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OCCAM ET PIERRE D’AURIOLE


potest esse per potentiam Dei de objecto non exislenle, QuodL, VI, q. vi ; cf. Nominalisme, col. 767 sq.

Critiquant Godefroy de Fontaines, intelligere et senttre per hoc fmnl in nobis quod objectum movet potentiam. .. causando ipsum senlire vel intelligere (Durandi de S. Porciano, O. P., quæstio de natura cognitionis, édit. J. Koch, Munster, 1929, dans Opuscula et textus hisloriam Ecclesim ejusque vitam ac doctrinam illustrantia, séries scholaslica, fasc. 6, p. 12-13), Durand de Saint-Pourçain argumente comme suit : quia Deus potest facere effeclum eujuslibet causæ efficientis secundæ sine ipsa. Sed Deus non potest jacere quod intelligere sit sine objecto, quia tune homo posset intelligere, dalo, quod nichil intelligeretur. Jbid., p. 17-18. Si l’acte de connaître était un accident de l’âme et un effet de l’objet, il pourrait y avoir connaissance de l’inexistant ; ce que Durand tient pour inconcevable ; l’objet n’est pas pour lui cause efliciente de l’acte de connaître et cet acte n’est point un accident, mais une simple relation, qui ne s’ajoute point à l’âme comme une chose à une autre chose, intelligere est relatio sola, et sic non facit realem compositionem curn intellectu, nec est res absoluta superaddita intellectui, Ibid., p. 38.

Occam et Durand raisonnent de façon exactement inverse : le premier part de la causalité efficiente de l’objet et de la réalité de l’acte de connaître comme accident de l’âme pour conclure une connaissance de l’inexistant ; le second conclut de l’impossibilité d’une telle connaissance, que l’objet n’est pas cause efficiente et que l’acte de connaître n’a point la réalité d’un accident, mais celle d’une relation. Deux perspectives opposées sur la connaissance dépendent ici de l’opposition de deux métaphysiques : pour le nominalisme d’Occam, il n’y a d’être que dans les substances et accidents absolus ; pour Durand, on en trouve dans les subtances, les accidents et les relations.

5. Feckes, sans admettre une influence, montre dans la théologie de la grâce de Durand de Saint-Pourçain une certaine anticipation de la théologie nominaliste d’Occam et de Gabriel Biel, Die Rechtferligungslehre des Gabriel Biel und ihre Stellung innerhalb der nominalistichen Schule, Munster, 1925, p. 96-101. On trouve sans doute chez Durand le thème de la pure libéralité de Dieu, que nous avons relevé dans le nominalisme. Voici le texte de la première rédaction de son commentaire : Nihil omnino nec gloriam nec quodeumque aliud bonum spiriluale vel corporale, possumus mereri apud Deum merilo de condigno, sed solum de congruo ; quod palet, quia illud, quod quis assequitur ex sola liberalitate dantis, non cadil sub merilo de condigno, quia, quod redditur pro merilo de condigno, redditur secundum debitum et non secundum gratiam. Meritum enim condigni innititur justitiæ non gratiæ. Sed quidquid a Deo consequimur, sive sit gratia, sive gloria, bonurn spiriluale vel temporale, lotum est ex mera liberalitate Dei. Ergo, etc. Quicquid ergo a Deo recipimus, non redditur ex aliquo debito, sed impenditur ; et ideo, si decedenli in gratia Deus non darel gloriam vel habenti auferrel, nihil injustum faceret. Sed deberet lalis dicere, quod scriptum est Job, 1 : Deus dédit, Deus abstulit, sit, etc., dans Koch, Durandus de S. Porciano, p. 26-27. Mais un thème spirituel n’est pas toute une théologie, il faut considérer aussi la métaphysique à laquelle elle emprunte sa technique : la doctrine de Durand sur la justification est dépendante de la doctrine de la relation, qui n’a rien d’occamiste, ibid., p. 194.

Au moins quant à l’essentiel de sa doctrine et de celle d’Occam, Durand de Saint-Pourçain ne paraît pas être un précurseur du nominalisme : tel est du moins le jugement de Koch, qui oppose à ce propos Durand à Pierre d’Auriole et Henri de Harclay, qu’il place aux côtés d’Occam. Ueberweg-Geyer, p. 527.

Occam et Pierre d’Auriole.

Pierre d’Auriole

n’est pas mieux connu que Durand de Saint-Pourçain. Ici encore nous devrons nous en tenir à quelques remarques.

1. Occam nous dit lui-même la connaissance qu’il avait de Pierre d’Auriole dans un passage du commentaire où il critique la doctrine du Verbe divin et de la connaissance en général : quia tamen pauca vidi de dictis illius docioris, si enim omnes vices quibus respexi dicta sua simul congregarentur, non comptèrent spatium unius diei naturalis, ideo contra opinantem istum nolo mullum arguere. Possem enim leviter ex ignoranlia dictorum suorum magis contra verba quam contra mentem suam arguere. Quia tamen conclusio sicut sonat apparet jalsa mihi, arguam contra eam, sive argumenta procédant contra mentem opinantis sive non. Possent autem contra islam conclusionem adduci aliqua argumenta quæ feci, dist. XXVI hujus libri de esse cognito, quam materiam tractavi et jere omnes alios de primo libro anlequam vidi opinionem hic recitatam. I Sent., dist. XXVII, q. iii, H. Nous retrouvons dans ce passage le critique, attentif à la doctrine de ses adversaires et à la portée de sa critique ; Occam nous y avertit qu’il n’a eu de Pierre d’Auriole qu’une connaissance limitée, rapide et tardive.

2. Avec la doctrine du Verbe et la théorie de la connaissance qu’elle utilise, c’est un aspect caractéristique de la pensée de Pierre d’Auriole qu’Occam discute en cette question. La première thèse de Pierre d’Auriole qu’il cite pour la repousser, formule une conception générale de Yinlentio : in omni inlentione émanât et procedit non aliquid aliud, sed ipsamet res cognita secundum quod habet lerminare inluilum intelleclus, 1 Sent., dist. XXVII, q. iii, C ; dans l’intellection, comme dans le sens d’ailleurs, l’acte de connaître pose la chose connue dans un être intentionnel, distinct de l’être réel : in actu intellectus de necessitate res intellecla ponitur in quodam esse inlentionali conspicuo et apparenti, … aclus sensus exlerioris ponit res in esse inlentionali ut palet in mullis experientiis. Ibid.

Pierre d’Auriole veut que toute connaissance se termine à un être intentionnel de la chose, distinct de son être réel et né de l’acte d’intellection. Occam ne veut pas de cet intermédiaire entre la chose et l’acte de connaître, esse quod sit médium aliquod inler rem et actum cognoscendi ; il l’admettrait tout au plus dans le cas du concept, notitia abslracliva qua habetur universale in intellectu. Ibid., J. Cela suffit sans doute pour mettre entre les deux théories de la connaissance une opposition essentielle.

3. Occam critique encore Auriole dans les questions sur la justification. Nous avons vu que, sur le problème de la nécessité de la grâce créée, Pierre d’Auriole est vraiment « l’adversaire » d’Occam, et que, pour ce dernier, c’est l’idée même du Dieu de puissance et de miséricorde qui se joue dans cette discussion. Nominalisme, col. 775. Jusqu’à Gabriel Biel, tous les nominalister, reprendront l’attitude d’Occam. Feckes, Die Rechtferligungslehre des Gabriel Biel, Munster, 1925, p. 94. Voilà une doctrine fondamentale et caractéristique du nominalisme, où s’affirme avec la notion de la grâce une conception de Dieu et de la nature humaine, qui s’est définie par opposition à la pensée de Pierre d’Auriole.

4. Il semble qu’Occam ne connaisse Pierre d’Auriole que pour le critiquer. Cependant, quoi qu’il en soit d’une influence que rien ne prouve et que rend improbable l’aveu que nous avons cité, ne peut-on pas trouver dans Pierre d’Auriole le nominalisme des universaux et des relatifs ? En l’état présent des travaux sur nos deux auteurs, nous pouvons à peine indiquer une direction de recherche.

L’étude de Dreiling, Der Konzeplualismus in der