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NÉMÉSIUS D’ÉMÈSE

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Le c. iii, épuisant la question métaphysique, est relatif à l’union de l’âme et du corps. Némésius saisit très exactement l’acuité du problème que pose l’union de deux substances en un seul composé. Il ne veut pas entendre parler de mélange, de juxtaposition : il abandonne même l’idée platonicienne du corps vêtement de l’âme, pour se rallier à une conception qu’il déclare emprunter à Ammonius Saccas, le maître de Plotin. Voir col. 593-600. Il n’en est pas, dit-il, de l’union d’une substance immatérielle (votjtoù) avec un corps comme de l’union de deux substances corporelles. Car l’être immatériel demeure distinct et incorruptible (àaûy)(OTOV xal àSiâcpOopov). L’union se fait sans qu’il en résulte de changement. L’âme est donc unie au corps, mais elle n’est pas confondue avec lui ; elle peut s’isoler en quelque sorte de lui pendant le sommeil, par exemple, ou dans la contemplation (ôxav xocO’èauTTjv £7uaxÉiro)Taî ti twv voy)tgSv). Col. 597 A. De même que le soleil, par sa présence, transforme l’air en lumière, en le rendant lumineux, et qu’ainsi la lumière est unie à l’air sans se confondre avec lui, de même l’âme étant unie au corps, en demeure tout à fait distincte. Ibid. Et notre auteur de renforcer son explication en faisant appel à l’union du Verbe divin avec l’humanité, —rîj Tipbç tôv ÔcvOpcoTrov évwCTEi toû ©sou Aoyou. Dans cette union le Verbe est demeuré distinct et incirconscriptible, à.aùyyuToç xal à7TspîXy]71Toç. Col. 601 A. Il y a pourtant une différence importante entre ces deux modes d’union. L’âme est en communication de sentiments avec le corps, Soxsî GU[inâ.ay£iv toï acôjzaTi. Au contraire, le Verbe n’éprouve aucun Changement par son union avec le corps et l’âme, il ne participe point à leur faiblesse ; niais, en leur communiquant sa divinité, il ne fait qu’un aec eux, tout en demeurant ce qu’il était avant l’union : (xeraSiSoùç aù-roïç —rrjç ÉauTOu ©eÔTijroç, yiverai aov aù-roïç ëv, uivcov èv 017cep 9)v xal 7cpà tîjç évwæwç. C’est donc là une sorte d’union toute nouvelle ; il s’unit sans se mêler, sans se confondre, sans altération ni changement ; il n’est point en communication de passion, mais seulement d’action, où cnjjzTrâtjywv, àXXà aujjOTpàTTcov [xovov, … restant ainsi immuable et distinct, npbç x£> [i.évei.v (ScxpETtTOç xal àauyxuToç, parce qu’il n’est capable d’aucune sorte de changement. Col. 601 B. Et Némésius est tout heureux de citer un texte de Porphyre exprimant clairement qu’un tel concept philosophique n’a en soi rien d’inadmissible. Le chapitre se clôt par une allufion aux doctrines d’Eunomius sur l’incarnation, et aux propos de certains hommes illustres sur le mode d’union qui serait non point par nature, mais par bienveillance. Oùx sùSoxia toîvuv ô xpôiroç tîjç évaxjscoç, côç Ttat Toiv èvSôEtov àvSpwv Soxst, àXX’yj cpùatç atxwc.

Hâtons-nous d’ajouter que cette digression théologique ne doit pas donner le change sui le caractère vrai de l’ouvrage. Descendant de ces hauteurs, l’évêque d’Émèse consacre la plus grande partie de son livre à ce que nous appelons aujourd’hui la psychologie expérimentale, et dans celle-ci même il fait une large place aux fonctions sensorielles et à leurs organes. Galien, qu’il semble avoir étudié d’assez près, lui fournit un bagage de notions anatomiques et physiologiques qui n’est nullement méprisable. L’étude des sens internes, bien qu’un peu rapidement faite, est néanmoins suffisante, et l’on trouvera sur le rôle de la mémoire et même du jugement dans la perception, des formules bien frappées. Cf. c. xiii, col. 661. La théorie de la connaissance intellectuelle est moins heureuse, et l’auteur qui en traite de manière tout à fait dispersée, semble se rattacher à la doctiine de la réminiscence de Platon. Voir par ex. c. xiii, col. 661 C : « Il y a une sorte de réminiscence.

àvâ[i, VT)cnç, qui n’a pas pour objet ce qui a été perçu par les sens ou l’intelligence, mais les notions natulelles, cpoatxal èvvotai. Or, nous appelons notions naturelles, celles que tout le monde a sans étude préliminaire, comme par exemple celle de l’existence de Dieu. C’est ce que Platon appelle réminiscence des idées. »

A l’étude des fonctions de connaissance fait suite celle de la vie affective, puis de la vie végétative ; enfin les phénomènes de volonté sont longuement décrits, c. xxix-xli. Némésius défend l’existence du libre arbitre, tant au nom de la doctrine chrétienne que pour des raisons d’ordre moral et métaphysique. Le tout se termine par trois chapitres consaciés à la providence divine. L’ouvrage, qui semble n’avoir pas été mis définitivement au point, manque de conclusion.

Caractères généraux.

S’il n’est pas un chefd’œuvre,

le traité en question présente à coup sûr un très vif intérêt. L’auteur se montre suffisamment renseigné sur les doctrines philosophiques émises au cours des âges. Sans doute, il ne les connaît pas toujours de première main, mais par des compendiuin, par ces placita philos ophorum qui étaient alors en circulation.. Il ne laisse pas de les comprendre de façon exacte et de les ciitiquer avec discernement. D’ordinaire, il procède sur les diverses questions par voie d’exposé des solutions, qu’il examine les unes après les autres, donnant ensuite celle qui lui paraît véritable. Il ne s’attache d’ailleurs de façon exclusive à aucune école ; ses préférences générales vont sans doute au platonisme et plus encore au néoplatonisme qu’il semble assez bien connaître ; Aristote ne lui agrée guère, bien qu’il lui emprunte une grande partie de la doctrine de la volonté libre. Il ne s’interdit pas de chercher dans la théologie des points d’appui pour ses démonstrations ; mais il fait parfaitement le départ entre les deux sources de connaissance, révélée et naturelle. Ainsi, parlant de la Providence, il dit que la meilleure preuve qu’on en puisse donner, c’est le fait que Dieu lui-même s’est fait homme pour nous ; mais il ajoute aussitôt : « Comme ce ne sont pas seulement les chrétiens que nous voulons convaincre et que nous nous adressons aussi aux gentils (Trpoç "EXXyjvaç), nous allons leur démontrer l’existence de la Providence par des arguments propres à les persuader. » C. xlii, col. 781 B.

IL Auteur et date. — Tout ceci montre que nous avons affaire non avec un philosophe profane, mais avec un chrétien fort instruit des choses religieuses.

Bien donc ne s’oppose à l’attribution faite de notre traité à un évêque, tant par les manuscrits que par quelques citations anciennes. En l’absence de toute donnée ferme, la date de la composition est plus délicate à déterminer. L’auteur écrit après la publication des ouvrages d’Apollinaire (le Jeune) et d’Eunomius qui sont expressément cités et réfutés. La doctrine christologique qu’il expose en passant, voir col. 63, est nettement opposée à celle dont Eutychès a été dès 440 le plus fameux représentant. Le fait toutefois que l’archimandrite constantinopolitain n’est pas nommé, semblerait indiquer que le traité a été écrit avant l’éclat définitif. Il n’est pas non plus question de Nestorius, et pourtant la formule christologique de l’école d’Antioche est expressément donnée, et d’ailleurs rejetée, bien qu’elle soit le fait â’hommes illustres. On a voulu voir ici une allusion à Théodore de Mopsuesle, ce qui est possible, mais à condition qu’on lui adjoigne au moins une autre illustration. Pourquoi ne serait-ce pas Nestorius ou même Théodoret ? Nous voici donc ramenés non pas à la fin du ive siècle, comme on l’a prétendu, mais à l’intervalle