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NOMBRES (LIVRE DES). VALEUR HISTORIQUE


précédents sur les livres du Pentateuque, qu’il suffise d’ajouter ici quelques considérations générales qui corroboreront leur conclusion sur la valeur historique du Pentateuque en général et du livre des Nombres en particulier.

Les documents anciens extrabibliques, égyptiens, assyriens, babyloniens ne projettent sans doute pas directement leur lumière sur les événements rapportés au livre des Nombres ; tels d’entre eux cependant nous aident à les mieux comprendre, à en déterminer le cadre, à en préciser les circonstances tout en suggérant que le récit biblique repose sur des données vraiment historiques. C’est le cas, par exemple, des lettres d’El-Amarna, si précieuses pour la connaissance des pays bibliques, au début du xive siècle ; ce qu’elles nous apprennent des Habiri nous prouve la vraisemblance, sinon la réalité, de l’œuvre des chefs d’Israël. « L’unification des bandes des Hébreux sous la conduite de Moïse et de Josué, remarque le P. Dhorme, a un bon parallèle dans l’action commune des Habiri, qui finissent par s’imposer au pays et par se faire reconnaître des Égyptiens. » Art. Amarna (lettres d’El-Amarna ) dans Pirot, Supplément au Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 223. De même l’état de morcellement de la Palestine et de la Syrie, révélé par ces mêmes documents, et dans lequel ces pays retombèrent après la tentative des Habiri, la période troublée que traversa l’Egypte après le règne de Ramsès II, apparaissent comme autant de conditions favorables à la marche etàla conquête d’Israël : « C’est sans doute vers cette époque, ajoute le même auteur, que les Israélites, fuyant l’Egypte et marchant vers la Terre promise, réussirent à traverser le Sinaï, à gagner la Transjordane, à franchir le Jourdain, pour secouer à leur tour la torpeur des petits princes de Canaan et reprendre à leur compte la tâche entreprise jadis par les Habiri : la création d’un État unique et indépendant ». Ibid., col. 224.

2. La législation.

La législation des Nombres ne présente point comme celle de l’Exode, du Deutéronome ou même du Lévitique de fréquents points de contact avec les lois babyloniennes et assyriennes, notamment le code de Hammaurabi ; quelques rapprochements intéressants sont pourtant à signaler. C’est le cas, par exemple, de la femme accusée ou soupçonnée d’adultère, en dehors du flagrant délit, où les Nombres, v, 12-31 (cf. Deut., xxii, 13-21), se rencontrent avec le code babylonien, § 131-132, pour imposer une épreuve analogue, celle de l’eau d’amertume que devra absorber l’épouse israélite, soupçonnée d’infidélité par son mari, et celle de l’eau du fleuve où devra se plonger la femme babylonienne accusée par la rumeur publique. Dans les deux législations, c’est le même recours au jugement de Dieu, à l’ordalie ; rapprochement d’autant plus intéressant à noter que la loi édictée dans les Nombres est, pour les critiques, un élément du Code sacerdotal. On a d’ailleurs relevé des usages semblables chez les peuples apparentés aux Israélites. Dans les pays sémitiques, remarque le P. Lagrange, on croit « que les eaux ont le pouvoir d’absoudre comme celui de condamner, elles exercent un véritable jugement. » Études sur les religions sémitiques, 1903, p. 160-161.

Non moins suggestive au sujet de l’antiquité de certaines prescriptions du Code sacerdotal est, d’une part, la présence, dans les Nombres, xxxv, 21, d’une ordonnance concernant le vengeur du sang qui tuera le meurtrier quand il le rencontrera et, d’autre part, l’absence de toute prescription analogue dans le code deHammourabi. N’est-ce pas là l’indice de deux civilisations toutes différentes, l’une encore primitive, où un usage tel que celui de la vengeance du sang est admis, l’autre bien plus avancée, celle d’une société organisée,

centralisée qui ne saurait le tolérer ? N’est-ce pas là un argument en faveur de l’origine antique de telle prescription ? « Voilà un usage des sociétés primaires, remarque à ce sujet le P. Lagrange, dans lesquelles le pouvoir central exerce peu d’action, une coutume que la société civilisée réprouve et s’efforce de faire disparaître partout où elle la rencontre, qui se retrouve dans ce dernier état du droit (Code sacerdotal), qu’on a trop souvent représenté comme un produit arbitraire d’imaginations sacertodales en quête de lois chimériques ! Cela en dit long sur la question, dans le sens de la réalité, de la stabilité des coutumes, que le progrès du droit a cependant adoucies, comme c’est ici précisément le cas. Et si ce caractère de réalité et de stabilité se manifeste si clairement dansla loi civile, pourquoi ne serait-il pas la règle de la loi cérémonielle, encore plus traditionnelle de sa nature, puisque le rite est considéré partout comme immuable, en vertu même de son origine divine, réelle ou présumée ? Il est donc certain d’avance que, s’il y a dans le Pentateuque une rédaction récente, elle n’a fait que mettre en œuvre des éléments très anciens, contemporains de Moïse, antérieurs à Moïse, et dès lors la tradition ne disait-elle pas très justement que le Pentateuque est l’œuvre de Moïse ? » La méthode historique surtout à propos de l’Ancien Testament, 1903, p. 181-182. Le P. Jaussen a retrouvé cette même coutume de la vengeance du sang comme un trait caractéristique des usages nomades des Bédouins. Coutume des Arabes au pays de Moab, 1903, p. 220-232.

3. L’itinéraire des Hébreux.

L’exploration des pays bibliques et plus particulièrement de la Transjordane et du Négeb, région où se déroulèrent les événements racontés au livre des Nombres, contribue elle aussi à une plus juste appréciation de l’histoire des pérégrinations d’Israël au désert. C’est ainsi que l’itinéraire des Hébreux, objet de si nombreuses discussions et de tant d’hypothèses, a pu être reconstitué et son caractère historique établi, malgré bien des points encore obscurs. Il importe, en effet, de le dégager des trois relations différentes qui en sont données, d’abord dans la liste des stations du peuple depuis Ramsès jusqu’aux plaines de Moab, Num., xxxiii, 5-49 ; puis dans un simple fragment de cet itinéraire, Num., xxi, 12-20, et enfin dans quelques passages du Deutéronome aux c. i et n et dans le court résumé du c. x, 6-8.

Maintes divergences les séparent : d’après Num., xxxiii, 38, et xx, 23-30, Aaron mourut au mont Hor ; selon Deut., x, 6, ce fut à Moser ou Mosera ; le résumé de Deut., i-ii, place, dans la rédaction actuelle, la station de Cadès avant la pointe vers Asion-Gaber et la mer Rouge, tandis que le catalogue des campements met Asion-Gaber avant Cadès, Num., xxxiii, 36 ; la campagne contre les Amorrhéens et le roi de Basan est passée sous silence aux c. xxxiii et xxi des Nombres, alors qu’elle figure au Deut., m. L’identification du site de Cadès, la transposition des ꝟ. 36-41 après le ꝟ. 30 a du c. xxxiii des Nombres, adoptée par le P. Lagrange et déjà suggérée par Ewald, la détermination du caractère propre à chacune des trois relations de l’itinéraire ont permis la réponse à ces difficultés et l’établissement du tracé de la marche des Hébreux. Cf. Lagrange, L’itinéraire des Israélites du pays de Gessen aux bords du Jourdain, dans la Revue biblique, 1900, p. 63-86, 273-287, 443-449. Ainsi disparaît l’apparente contradiction sur le lieu de la mort d’Aaron : « Hor (identifié avec un pic du djebel Moueileh) est près de Cadèsé(Num., xx, 22) et Moseroth (Mosera) aussi, puisque d’après notre arrangement c’est la station qui suit Hor dans le catalogue et qui même probablement en tenait lieu. Nous sommes donc à coup sûr dans la même région et il importe peu qu’une tradition désigne le pays, l’autre le sommet d’une montagne. »