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NOVATIEN. LE RIGORISME MORAL


fermer l’Église à ceux qui frappaient à la porte, ni de refuser à ceux qui pleuraient et demandaient pardon le secours des espérances salutaires, en les laissant partir vers le Seigneur sans la communion et la paix. Lui-même n’a-t-il pas permis et réglé que ce qui aurait été lié sur la terre serait aussi lié dans le ciel, et que là pourrait être pardonné ce qui l’aurait d’abord été ici dans l’Église, » Episl., lvii (54), n. 1. [C’est la seule allusion précise à toute la portée du texte qui se rencontre dans l’œuvre de Gyprien. On remarquera que le texte si clair de Joa., xx, 21-23 : « Les péchés seront remis à qui vous les remettrez ; ils seront retenus à qui vous les retiendrez, » ne se trouve allégué qu’à propos de la rémission des péchés dans le baptême. Cf. Epist., lxix (76), n. Il ; lxxih (73), n. 7 ; lxxv (75), n. 16, cette dernière de Firmilien de Gésarée.]

Si parcimonieux que paraisse l’emploi du texte de Matthieu, il est certain que sa mise en œuvre indique que l’on prend davantage conscience de la doctrine du pouvoir des clefs. Cette impression se renforce, quand on fait état de cette autre idée développée par Cyprien à propos d’un problème différent, que seule l’appartenance à l’Église donne droit au salut. Ci-dessus, col. 834 sq. Organe de la communication des dons divins, l’Église apparaît aussi comme l’inévitable dispensatrice du pardon. Et dès lors le fait de retenir les péchés aux pénitents bien disposés n’apparaîtrait-il pas comme un acte de cruauté ? C’est sur le devoir qui incombe à l’Église de se montrer largement miséricordieuse qu’insiste avant tout l’anonyme auteur de l’Ad Novalianum ; mais à cette longue homélie est sous-jacente, encore que bien peu explicite, la doctrine du pouvoir des clefs. Il faudra longtemps encore pour qu’elle prenne ses contours définitifs ; du moins c’est en ces années que le besoin se fait sentir avec acuité de re viser les fondements de la vieille pratique concernant la réserve de certains péchés.

La doctrine novatienne.

 Tout au rebours, Novatien

va être amené par sa position schismatique à se cramponner à ces vieux errements et à vouloir justifier en droit ce que, jusqu’à un certain point, la pratique avait établi en fait.

Il est assez difficile, d’ailleurs, de préciser en quoi consiste son erreur théorique. A Antonianus qui lui demande : Quam hmresim Novatianus introduxisset ? Gyprien ne répond que par une dérobade : « Sachez, lui dit- ii, que nous ne devons même pas être curieux de connaître ce qu’il enseigne, puisqu’il enseigne hors de l’Église. » Epist., lv (52), n. 24. Et l’évêque de Garthage d’insister sur les manœuvres schismatiques de l’antipape et l’attitude rigoriste qu’il a prise, sans plus parler de doctrine. L’anonyme traité Ad Novalianum se tient dans les mêmes généralités et ne signale guère, comme point précis, que l’insistance du schismatique sur le texte évangélique, Math., x, 33 ( « Celui qui m’aura renié devant les hommes, je le renierai devant mon Père » ), et le peu de compte qu’il tient des textes plus miséricordieux de l’Écriture. Dans la lettre fort courtoise qu’il écrit à l’antipape pour l’amener à résipiscence, Denys d’Alexandrie r.e fait état d’aucun grief dogmatique, H. E., VI, xlv, P. G., t. xx, col. 633. Un peu plus tard, écrivant au prêtre Denys de Rome, qui bientôt après deviendrait pape, il récapitule les griefs que l’on a contre Nova tien : « C’est à juste titre, écrit-il, que nous combattons Nova tien : il a déchiré l’Église, entraîné au blasphème et à l’impiété certains des frères, a mis en circulation sur Dieu une doctrine très impie, nous a représenté avec hypocrisie notre très bon maître Jésus-Christ comme cruel ; ajoutez à tout cela qu’il rejette le saint baptême (to Xourpov dcOs-roûvri). supprime la confession de foi avant celui-ci, et bannit le Saint-Esprit de l’âme de ses adhérents. » Ibid., VII, viii, col. 652-653.

Cette énumération (qui a sans doute pour objet de jeter le doute sur la validité du baptême des novatiens) a besoin de quelque exégèse. Nous entendons bien que Nova tien a mis le schisme dans l’Église ; nous comprenons encore que son rigorisme semble mettre en échec la doctrine sur le Père très bon, le Fils très miséricordieux et soit défavorable à l’action du Saint-Esprit (Denys semble vouloir entraîner Novatien en de fâcheuses erreurs anlitrinilaires). Le rejet du baptême ne peut être que le refus d’admettre la validité du baptême des catholiques. Et nous ne voyons pas trop ce que signifie la suppression de la profession de foi avant le baptême. — Bref les contemporains ne se sont pas rendu un compte très exact de la doctrine professée par Novatien.

Si lui-même a pris la peine de l’expliciter en des formules, celles-ci ne se sont point conservées ; on est donc réduit à conjecturer sa pensée d’après ses actes. Nous l’avons entendu, encore catholique, se réclamer avec vigueur de l’ancienne discipline. Col. 835. Cette discipline admet à la pénitence les pécheurs même coupables de l’une des fautes capitales ; elle permet, à l’époque de Novatien, de réconcilier après pénitence convenable ceux qui ont commis des fautes de la chair ; elle maintient jusqu’au lit de mort (inclusivement ) l’exclusion des apostats ayant fait acte d’idolâtrie. Cette discipline, quelles que soient les nécessités d’y toucher qu’ont amenées les circonstances, Novatien entend la maintenir : 1) Admission à la pénitence (c’est une erreur des controversistes catholiques ultérieurs de prétendre que Novatien a rejeté l’institution pénitentielle, et qu’il a déclaré la pénitence sans efficacité ) ; 2) réconciliation en temps convenable des pécheurs coupables de fautes charnelles [clairement indiquée par saint Cyprien, Epist., lv (52), n. 27], quoi qu’il en soit des pratiques qui s’introduiront ultérieurement dans l’Église novatienne ; 3) refus, jusqu’à la mort, du pardon ecclésiastique aux apostats de toute catégorie, y compris les simples libellatiques ; si Novatien catholique avait pu faire quelques concessions sur ce point, col. 835, il est revenu complètement à la sévérité ancienne ; 4) dernière pratique à mentionner : rupture de la communion avec ceux qui ont accepté la réintégration des lapsi, quels qu’ils soient, dans leur communauté ; c’est le prétexte invoqué contre Corneille. Cf. S. Cyprien, Epist., lv(52), n. 10, 12.

Et voici la doctrine que laissent entrevoir et cette pratique et la réfutation des catholiques. L’Église est essentiellement l’assemblée des saints, des purs (d’où le nom de cathares que se donneront les schismatiques). Le fait de recevoir dans son sein des personnes souillées par le péché ne saurait manquer de la souiller elle-même, Epist., lv (52), n. 25-27. Elle ne peut donc faire autrement que d’expulser les pécheurs, tout particulièrement quand elle accomplit le grand acte du sacrifice. Mais ces pécheurs qu’elle rejette, elle ne les abandonne pas pour autant ; elle sait que la miséricorde de Dieu peut être touchée par la pénitence, et elle organise toutes choses pour que, par des moyens appropriés, les pécheurs reçoivent cette miséricorde divine. Pour certains, qui ont péché seulement à l’égard de leurs frères, elle estime que le pardon divin a pu être obtenu après un laps de temps suffisant ; elle se risque donc à les admettre de nouveau à la participation de ses mystères. Ce n’est pas l’Église qui leur accorde un pardon qui serait ratifié d’en haut ; elle estime seulement, eu égard aux circonstances extrinsèques, que le pardon divin a été accordé. Mais quant aux fautes qui atteignent directement Dieu (idolâtrie, apostasie sous toutes ses formes), l’Église s’arrête devant la terrible parole du Sauveur : « Celui qui m’aura renié devant les hommes, je le renierai devant mon Père. » Matth., x, 33. Elle n’ose pas se pro-