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NOMBRES (LIVRE DES). PRESCRIPTIONS CULTUELLES


religieuse primitive, commun aux I [ébreux de l’âge prémosaïque et à d’autres peuples. C’est affaire de l’historien des religions. Quant à la signification propre du rite mosaïque, qui est bien l’un des plus compliqués et des plus mystérieux qu’on rencontre dans le cérémonial lévitique, il est évident que le législateur, en l’incorporant à son code religieux, l’a naturellement dépouillé de tout ce qui était contraire au pur jahvéisme. Les critiques qui en font une réglementation de l’école sacerdotale à l’époque postexilienne ne peuvent du moins méconnaître le caractère élevé et religieux qu’il recevait de ce fait ; toute superstition en était nécessairement exclue. Un principe, en eiïet, domine, à la lumière duquel doit se faire l’interprétation des moindres détails, c’est que Jahvé, le Dieu le toute sainteté, ne peut être servi que par un peuple saint et que, par conséquent, tout ce qui porte atteinte à cette sainteté doit être effacé ; puisque le contact d’un cadavre est tenu pour avoir une telle conséquence, il faut s’en purifier par un rite spécial, solennel, aux prescriptions nombreuses impliquant un sacrifice pour le péché d’un caractère exceptionnel, l’immolation et la combustion de la victime devant se faire loin du sanctuaire. (Cf. notions de sainteté et d’impureté à l’art. Lévitique, t. ix, col. 490-493 ; Lagrange, Études sur les religions sémitiques, p. 155157.) La pureté recouvrée par l’aspersion d’eau mélangée aux cendres de la victime est sans doute une pureté légale, extérieure, mais qui symbolise et rappelle l’obligation de la pureté de l’âme : l’eau naturellement purificatrice et les cendres, produit d’une purification complète par le feu, l’indiquent suffisamment.

Pour ce qui est de la signification de chacune des particularités du rite : qualités requises de la victime, mode d’immolation, combustion d’hysope, de cèdre et de cramoisi, mode d’aspersion, elle a été l’objet de multiples interprétations et discussions. Cf. J. Spencer, De legibus Hebrœorum rilualibus, t. II, c. xv ; Lex de vitula rufa Deo immolanda, 2e édit., La Haye, 1080, p. 338-304 ; Bâhr, Symbolik des mosaischen Cultus, Heidelberg, 1839, t. ii, 493-511. L’exégèse allégorique juive y trouvait ample matière à d’ingénieuses applications. Cf. Philon, De victimas offerentibus, c. ii, édit. Mangey, t. ii, p. 252. L’exégèse allégorique chrétienne suivit. L’auteur de l’épître aux Hébreux, ix, 13-14, par le rapprochement qu’il établit entre le sang des boucs et des taureaux, la cendre d’une vache et le sang du Christ, indiquait la voie. Déjà dans YÉpitre de Barnabe l’allégorie s’élabore, « la génisse représente Jésus ; les hommes pécheurs qui l’offrent ceux qui ont présenté Jésus à la tuerie…, les jeunes gens qui aspergent sont les hérauts de la bonne nouvelle qui nous ont annoncé la rémission des péchés et la purification du cœur », viii, 2, 3. L’allégorie va se développant et saint Augustin trouve aux différents détails de la loi leur valeur de signe : evidentissimum enim signum in ea Novi Testamenti præ/iguratur… Juvenca ru/a carnem Christi signifieat. Sexus femineus est propler infirmitatem carnalem ; rufa est propler ipsam cruentam passionem. .. Quæstiones in Heptateuchum, t. IV, xxxiii, P. L., t. xxxiv, col. 732-733. Cf. le traité Parah consacré dans le Talmud au rite de la vache rousse ; les commentaires du livre des Nombres au c. xix : l’art. Vache rousse ; dans Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, t. v, col. 2309-2372 ; l’art. Red Heifer, dans Hastings, A Dictionary of the Bible, t. iv, p. 207-210.

2. Le rite de l’eau de jalousie.

A la différence du précédent, il n’a pas pour but de purifier, mais de déceler l’innocence ou la culpabilité de la femme soupçonnée d’adultère, Num., v, 11-31. L’épouse convaincue de ce péché encourait la peine de mort, Lev., xx, 10 ; Deut., xxii, 22. Soupçonnée seulement, elle

était amenée par son mari devant le prêtre qui offrait le sacrifice de jalousie, et faisait ensuite approcher l’épouse de l’autel pour qu’elle se tînt devant Jahvé. Ayant pris de l’eau sainte dans laquelle il mettait de la poussière du sol de la Demeure, le prêtre l’adjurait alors par le serment d’imprécation, appelant sur elle la malédiction si elle était réellement coupable, puis il lui faisait boire de cette eau où la formule d’imprécation transcrite sur un rouleau avait été délayée ; c’était les eaux amères de malédiction. Si la femme avait été infidèle à son mari les eaux amères devaient entrer en elle, et la malédiction la frapper, sinon elle était préservée et aurait des enfants. Telle est, dans ses grandes lignes, la loi de jalousie.

Que le cérémonial de ce véritable jugement de Dieu soit ancien, très ancien, c’est ce que reconnaissent ceux-là mêmes qui en placent la rédaction après l’exil. Non seulement les mœurs et les coutumes de peuples primitifs en oiïrent de nombreux parallèles, mais encore la foi qu’il suppose, originairement du moins, en l’efficacité du mélange de l’eau sainte et de la poussière du sol du sanctuaire, non moins qu’en la vertu de la formule de malédiction lavée dans cette eau, révèle une religion à un stade bien primitif. Cf. R. Smith, Religion of the Sémites, 2e édit., p. 179 sq ; J. Frazer, Folk Lore in the Old Testament, t. iii, p. 304-414 ; Tylor, art. Ordeal dans Encyclopwdia britannica. « Les Assyriens attribuaient aussi une vertu spéciale au mélange composé d’eau, d’huile et de certaines poussières, la poussière du sanctuaire du dieu et la poussière de portes déterminées. Seulement, au lieu d’en faire un breuvage de malédiction, ils s’en servaient… comme d’une eau de purification. » Fr. Martin, Textes religieux assyriens et babyloniens, 1903, p. xxi, 243. D’après le code de Hammurabi, § 131-132, la femme incriminée par son mari, mais non surprise en flagrant délit, jurera par le nom de Dieu et retournera dans sa maison ; si c’est la rumeur publique qui l’accuse, elle se plongera dans le fleuve ; d’après les lois assyriennes (xve siècle environ), § 17, elle sera liée et conduite au fleuve.

Si la loi de jalousie provient d’une antique coutume populaire, il n’en est pas moins vrai que sa signification s’est naturellement modifiée par son introduction dans un système religieux tout différent de ceux des anciens cultes. C’est ainsi que le breuvage, qui originairement était regardé comme la cause du dommage infligé à la femme coupable, n’est plus, dans la religion de Jahvé, qu’un souvenir ; c’est par une intervention directe de la justice divine que le législateur d’Israël entend que sera manifestée l’innocence ou la culpabilité de la femme soupçonnée. Quant aux détails du cérémonial, ils reçurent, comme ceux du rite de la vache rousse, leur application symbolique chez Philon et les docteurs palestiniens. Philon, Commentaire allégorique des saintes lois après l’œuvre des six jours, 1. III. 148 et 150. D’une coutume qui apparaît si dure pour la femme, la sagesse divine lui a fait une garantie contre l’inconstance du mari, trop enclin à soupçonner son épouse pour la répudier plus facilement. Cf. de Hummelauer, Numeri, p. 46-47.

(i° Des rapports entre rites mosaïques et rites ethniques. - Les ressemblances et les analogies de tels rites et d’autres de la religion mosaïque avec les rites et coutumes d’autres peuples de l’antiquité païenne, la nature même de certains de leurs éléments constitutifs posent le problème de leur origine el, d’une manière plus générale, celui de l’origine de maintes institutions du culte d’Israël. II y a lieu de compléter ici les quelques indications déjà fournies à ce sujet à l’article Lévitique, t. ix, col. 475-478.

Le problème n’est pas nouveau. Dès les premiers siècles de l’Église, certains des défenseurs de la religion