie, de son aigreur antiromaine. Mais on y trouve de plus, et abondamment, l’exposé de ses théories philosophiques et de ses croyances religieuses. Les cinq tomes de ses Prediche ont chacun leur idée maîtresse, empruntée à la doctrine ou à la vie chrétienne : le t. i, la satisfaction du Christ pour le genre humain ; le t. ii, la prédestination ; le t. iii, la foi, l’espérance et la charité ; le t. iv, le péché, la mort et le jugement ; le t. v, le Christ dans le plan divin et le devoir de l’homme à son égard.

Pendant son séjour à Genève, en 1544 et 1545, Ochin publia encore : L’image de l’Antéchrist, pamphlet antipapal écrit en italien par Ochin, mais publié pour la première fois en français (1544) et peu après en allemand, en hollandais et en espagnol ; des traductions latines de plusieurs de ses sermons, entre autres de celui qui a pour thème : Quid sil per Christum juslificari ; Espositione sopra la Epistola di S. Paulo alli Romani (1545). Dans ce dernier commentaire, Ochin s’efforce d’établir sa doctrine de la justification par la foi sur l’autorité de. l’Apôtre. De son séjour à Augsbourg date l’Esposilione sopra la Epistola di S. Paulo alli Galali (1540). Si Dieu a créé le monde pour

qu’il fit paraître à

note caractéristique

Elle est dédiée à

l’homme, y affirme Ochin, l’homme lui-même a été créé pour servir Dieu, le connaître et l’aimer. De la connaissance de Dieu dérivent toutes les vertus ; il s’est manifesté d’abord dans la création, puis dans les Écritures, mais c’est le Christ qui nous a apporté la plénitude de sa connaissance et par là même nous a mis sur la voie de la justice. On signale encore de lui à cette époque, trois opuscules dont l’édition allemande seule est connue : Une belle et consolante prière chrétienne ; Un dialogue de la raison sensuelle ; De l’espérance d’un cœur chrétien. La Letlera di Fra Bernardino a PP. Paolo III, libelle plein d’injures et de calomnies répandu vers 1547 contre Paul III par des hérétiques de Venise, ne peut être rangée parmi les œuvres d’Ochin, auxquelles rien ne l’apparente ni pour le fond ni pour la forme. Sans doute sa haine de la papauté le pousse aux affirmations les plus osées ; mais ce n’est pas à la chronique scandaleuse qu’il emprunte ses chefs d’accusation, pas plus qu’il n’a l’habitude de recourir à la diffamation individuelle.

A ce point de vue, l’œuvre

Londres en 1549 donne bien la

de sa mentalité antiromaine.

Edouard VI et porte le titre : A Tragoedie or Dialogue of the uniusle usurped primacie of the Bishop of Rome, and of ail the just abolifyi.ng of the same (Une tragédie ou dialogue sur la primauté injustement usurpée de l’évêque de Rome et sur tout ce qui regarde sa juste abolition). Originairement composée en latin par Ochin, cette œuvre fut traduite en anglais par John Ponet, docteur en théologie, et publiée pour la première fois dans cette langue. En 1558, il en parut une version polonaise. C’est un drame fabuleux composé de neuf scènes et destiné à montrer que l’Église romaine est une invention de Lucifer pour détacher le genre humain du Christ : c’est l’ambition de l’évêque de Rome, soutenue par la puissance impériale, qui a créé la papauté. A la scène iv, nous voyons le pape Boniface III, ému de l’opposition faite à son autorité par les autres Églises, déclarer hardiment que sa suprématie remonte au Christ. Le « jugement de l’homme >-, un des personnages du drame, lui fournit de faux documents d’après lesquels saint Pierre est venu à Rome et y a été crucifié : en vertu de ces documents, le pape se déclare le successeur du chef des Apôtres. Dès lors, la pompe et la puissance temporelle de l’Église romaine entrent dans une période de prospérité croissante sous l’inspiration occulte de Lucifer qui, du fond de son ténébreux royaume, exploite la superstition, la vanité, les aspirations bonnes et mauvaises des fidèles et reprend son empire sur eux en les mettant sous la tutelle des prêtres par la confession, l’interprétation de l’eucharistie comme une nouvelle passion célébrée par eux, la vente des indulgences et des dispenses (scène vi). Si Lucifer se réjouit de son succès, le Christ se lamente avec les archanges Michel et Gabriel du triomphe de l’imposture (scèn «  vu). Sans doute, Dieu n’a permis ce triomphe, qui touche à sa fin, que pour manifester davantage sa toute-puissance ; jamais il n’a cessé d’assister ses élus au milieu des embûches de la fausse Église. Mais, dès maintenant, l’abomination a duré assez longtemps, et il charge l’archange Gabriel d’exhorter Henri VIII à purifier ses états du règne de l’Antéchrist. L’archevêque de Cantorbéry (Thomas Cranmer, protecteur d’Ochin) assiste le roi dans l’exécution de ce projet, et Edouard VI promet de marcher sur les traces de son père (scènes viii-ix). — Ce drame, qui se déroule successivement en enfer et au ciel, à la curie romaine et à la cour de Londres, présente d’une façon suggestive les objections des protestants contre la primauté, de l’évêque de Rome. Ochin y a dépensé toutes les