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OCCAM. VIE

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1327, date à laquelle le Bavarois se décide à y descendre (il entre à Milan le 31 mai 1327). Dans son camp il compte, outre les franciscains animés contre le pape, des théologiens comme Marsile de Padoue et Jean de Jandun. Pour essayer de lui arracher les frères mineurs, le pape convoque à Avignon, le général Michel de Césène, 8 juin 1327. Bull, franc, n. 667. Celui-ci finit par obtempérer, mais le conflit n’en devient que plus violent entre lui et Jean XXII. Au début de

1328, on apprend que Louis de Bavière vient de se faire couronner empereur à Rome (17 janvier 1328). Ces nouvelles ont dû contribuer à affermir Césène dans sa résistance. Le 13 avril, dans une pièce que signent comme témoins François d’Ascoli, Guillaume d’Occam et Bonagratia de Bergame, il proteste contre toutes les mesures prises par Jean XXII. Baluze-Mansi, Miscell., t. iii, p. 240 a. La pièce ne doit d’ailleurs être publiée qu’ultérieurement. Mais les événements se précipitent : le 18 avril, à Rome, Louis de Bavière déclare Jean XXII déposé pour crime d’hérésie et de lèse-majesté. Le 25 mai, trompant la surveillance dont ils sont l’objet, Michel de Césène, Guillaume d’Occam et les autres partisans du général présents à la curie s’échappent d’Avignon, gagnent Aiguës-Mortes où les recueille une galère impériale. En juillet, ils sont à Pise ; désormais les voici attachés à la fortune de Louis de Bavière.

Il nous est facile maintenant de comprendre la lettre adressée, six ans plus tard, en 1334, par Guillaume d’Occam au chapitre général d’Assise. Il est demeuré près de quatre ans en Avignon, dit-il, sans avoir l’idée que le pape avait pu tomber dans l’hérésie. Mais, continue-t-il, poslmodum ex occasione data, superiore mandante, très constitutiones seu poiius destitutiones hsereticales, imprimis videlieel « Ad conditorem », « Cum inter », et « Quia quorumdam » legi et studui diligenter. In quibus quamplura heerelicalia, erronea, stulta, ridiculosa, phanlastica, etc., etc., patenter inveni. Et après avoir relevé dans chacune de ces pièces les faussetés qu’il y trouve, il ajoute qu’il ne se souvient pas avoir jamais lu écriture d’un hérétique ou d’un païen aussi remplie d’erreurs et d’hérésies : attendensque auctorem et omnia dogmatizata imprimis diffinitive pronuntiasse esse tenenda, ipsum esse hæreticum nullalenus dubitavi. « Et puisque les hérétiques perdent tout droit et tout pouvoir, qu’ils doivent être non seulement évités, mais attaqués par tous les catholiques, puisque, selon les canons, les questions de foi, quand il est bien certain que telle assertion est contraire à la vérité définie, sont du ressort non seulement du concile général ou des prélats, mais des laïques mêmes, pour me donner toute latitude de combattre selon mes moyens le susdit hérétique, j’ai quitté volontairement Avignon (libenlius de Avenione recessi), et venu à Pise, j’ai adhéré à l’appel interjeté par frère Michel, ministre général, contre le pseudo-pape, contre l’hérétique ci-dessus désigné. »

A lire attentivement ce texte, on voit que ce n’est pas du début de son séjour en Avignon que datent les soupçons d’Occam sur l’hétérodoxie de Jean XXII. C’est seulement après quatre ans environ que, l’occasion s’étant trouvée, et » sur l’ordre d’un supérieur », il étudie, avec le désir de les prendre en défaut, les constitutions pontificales. S’il en a entendu parler jusque-là (quel franciscain n’en avait entendu parler ?) il n’avait prêté aux questions qu’elles soulevaient qu’une oreille distraite. Le supérieur qui l’a amené à étudier cette controverse ne peut guère être que le ministre général, Césène, arrivé à la curie à la fin de 1327.

Cette exégèse toute simple écarte toutes les combinaisons proposées par les anciens biographes d’Occam. II n’est pas le Guillelmus Angliæ provincialis dont le nom figure en tête de la décision du chapitre général de Pérouse, de 1322, et qui est Guillaume de Notting ham, voir ici, t. xi, col. 810. Il n’est pas le Guillelmus diclus Anglicus, dont Jean XXII signale le 1 er décembre 1323, les discours incendiaires aux évêques de Bologne et de Ferrare et qu’il prescrit d’envoyer à Avignon. Bull, franc, n. 520.

Aussi bien, quand Jean XXII, sitôt connue l’évasion de Césène, d’Occam et des autres mineurs, lance contre les fugitifs un mandat d’amener, il distingue nettement le cas de Césène et de Bonagratia d’une part, celui d’Occam de l’autre : des deux premiers il est dit : tanquam sibi maie conscii seque reddentes de fautoria hæreticorum et aliis criminibus… suspectos occulte de curia recesserunt. D’Occam, en une lettre spéciale, il est dit : Cum Guilelmus Okam de ordine fratrum minorum qui super crimine hæresis in curia romana delalus exstilerat, pendente inquisitionis negotio in eadem curia contra ipsum, tanquam sibi maie conscius inde nuper occulte absque licentia nostra recesseril, se de dicto crimine reddendo convictum. 28 mai 1328, Bull, franc, n. 711. Pour qui connaît le soin minutieux qu’apportait la curie romaine à libeller ses actes, les griefs faits respectivement à Césène et à Occam apparaissent comme distincts. — L’année suivante, quand il est de notoriété publique qu’Occam a désormais partie liée avec les adhérents de Césène et de Louis de Bavière, le le pape n’en continue pas moins à distinguer les griefs qui sont faits à Césène, à Bonagratia et à Guillaume. Pour ce dernier, le crime de révolte s’ajoute à d’autres erreurs dont il était à bon droit suspect. D’une part, il a écrit contre les constitutions et déclarations du Siège apostolique (sur la pauvreté), d’autre part alia etiam adversus veritatem catholicam edidisse ac dogmatizasse noscitur. 5 avril 1329, Bull, franc, n. 784.

Une lettre de Jean XXII à Jean, roi de Bohême, datée du 22 juillet 1330, est plus explicite encore. Le pape y signale les indignes manoeuvres du Bavarois, et comment il a su grouper autour de lui toutes sortes de gens suspects : Michel de Césène, et « Guillaume d’Occam d’Angleterre, un hérésiarque, qui enseignait publiquement diverses hérésies et avait composé des écrits pleins d’erreurs et d’hérésies, ce pourquoi il avait été cité en curie où ses écrits avaient été distribués à plusieurs docteurs, qui devaient les examiner avec diligence et déclarer ce qu’ils y trouveraient d’hérétique ou d’erroné. Et déjà ils avaient déclaré beaucoup d’articles hérétiques. Alors Guillaume, peu rassuré (maie sibi conscius) prit la fuite, voulant éviter les sanction* de droit. » Dans Raynaldi, Annales eccles., an. 1330, n. 29 ; reproduit dans Bull, franc, t. v, p. 480, n. 5. Or, A. Pelzer vient précisément de retrouver le rapport des docteurs chargés d’examiner les écrits d’Occam. Publié et étudié dans Revue d’hist. eccl., t. xviii, 1922, p. 240-270. A la vérité, le texte publié ne mentionne pas le nom du personnage responsable des propositions examinées et censurées. Mais les 51 articles visés se retrouvant exactement dans le commentaire d’Occam sur les quatre livres des Sentences et dans les Quodlibet, il ne peut subsister aucun doute : nous avons certainement affaire avec un rapport relatif à ce procès d’Occam, en curie, auquel fait allusion Jean XXII, dans la lettre précédemment citée. Ce rapport a été rédigé en 1326 (il n’est pas daté, mais la date se déduit avec certitude des noms et qualités des censeurs). Les 51 articles se rapportent, sans un ordre bien apparent, à des questions de logique, de dialectique, de théologie (Trinité, incarnation, sacrements). Voir ci-dessous, col. 890 sq. Nulle part, il n’est fait allusion au « débat sur la pauvreté ». L’éditeur de cette pièce si intéressante suppose, sur bonnes preuves, que l’action de la curie romaine a été déclenchée par une dénonciation de Jean Lutterell, chancelier de l’université d’Oxford entre 1317 et 1322, qui figure d’ailleurs parmi les commissaires chargés de l’examen. Voir