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NOMBRES (LIVRE DES). VALEUR HISTORIQUE


plication des pains dans les deux mêmes évangélistes : Matth., xiv, 13-21 ; Marc, vi, 30-44 et Matth., xv, 32-39 ; Marc, viii, 1-10.) » A. Bea., Op. cit., p. 09.

La répétition de certaines ordonnances avec des modifications parfois très importantes qui vont jusqu’à se contredire ou s’abroger s’expliquera suffisamment par le fait qu’il s’agit de lois successives, complémentaires, imposées par des conditions et des situations nouvelles. Ainsi en est-il de l’âge requis des lévites pour leur entrée en fonctions. Moïse l’avait d’abord fixé à trente ans (ce nombre, répété sept fois au cours du c. iv, est parfaitement certain, tandis que celui de vingt-cinq substitué par les Septante n’est dû qu’au désir de faire disparaître le désaccord entre le c. iv et le c. viii, 28) ; il l’abaissa bientôt à vingt-cinq, Num., vin, 28, sans doute parce que le résultat du recensement avait montré que le nombre des ministres de trente à cinquante ans, ne suffisait pas pour les besoins du culte. Plus tard, David descendit encore cette limite jusqu’à vingt ans, I Par., xxiii, 24, mesure que sanctionnèrent Ézéchias et Zorobabel, II Par., xxxi, 17 ; I Esdr., ni, 8. Cf. Prat, La loi de Moïse, ses progrès, dans Études, 1898, t. lxxvii, p. 42-43.

Ce n’est pas à dire toutefois que toutes les répétitions, soit de récits historiques, soit de textes législatifs, sont susceptibles d’une explication satisfaisante dans l’hypothèse de l’authenticité mosaïque et, s’il n’est que trop juste de reconnaître que les critiques ont souvent exagéré le nombre de ces répétitions, il ne l’est pas moins d’admettre, que, dans la plupart des cas, les explications fournies par l’exégèse traditionnelle pour écarter la difficulté résultant de telles répétitions, sont loin d’être toujours satisfaisantes. C, f. J. Gôtlsberger, Einleitung in das Aile Testament, Fribourg-en-Brisgau, 1928, p. 29. C’est pourquoi, tout en maintenant l’authenticité mosaïque substantielle, nombre de critiques catholiques modernes admettent l’existence de modifications plus ou moins nombreuses et importantes, subies par le texte du Pentateuque jusqu’à une époque très éloignée de Moïse ; et il ne s’agit pas seulement d’altérations accidentelles, de gloses, mais d’additions et de remaniements opérés en vue d’adapter des lois sociales ou religieuses à de nouvelles conditions. Cf. Décisions de la Commission biblique du 27 juin 1900, De Mosaïca authentia Pentateuchi, iv, et l’article Lévitique, t. ix, col. 471-475. Si donc, conclut une des plus récentes études de la question, on ne peut donner gain de cause à la thèse critique dans les points essentiels et décisifs, et s’il faut par conséquent renoncer à la théorie wellhausienne du Pentateuque, il n’en reste pas moins que le travail de la critique depuis plus d’un siècle a abouti à des constatations et à des résultats si nombreux et si importants, que toute tentative de théorie sur l’origine du Pentateuque, qui permette de franchir la distance qui sépare un Pentateuque purement mosaïque du Pentateuque dans sa forme actuelle, se doit avant tout de les interpréter dans le sens de la tradition mosaïque. Gôttsberger, Op. cit., p. 112.

Valeur historique.

Puisque le Pentateuque est

d’origine mosaïque, il s’ensuit que sa relation des événements, ceux du moins de la sortie d’Egypte et de la migration à travers le désert, remonte à un contemporain et ne saurait être par conséquent qu’un document historique de première importance pour la reconstitution de cette période de la vie d’Israël. Ceux-là mêmes, d’ailleurs, qui n’admettent pas cette authenticité savent faire la distinction nécessaire entre conclusions d’ordre littéraire et conclusions d’ordre historique.

1. Action de Moïse.

Force est bien de reconnaître que les textes du Pentateuque, malgré l’incertitude qui peut subsister au sujet de leur date exacte, n’en

constituent pas moins la plus ancienne tradition des Hébreux sur la période nomade de leur histoire ; par elle et quelques autres données bibliques, la vie et le sort des Hébreux sous Moïse avant leur établissement en Canaan doivent être expliqués. B. Gray, Op. cit., p. xliii. La connaissance plus approfondie de l’histoire et de l’archéologie du monde oriental, la comparaison de la législation mosaïque avec les codes assyriens et babyloniens, la constatation de l’usage antique de l’écriture ont amené maints critiques à modifier sensiblement les conclusions de la thèse wellhausienne, surtout dans le domaine historique. De plus en plus s’affirment avec netteté et certitude la personnalité du législateur d’Israël non moins que les caractéristiques essentielles de son œuvre.

A ce point de vue, le livre des Nombres est particulièrement intéressant ; le caractère de Moïse s’y révèle dans la lutte incessante contre les difficultés toujours nouvelles, suscitées par l’insubordination et l’ingratitude du peuple dont Dieu lui avait confié le charge ; son rôle à tous égards, national, religieux, politique, social, militaire même, s’y manifeste unique et sans comparaison dans l’histoire d’Israël. Philon le caractérisait bien lorsqu’il disait que Moïse fut à la fois un roi, un législateur, un prêtre et un prophète ; De vita Mosis, iii, 23, édit., Mangey, t. ii, p. 163. C’est précisément un des traits distinctifs du livre des Nombres, que l’emphase à soulignerla suprématie de Moïse, Num., xii, 1-15 ; xvi, 12-15, 28-30. Josué, les fils de Gad et de Ruben, les chefs des maisons des fils de Galaad ne lui donnent-ils pas le titre de maître, seigneur (adonî)l Num., xi, 28 ; xxxii, 25, 27 ; xxxvi, 2. Et si l’on songe, selon la remarque d’un critique, que la même impression se retrouve dans les éléments de provenance sacerdotale, on jugera de la force du souvenir qu’avait laissé la personnalité de Moïse. Binns, Op. cit., p. Lvn. A supposer même une part d’idéalisation dans ce souvenir, il n’en reste pas moins que l’œuvre du législateur d’Israël s’avère capitale ; grâce à elle la masse informe des tribus est devenue une force homogène prête à la conquête de la Palestine. Sa réputation d’ailleurs n’est pas uniquement dépendante des récits du Pentateuque, les anciens prophètes ne l’ignorent pas. Os., xii, 14 ; Mich., vi, 4 ; Is., lxiii, 11.

La critique moderne, pour une part du moins, mieux éclairée et moins dominée par certains préjugés, ne fait donc pas difficulté de reconnaître le rôle prépondérant de Moïse aux origines de l’histoire d’Israël ; il s’en faut néanmoins, et de beaucoup, que le problème historique du livre des Nombres soit pour autant entièrement résolu. Même dans sa partie la plus ancienne, dans JE, tout est loin d’y être regardé comme souvenir authentique de l’âge mosaïque ; la part faite à l’imagination populaire ou au sentiment religieux est souvent plus grande que celle accordée à la réalité des temps de l’Exode. Qu’il s’agisse de décider si les événements rapportés intéressent le peuple d’Israël tout entier ou seulement telle ou telle tribu, de fixer l’itinéraire suivi dans le désert, de discerner le fond historique de l’épisode des espions, du serpent d’airain, de la révolte de Dathan et Abiron, de la prophétie de Balaam, de déterminer dans quelle mesure la marche à l’Est et à l’Ouest du Jourdain, de même que les relations des Israélites avec les Édomites, les Moabites, les Amorrhéens correspondent à des événements de l’âge mosaïque, qu’il s’agisse de ces questions et d’autres encore, les réponses pourront varier dans le détail mais toutes feront d’importantes réserves sur l’exactitude historique des Nombres qui bien souvent n’est qu’apparente.

La discussion de ces problèmes ne saurait trouver place dans les limites d’un article de dictionnaire. Aux éléments de solution, déjà donnés aux articles