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    1. NOMINALISME##


NOMINALISME. LA PUISSANCE DIVINE

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est juste par là-même, sans plus : eo ipso quod ipse vult bene et juste factura est ? I Sent., dist. XVII, q. iii, F. Nous avons à nous demander s’il y a pour Occam une règle du vouloir divin, si l’entendement dirige la volonté ? Mais « vouloir » s’entend de deux façons, volitio divina diversimode accipitur :

a. Pro ipso actu existente realiter eodem cum essentia divina : en Dieu, essence, volonté et acte de vouloir ne font qu’un, et tout cela est également nécessaire, tanla necessitate est ipsa volitio quanta est ipsa voluntas quia est omnibus modis ipsa voluntas, ibid. On ne peut chercher de règle à ce qui est nécessaire.

A prendre la volonté en ce sens, l’entendement n’a pas à la diriger, non potest dirigere voluntatem in actu inlrinseco, ibid., K, et il n’y a aucune priorité de l’entendement sur la volonté.

b. Aliter accipitur volitio divina ut sit idem quod velle creaturam esse : si, en considérant le vouloir divin, nous avons en vue, avec Dieu voulant, la créature qu’il veut, sic [volitio] non præcise dicit voluntatem divinam, sed etiam connolat creaturam in esse reali, nous pensons à du contingent et nous pouvons chercher une règle à la volonté.

A prendre la volonté en ce second sens, on peut dire que l’entendement la dirige :. in producendo aliquid extra potest dirigere, non pas que la volonté soit faillible, mais parce qu’elle est contingente, non quia voluntas possit errare, sed quia voluntas contingenter potest efficere quicquid efficit extra, ibid. Ainsi mise en rapport avec le créé, qui est du contingent, la volonté de Dieu ne fait qu’un avec sa liberté : [libertas] est unum nomen connolativum importons ipsam voluntatem connotando aliquid contingenter posse fieri, 1 Sent., dist. X, q. ii, M. Dans la mesure où la volonté divine est liberté, on peut dire qu’elle trouve une direction dans l’entendement divin.

De ce point de vue, Occam peut accorder une priorité du connaître sur le vouloir : quod intellectus divinus prius intelligil creaturam quam voluntas velit eam ; ce qu’il explique ainsi : creatura vel lapis prius intelligitur quam voluntas velit eam esse, I Sent., dist. XXXVI, q. i, CC. En effet, l’intellection divine de la pierre n’implique pas que la pierre soit, alors que vouloir créer la pierre emporte son existence : la priorité n’est pas de Dieu à Dieu, mais de Dieu à la créature.

Ainsi, pour Occam, la volonté divine est dirigée dans la mesure même où elle peut l’être : la création est une œuvre de raison, Deus est rationabiliter opérons, Dieu connaît toutes choses et les crée selon cette connaissance ; ipsasmet res cognoscit quas postea producit. Dieu voit les choses avant qu’elles ne soient et, en ce sens, il les connaît avant de les produire. Mais, d’autre part, l’acte par lequel il les pioduit est un avec celui par lequel il les connaît, illas aspicil in producendo, I Sent., dist. XXXV, q. v, P ; c’est pourquoi, après avoir accordé que l’entendement divin dirige la volonté, potest dirigere, Occam ajoute que, la dirigeant, il se dirige aussi lui-même : et etiam seipsum dirigit in dirigendo voluntatem, I Sent., dist. XXXV, q. vi, K.

La volonté n’a aucun privilège sur l’entendement. Quand on pense au seul entendement divin, il faut penser qu’il est Dieu, en son acte indépendant de tout le reste ; de même, quand on pense à la seule volonté divine, el.’e est Dieu et rien ne la précède ; quand on pense à l’entendement et à la volonté à la fois, il faut concevoir qu’en Dieu ils sont un : la doctrine occamiste de l’entendement et de la volonté est dominée par cette pensée qu’en Dieu tout est également parfait et absolument simple.

Le sens de la toute-puissance : les problèmes de la connaissance et de la justification.

Avec l’idée de production contingente, nous touchons à la toute puissance divine, qui apporte de Guillaume d’Occam à Gabriel Biel un thème caractéristique du nominalisme des xiv et xve siècles : les nominalistes aiment à considérer les choses du point de vue de la toute-puissance divine, prise dans son indétermination radicale, de potentia Dei absoluta. Occam reçoit cette idée de la foi… articulum fidei : Credo in Deum Patrem omnipotentem, quem sic intelligo, quod quodlibet est divinse potentise attribuendum quod non incluait manifestant contradictionem, Quodl. VI, q. vi. Dieu peut faire tout ce qui n’implique pas contradiction : précisons d’abord cette notion de la puissance et la notion corrélative du possible. Nous en verrons ensuite l’application aux problèmes de la connaissance et de la justification.

1. Puissance et possible.

La puissance divine paraît double : puissance absolue, puissance ordonnée.

a) L’opposition potentia absoluta-potentia ordinata. —
Occam nous en donne le sens au Quodlibet VI, q. i ; Biel reprend son explication, Colleclorium circa IV Sententiarum, I, dist. XVII, q. i, a.3, dub.2, H.

D’abord, les interprétations à éviter : puisqu’en Dieu, il n’y a aucune perfection distincte, il n’existe pas deux puissances divines : hœc distinclio non est sic intelligenda quod in Deo sint aliquæ potentise, quorum una sit ordinata, alia absoluta, quia unica est potentia in Deo ad extra quæ omni modo est Deus. — Il ne faudrait pas non plus penser que Dieu a deux façons d’agir : avec ordre, ou sans ordre : nec sic est intelligenda quod aliqua potest Deus ordinate facere, et alia potest absolute et non ordinale : quia Deus nihil potest facere inordinate. La puissance divine est Dieu, toujours identique à soi, et réalisant toujours un ordre. D’où vient donc notre distinction ?

Il y a deux manières de définir le possible : selon l’ordre que Dieu a donné au monde, posse aliquid aliquando accipitur secundum leges ordinatas et institutas a Deo, et illa Deus dicitur posse facere de potentia ordinata ; — selon la toute-puissance qui, identique à Dieu, reste toujours égale à elle-même, cum enim Deus sit œqualis potentia, capable de réaliser tout ce qui n’implique pas contradiction, aliter accipitur posse pro posse facere omne illud quod non includit contradictionem fieri, sive Deus ordinavit se hoc facturum, sive non, …et illa dicitur posse de potentia absoluta. Quelques décrets que Dieu prenne, sa puissance reste en soi inchangée : penser les choses de potentia Dei absoluta, c’est ne pas oublier leur dépendance d’une liberté, montrer leur contingence radicale : ainsi de tout le créé et de l’ordre même que Dieu lui a donné.

b) La contingence de l’ordre.
Dès lors qu’elles ne sont point nécessaires sous peine de contradiction, toutes les lois du monde pourraient être autres qu’elles ne sont : tout le créé est contingent jusque dans son ordre.

a. Pas d’ordre antérieur au vouloir divin. — Identique à Dieu, parfaite de soi, la volonté divine n’a besoin d’aucune aide, n’est tenue à aucune règle extérieure ; cf. supra, 1°, 2 (col. 755). Biel écrit avec force : Deus non potest contra reclam ralionem, verum est, sed recta ratio quantum ad exteriora est voluntas sua. Non enim habet aliam regulam cui teneatur se conformare, sed ipsa divina voluntas est régula omnium contingentium. Nec enim quia aliquid rectum est aul justum, ideo Deus vult, sed quia Deus vult, ideo justum et rectum. Collect., i, dist. XVII, q. i, a. 3, coroll. 1, K. Dieu est rectitude suprême en tant que principe de toutes les règles.

Dieu étant libre, l’ordre du monde est contingent : aucune règle ne précède la création pour se l’assujettir, pas même ce principe d’économie que les nominalistes aiment à invoquer contre les métaphysiques du xuie siècle, et notamment contre la théorie des espèces : frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora. A la doctrine occamiste de la justification, cf. infra, col. 769 sq.