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NOVATIEN. ENSEIGNEMENT TRINITAIHE


l’interrogation répétée : « Si le Christ n’est qu’un homme, comment se fait-il que… etc. » C. xv, xvi (cf. au c. xvii, l’autre tournure : « Que disons-nous donc en constatant que… etc. » ). Quoi qu’il en soit de détails contestables, la preuve de la divinité du Christ est supérieurement menée. Contre l’adoptianisme, Novatien invoque même le témoignage de l’hérésie adverse. La divinité du Christ, dit-il, est si clairement exprimée par l’Écriture que la plupart des hérétiques en sont venus à identifier le Christ avec le Père : ut plerique hærelicorum, diuinitatis ipsius magnitudine et verilaie commoti, ultra modum exlendentes honores ejus ausi sint non filium sed ipsum Deum patrem promere vel pulare. C. xxiii, col. 959 C.

Qu’il faille pourtant, à rencontre de cette hérésie sabellienne, distinguer le Fils du Père, c’est ce que l’Écriture enseigne avec non moins de force. Les paroles du Christ, dans l’Évangile, sont formelles : Ego et Pater unum sumus, afïïrme-t-il, Joa., x, 30 ; il ne dit pas : Ego Pater unus sum, distinguant par là même la propriété de sa personne : proprietatem personæ suæ. C. xxvii, col. 966 B. Et s’il dit à Philippe : " Qui me voit, voit le Père », cela revient à dire : « qui me voit, me suit et m’écoute, par moi arrivera au Père », visum iri ab eo Patrem, quisquis filium secutus juisset. C. xxviii, col. 969 C. L’Ancien Testament lui-même est favorable à cette distinction. A la suite de Justin, de Tertullien, d’Hippolyte, Novatien rapporte à une personne différente du Père les nombreuses « théophanies » que décrivent les Livres saints. L’être surnaturel qui apparaît en ces diverses circonstances et qui par tous ses caractères se manifeste comme Dieu (le mot angélus souvent employé par la Bible ne doit pas faire illusion, cf. surtout c. xviii-xx) ne saurait être le Dieu invisible et incirconscriptible, mais bien celui que Paul appellera plus tard imago Dei invisibilis. C’est cette personne distincte du Père transcendant qui s’essaie à la manifestation durable qu’elle fera d’elle-même dans la Nouvelle Economie, ou, pour mieux dire, qui veut habituer les hommes à se trouver en contact avec Dieu : ut mediocrilas et jragilitas conditionis liumanæ Deum patrem videre aliquando jam tune assuesecrel in imagine Dei, hoc est in filio Dei. C. xviii, col. 946 C.

Cette personne a droit au nom de Dieu ; c’est l’affirmation indéfiniment répétée de Novatien ; on remarquera tout autant son insistance à ajouter : Dieu, parce que Fils de Dieu, Dieu en tant que Fils de Dieu. Jésus-Christ est notre Dieu, mais Fils de Dieu. Par quoi le prêtre romain tendrait à accentuer encore la nuance de subordinatianisme qui se remarque chez ses prédécesseurs. « On ne cherchera pas, chez Novatien, dit fort bien A. d’Alès, la formule claire et précise du dogme nicéen. » Novatien, p. 117. Et V. Yorke Fausset : « Sa ehristologie est non moins subordinatienne que celle de Tertullien. » Op. cit., p. xxxiii. Cela ne veut pas dire que le mot Dieu appliqué au Christ n’ait pas son sens transcendant (Le c. xx, qui créerait à ce point de vue quelque difficulté par l’insistance qu’il met à presser l’égalité angélus = deus, se termine par une formule qui place le Fils de Dieu au-dessus de la sphère angélique : divini nominis potestaiem et super omnia et in omne tempus accepit. Col. 955 A). Mais l’exégèse que donne notre auteur du texte johannique : Pater major me est, est caractéristique. C’est bien en tant que Fils de Dieu que le Christ est inférieur au Père : dum ergo accipil sancti/icationem a Pâtre, minor Paire est : minar autem Paire consequenter est, sed Filius. C. xxvii, col. 967-968. Et toute l’exégèse « les récits de théophanies renforce celle appréciation. Le Fils de Dieu y apparaît dans la dépendance du l’ère, comme le subordonné et le ministre du Père, comme avant aussi des attributs

qui ne sont pas tout à fait ceux du Père (voir les c. xviii-xx en entier). En somme, malgré qu’il se soit mis dès l’abord en garde contre les anthropomorphismes, Novatien ne laisse pas d’assimiler les rapports du Père au Fils à ceux qui s’établissent dans une famille humaine : un fils est de la même race que son père, à coup sûr ; il lui reste néammoins subordonné. Naturellement il ne saurait être question d’assimiler de tout point la génération du Fils de Dieu à celle des fils des hommes. Mais, puisque l’Écriture use de l’expression gentil, en parlant du Père par rapport au Fils, il y a lieu de se demander quand eut lieu cet acte divin, qui donne l’être au Fils, qui lui communique la divinité avec la subsistence. Tout préoccupés du rôle cosmologique du Verbe, les apologistes avaient mis en un rapport étroit la « production » (au sens latin du mot) du Verbe et la création du monde. C’était, semble-t-il, au moment où il se décidait à créer l’univers que le Père « produisait » celui qui devait être l’agent de cette création, le démiurge réalisateur des idées divines. Quoi qu’il en soit de l’état où pouvait subsister le Verbe avant ce mornent, la date de la création marquait pour lui, si l’on ose dire, un changement d’état. Novatien échappe à cette obsession, et corrige vigoureusement sur ce point son maître Tertullien. Di snbslantia fuit Christus ante mundi constitutionem, écrit-il, c. xvi, col. 944 B. Et plus loin : Ex quo (Pâtre), quando ipse voluil sermo filius natus est, qui non in sono percussi aeris aut tono coactx de visceribus vocis aeripitur, sed in substantia prolatse. a Deo virtutis agnoscitui. C. xxxi, col. 978 A. Il n’est nullement question ici de création du monde. Sans doute le quando l’oluit éveille-t-il encore les susceptibilités du théologien moderne ; mais ne se pourrait-il pas que ce vouloir fût éternel ? En effet, continue Novatien : Hic, cum sit genitus a Paire, semper esiiN Paire, semper autem sic dico, ut non innatum, sed nalum probem. Sed qui ante, omne tempus est semper in Pâtre fuisse dicendus est : nec enim tempus illi assignari potest, qui unie iempus est. Semper enim in Paire, ne Pater non semper sit Pater. Ibid. On remarquera la répétition de semper. C’est toujours que le Fils a été dans le Père, comme Irénée, auquel le texte semble bien se référer, l’avait déjà dit, Conl. heeres., IV, vi, 7, P. G., t. vii, col. 990 BC, et nous ne sommes pas bien loin de la génération éternelle et de la raison théologique qui la fonde : le Père a toujours dû tire Père. Sans doute Novatien ajoute-t-il : Pater illum prsecedil, quod necesse est prior sit, qua Pater sit ; mais il s’agit ici d’une précession logique et non chronologique, comme Je fait très nettement entendre tout le contexte. — De cette naissance éternelle (on ne voit vraiment pas quel autre terme employer), Novatien distingue la procession (mot qu’il ne faudrait pas assimiler à celui de la théologie moderne). Celle-ci est mise en rapport, semble-t-il, avec la création : Hic (i. e. Filius), quando Pater volait, processit ex Pâtre : et qui in Paire fuit cum Paire postmodum fuit, quia ex Pâtre processit, substantia sciliect Ma divina, cujus nomen est Verbum, per quod Jacta sunt omnia, ibid. On remarquera que cette « procession » implique dans le Verbe un changement de situation : lui qui étail in Pâtre est maintenant cum Pâtre ; c’est là le vieil héritage de la théologie des apologistes ; mais ce n’est pas, si l’on ose dire, un changement d’état, qui lui donnerait une subsistence (une hypostase) qu’il n’aurait pas eue antérieurement. La substantia divina qui s’appelle le Verbe, et qui était in Paire sort maintenant du Père pour aller à l’exécution de ses volontés. Pour garder encore quelques traces de la distinction entre Logos endiathétos et Logos prophoricos, la théologie de Novatien sur la génération du Verbe n’en montre pas moins un sérieux progrès.