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OCCAM ET L’UNIVERSITÉ DE PARIS


prescrites pour y découvrir les livres nominalistes qui pourraient s’y trouver : deputati sunt nonnulli graves et dodi viri qui collegia lustrarent idque ob doctrinam Guillelmi Okam et consimiles, quee, proh dolor, sicut mata lizaniæ radix in agro fertili universitatis Parisiensis inceperat pullulare. Telle était du moins, sur la doctrine nominaliste, l’appréciation du procureur de la « nation française », Roër. Voir Du Boulay, ibid., p. 679 ; Duplessis d’A., p. 256.

En 1474, se produisit un véritable coup d’État. Aux élections de janvier pour la charge de procureur de la nation française, les luttes’avaient été vives entre les nominales et leurs adversaires. Ces derniers l’avaient finalement emporté. Jean de Montigny avait réussi à se faire élire ; il était le chef des reaies ; ceux-ci s’adressèrent donc au roi Louis XI et obtinrent de lui un édit, daté de Sentis le 1 er mars. Texte dans Du Boulay, toc. cit., p. 70C-709. Le roi y exprimait son regret de la décadence survenue en l’université, sa fille bienaimée. Les mauvaises mœurs des écoliers le préoccupaient sans doute, mais aussi le fait que plusieurs, suo nimium ingenio freti, aut rerum qu’idem novarum avidi, stériles doctrinas, minusque fructuosas, omissis eorumdem Patrum realiumque doctorum solidis salubribusque doctrinis, quanquam eas ipsas stériles doctrinas, in toto aut in parte, eorumdem stalutorum tenore, dogmatizare prohiberentur, palam légère ac sustinere non verentur. Il fallait donc, et c’était l’avis qu’avaient donné lés diverses facultés, remédier à ces abus. En conséquence, des réformes seraient faites dans le régime des examens de la faculté des arts : les deux chanceliers de Notre-Dame et de Sainte-Geneviève nommeraient directement et pour le temps qu’ils jugeraient bon, les examinateurs (tentatores artium), qui seraient choisis parmi les personnes de bonnes mœurs et instruites dans la saine doctrine des docteurs réaux ci-dessous désignés. Le décret continuait :

Visum est els (aux facultés) rursus doctrinam Aristotelis jusque commentatoris Averrois, Alberti Magni, S. Thomæ de Aquino, iEgidii de Roma, Alexandri de Halles, Scoti, Bonaventuræ aliorumque doctorum realium, qu » quidem doctrina retroaclis temporibus sana securaque comperta est tam in facultate artium quam theologise, in prsedicta Universitale deinceps more consueto esse legendam, dogmatizandam, discendam et imitandam, ac eamdem ad sacrosancta ? Dei Ecclesiæ ac fidei catholicse œdificationem, juvenumque studentium eruditionem longe utiliorem esse et accomodaliorem quam sit quorundam aliorum doctorum renovatorum doctrina, ut puta Guillelmi Okam, monachi Cisterciensis (= Jean de Mirecourt), de Arimlnio (Grégoire de Rimini), Buridani, Pétri de Alliaco, Marsilii (Marsile d’Inghen), Adam Dorp, Alberti de Saxonia, suorumque similium, quam nonnulli, ut dictum est, ejusdem universitatis studentes, quos nominales seu terministas vocant, imitari non verentur.

Cette doctrine des nominales susdits, et de quiconque leur ressemble, il était désormais interdit, soit à Paris, soit dans le reste du royaume, de l’expliquer, enseigner, soutenir soit en public, soit en secret. Les chefs des collèges seraient responsables, chacun dans son établissement, de l’exécution de cette défense ; les autorités universitaires et les régents des diverses facultés jureraient corporaliter de garder inviolablement l’édit royal. Des peines sévères étaient prévues contre les réfractaires, peines qui pourraient aller jusqu’au bannissement. Le premier président du parlement était chargé de recueillir les livres, ex quibus eadem ipsa nominalium doctrina procedit, d’en faire dresser l’inventaire ; après examen par des personnes compétentes, on statuerait sur ce qu’il conviendrait d’en faire.

Rarement mesures plus vigoureuses avaient été prises contre une doctrine. Comment seraient-elles acceptées ? Le procureur de la nation française voudrait

bien nous faire croire que les résistances furent peu nombreuses ; que sur le premier point, à savoir la question du serment à prêter de non dogmatizando aut sus tinendo doctrinam Gulielmi Ockam, il n’y eut guère de difficultés, que la faculté de théologie, à quelques exceptions près, se soumit aux prescriptions royales, que celle des arts se rallia à l’idée d’un serment prêté sous certaines conditions. II est facile de voir que cette dernière se soumit d’assez mauvaise grâce et demanda un adoucissement des mesures : placuit millere nuncios ad regem de singulis naiionibus pro temperamento ediclt. Quant à livrer à l’autorité les ouvrages desncmfna/ej, elle s’arrêtait à cette demi-mesure : ex qualibel libraria extrahere librum unum de quolibet doctore nominale, illumque tradere. Et, comme le premier président du parlement jugeait insuffisante cette manière de faire et voulait entrer en possession de tous les livres, on s’adressa encore au roi pour lui représenter les inconvénients d’une mesure aussi généralisée. Du Boulay, toc. cit., p. 710-711. L’université qui, dans l’ensemble, avait demandé la modification de cette partie de l’édit, finit par obtenir gain de cause. Sur le mémoire envoyé au roi à la suite de ces événements par les magistri nominales ; voir Fr. Ehrle, Der Sentenzenkommentar Peters von Candia, des PisanerPapstes Alexanders V..dans Franz iskanische Studien, Beiheꝟ. 9, 1925, p. 321-326.

Le triomphe bruyant des reaies devait être de courte durée. Les élections de janvier 1481 furent défavorables à Jean de Montigny et à ses partisans, et le parlement, devant qui appel avait été interjeté, confirma la défaite de celui-ci. Dès la fin d’avril, une lettre du prévôt de Paris à l’université lui mandait que le roi avait donné l’ordre « de faire déclouer et défermer tous les livres des nominaux qui avaient été scellés et cloués dans les collèges de ladite université à Paris, et de faire savoir que chacun y étudiât qui voudrait. » Du Boulay, ibid., p. 738-739. La « nation germanique » exprimait sur le mode lyrique la satisfaction que lui causait cet heureux changement dans les décisions royales. Elle rendait grâce à Dieu qui avait, en ce temps pascal, éclairé le cœur du roi Très-chrétien et l’avait amené à réparer le crime commis contra doctrinam nominalium famosissimam. La « nation » se félicitait de ce que cette doctrine salutaire, chrétienne, splendeur de l’université, flambeau du monde, était remise sur le chandelier, puisque le roi Très-chrétien voulait que les livres qui la contenaient fussent rendus à la liberté. Pour être moins enthousiaste, la délibération de la « nation picarde » ne laissait pas d’enregistrer avec satisfaction le retrait de l’ordonnance de 1474 ; elle demandait au recteur de faire signifier à tous les collèges ut absque scrupulo omnes ad nutum viæ et opinioni tam realium quam nominalium vacarent studentes. Du Boulay, ibid., p. 740-741. Il faut croire que le premier président du Parlement ne mit pas un très grand empressement à restituer les livres nominalistes qui lui avaient été remis sept ans auparavant. L’assemblée de l’université d’avril 1482 eut encore à s’occuper de cette question ; au mois de mai enfin, les livres confisqués revinrent et furent remis à chacun des ayants droit. Du Boulay, p. 747-748. En définitive, le coup d’État de 1474, qui devait porter le coup de grâce au nominalisme n’avait abouti qu’à faire reconnaître celui-ci, d’une manière officielle, comme l’une des doctrines qui avaient droit de cité en l’université de Paris.

Aussi bien ces manifestations brutales de certains universitaires contre Poccamisme ne doivent pas faire oublier que l’Église s’est, en somme, tenue en dehors du conflit entre nominales et reaies. L’occamisme, en tant que système, n’a jamais été l’objet d’une condamnation globale ; si l’autorité ecclésiastique est intervenue, -et d’ailleurs assez rarement, ce n’a été que contre des thèses précises dérivant, en ligne pi us ou moins directe,