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OCCAM ET L’UNIVERSITÉ DE PARIS


semblable qu’en transmettant aux autorités universitaires la citation pontificale, l’évêque de Paris attira l’attention de celles-ci sur les conséquences fâcheuses qu’avait déjà amenées la doctrine occamiste. Ceci expliquerait au mieux, nous semble-t-il.la délibération qui fut prise par la faculté des arts le 29 décembre suivant.

Les considérants sont beaucoup plus sévères que ceux de l’année précédente ; il ne s’agit plus seulement d’une doctrine qui s’est introduite sans l’assentiment des autorités, mais d’erreurs contre lesquelles c’est un devoir de prendre position. La faculté a appris que nonnulli quorundam asluliis perniciosis adhérentes… cupientes plus sapere quam oporteat, quiedam minus sana nituntur seminare ex quibus errores intolerabiles nedum circa philosophiam, sed et circa divinam Scripturam possent contingere in futurum. Chartul. univ. Paris., n. 1042, t. ii, p. 505-507.

En conséquence, la faculté promulguait quelques règles relatives aux procédés d’argumentation : « Défense de dire que telle proposition d’un auteur est fausse simplement ou de virtute sermonis, si l’on croit que l’auteur avait une idée juste en l’exprimant ; il faut s’efforcer, par des distinctions opportunes, de faire apparaître le véritable sens de la proposition exprimée. — Défense de dire simplement ou de virtute sermonis que toute proposition est fausse qui serait fausse secundum suppositionem personalem terminorum (sur le sens de ce mot, voir ci-dessus art. Nominalisme, col. 737). Cette erreur revient à la première ; car les auteurs se servent fréquemment d’autres suppositiones. — Défense de dire que nulle proposition ne doit être distinguée. — Défense de dire que nulle proposition ne doit être concédée, si elle n’est pas vraie dans son sens propre. » En définitive, contre l’abus d’une logique purement verbale et trop souvent contentieuse, la faculté maintient les anciennes règles d’argumentation qui, sous les termes et les propositions, cherchent, par des distinctions appropriées, à retrouver les concepts et les jugements. Comparer ces prescriptions avec les règles rigides formulées par Nicolas d’Autrecourt, ci-dessus col. 561-565.

Les dernières prohibitions de la faculté dépassent cette logique" : « Que nul ne prétende enfermer la science dans les propositions et les termes ; la science atteint laréalité : in scientiis utimur terminis pro rébus… ideo scientiam habemus de rébus licet mediantibus terminis vet orationibus. »

Appliquant à un cas particulier et visant d’ailleurs un des articles mêmes reprochés à Nicolas d’Autrecourt, la faculté précisait : « Que nul n’affirme, sans les distinctions et les explications convenables, que « Socrate et Platon » ou bien « Dieu et la créature ne sont « rien », car ces assertions sont de prime abord malsonnantes, une telle proposition ayant un sens faux, si l’on faisait tomber la négation, impliquée dans le mot nihil, non seulement surl’être singulier, mais sur les êtres pris collectivement. » (En d’autres termes, les propositions visées n’ont un sens acceptable que si on leur fait signifier qu’il n’y a pas une réalité commune à Socrate et à Platon, à Dieu et aux créatures, ce qui est la solution nominaliste du problème des universaux. Mais au premier abord elles semblent un défi à la raison.) — La finale du décret édicté l’exclusion de la faculté contre les réfractaires, et maintient d’autre part les mesures antérieurement prises à l’endroit de la doctrine d’Occam, salvis in omnibus quæ. de doctrina Guillelmi dicti Ockam alias staluimus. On remarquera cette finale ; elle n’assimile pas entièrement les procédés condamnés par le décret avec la doctrine d’Occam, contre qui a été portée l’exclusive de l’année précédente ; mais elle ne laisse pas d’établir un lien entre la logique occamiste et les abus signalés ici.

DICT. DE THÉOL. CATH.

3° Les interventions du Saint-Siège. - 1. Le procès de Nicolas d’Autrecourt et ses suites. — La citation en curie de Nicolas d’Autrecourt, ci-dessus, col. 896, aboutit finalement à une condamnation. Voir Nicolas d’Autrecoubt, col. 561 sq. Le 20 mai 13-16, le pape Clément VI adressait à l’université de Paris la lettre Singularis dilectionis qui tirait de l’aventure de ce maître parisien des conséquences plus générales. Chartul. univ. Paris., n. 1125, t. II, p. 587-589.

Après avoir rappelé la singulière estime en laquelle le Saint-Siège avait toujours tenu l’université de Paris, le pape, ancien élève lui-même de cette glorieuse institution, ne pouvait s’empêcher de regretter tout ce qui était de nature à porter atteinte à sa bonne renommée. Or il était obligé de constater que plusieurs maîtres et écoliers de la faculté des arts méprisaient le texte du Philosophe (Aristote) et des autres maîtres anciens, qu’ils devraient suivre, en tant qu’ils ne sont pas contraires à la foi, méprisaient aussi les vraies expositions et écritures (il doit s’agir des traités plus modernes par opposition aux textes des anciens), traités qui sont l’appui même de la science. Ils se tournaient vers des doctrines sophistiques et étrangères, enseignées, paraît-il, en d’autres universités, opinions selon toute apparence inexistantes et inutiles, qui ne peuvent mener à rien, ad alias varias et extraneas doctrinas sophisticas quæ in quibusdam aliis doceri dicuntur studiis et opiniones apparentes non exislentes et inutiles, et ex quibus fructus non capitur se convertunl. Quelle indignité de mettre de la sorte Paris à la remorque d’universités étrangères (Oxford est certainement visée ; ne pas oublier que l’on est au début de la Guerre de cent ans), en s’attachant à des opinions souvent inutiles et erronées.

Mais, chose bien plus regrettable, plusieurs théolo giens aussi, sans égard pour le texte de la Bible, pour les dits des saints et les expositions des docteurs, s’empêtraient en des questions philosophiques et en d’autres disputes de pure curiosité, en des opinions suspectes et en des doctrines étrangères et variées. Tout cela n’allait pas sans danger.

Le pape exhortait, en conséquence, l’université à laisser de côté tout ce fatras, quatenus hujusmodi peregrinis, variis et inutilibus, imo nocivis et periculosis doctrinis, opinionibus et sophisticationibus omissis totaliter et abjectis. Qu’elle s’attachât à la vérité, aux témoins, aux écrits, aux opinions qui appuient l’orthodoxie.

2. Mesures contre Richard de Lincoln.

En même temps que Nicolas d’Autrecourt, d’autres bacheliers de la faculté de théologie de Paris avaient été cités par Benoît XII en cour d’Avignon (col. 896) ; nous ne voyons pas qu’ils aient été l’objet des peines qui frappèrent Nicolas. La même citation visait un cistercien, Henri d’Angleterre (Henricus Anglicus) qui sans doute enseignait au couvent de Saint-Bernard. Un acte postérieur de Clément VI nous apprend qu’un autre membre de cette communauté, Richard de Lincoln avait été l’objet, lui aussi, d’une dénonciation, « à cause de certaines opinions extravagantes soutenues par lui dans des argumentations ». Cité en curie, il s’était vu interdire l’accès aux grades, sauf permission spéciale du pape. Constatant d’ailleurs qu’il était venu à résipiscence et avait abandonné ces opinions suspectes, le pape Clément VI, à la requête des principales autorités cisterciennes, levait, le 12 novembre 1343, l’interdiction portée par son prédécesseur et permettait à Richard de prétendre aux grades universitaires. Chartul. univ. Paris, n. 1076, t. ii, p. 541 ; cf. n. 1111, p. 568 (23 juin 1345). Il nous est, d’ailleurs, impossible de dire si les opinions reprochées à Richard s’apparentaient de près ou de loin à l’occamisme. Ces mesures ne sont signalées ici que pour montrer l’attention que le Saint T. — XI — 29